Critique de « Superstate », un album de Graham Coxon

« Yoga Town » est le premier morceau extrait de l’album « Superstate » de Graham Coxon. Un tube entêtant à écouter en boucle.

Graham Coxon, vous connaissez ? Non ? Mais si, souvenez-vous : le binoclard à la gratte et aux choeurs dans Blur. Vous n’avez pas pu manquer ça :

Guitariste d’un des deux groupes phares de la britpop des années 90 (l’autre étant bien sûr Oasis), Coxon avait aussi chanté un des tubes de Blur, « Coffee and TV », en 1999 :

Avec une voix plus fragile que celle de son complice de Blur Damon Albarn, Coxon n’en était pas moins mélodiste et audacieux. Guitariste à riffs déjantés et ravageurs, il apportait déjà une touche prog et psyché à la pop de Blur (moins brute que celle de son rival Oasis mais finalement bien moins sage, notamment sur les albums « Blur » et « 13 »). En solo, dans les années 2000, il se permit des expérimentations encore plus osées, avec des vocalises à la Syd Barrett, des riffs punks noisy, des crachouillis lo-fi ou même des ballades folk, non sans persister dans la veine pop avec par exemple l’excellent album « Happiness in magazines » de 2004, contenant le superbe et lennonien All over me :

Ou encore le délicieux et aigre-doux « Bittersweet Bundle of Misery » :

Dans les années 2010, après un nouvel album de Blur pas indispensable, Graham Coxon s’est fait plus discret, jusqu’en 2018-2019 où il a enregistré la superbe bande-son des deux saisons de l’excellente série télé « The end of the fucking world« . En 2020, il a récidivé, caché sous le nom de groupe Bloodwitch, pour la bande-son, elle aussi excellente, de la série « I am not okay with this« .

Après des collaborations passées avec Pete Doherty ou Paul Weller, Graham Coxon a plus récemment joué sur un titre du groupe Bastille, il tourne également avec The Jaded Hearts Club (groupe de reprises pop-rock des années 60 dont le bassiste n’est autre que Matthew Bellamy, le chanteur de Muse) et il joue aussi actuellement avec Duran Duran, groupe survivant de la scène new wave des années 80, ce qui n’est pas pour rien dans la tonalité plus électronique de son nouvel album solo « Superstate », notamment sur le morceau LILY, dont il dit lui-même qu’il aurait pu figurer sur un album de Duran Duran (ou sur la bande-son d’un film de science-fiction, aussi bien).

Dans une interview, Coxon évoque la mort de David Bowie comme point de départ de cet étonnant album, la disparition de son idole en 2016 lui ayant inspiré la chanson « We remain », avant-dernier titre de l’album, beau oui comme Bowie. La chanson traite aussi du regret, de l’absence, du mépris de l’environnement, imaginant un futur où la culture a disparu.

Selon un magazine anglais, « Superstate sonne un peu comme si John Coltrane à son apogée spirituelle était dans Daft Punk ». « J’ai vraiment fouiné dans le prog-disco », acquiesce Coxon avec enthousiasme. « J’écoutais beaucoup de morceaux sur Absolut Radio 70’s, et ça s’est en quelque sorte mélangé avec les perversions sonores de mon esprit et le genre de choses que j’écoutais adolescent comme Soft Machine et King Crimson, et beaucoup de trucs psychédéliques. Je suppose que j’ai fini par faire quelque chose qui est vraiment plus proche du disco, mais avec tous ces autres éléments. »

« Superstate » marque un incontestable renouveau dans le style musical de Coxon, qui délaisse ici le rock au profit de rythmiques funky et de bidouillages rétrofuturistes. C’est aussi un concept album qui lui fait endosser plusieurs personnages, différent.e.s invité.e.s l’accompagnant au chant, ce qui paradoxalement, lui permet d’exprimer plus de sentiments qu’il ne le faisait en son nom propre. Les mauvaises langues diront qu’il suit avec 20 ans de retard les traces de son camarade de Blur Damon Albarn qui avait lui aussi, en créant le groupe Gorillaz en 2001, mêlé pop, electro et hip-hop, multipliant les collaborations prestigieuses, pour donner vie à un groupe virtuel par la grâce du dessinateur et vidéaste Jamie Hewlett.

Mais faisons taire les mauvaises langues. Coxon ne fait pas que suivre les traces de son pote Damon. « Superstate » n’est pas qu’un album musical, c’est aussi une bande-dessinée écrite avec Alex Paknadel et Helen Mullane, dans laquelle Coxon a exercé ses propres talents graphiques, mais pour laquelle il a aussi mis à contribution des artistes comme Christian Dibari, Marie Llovet et Ryan Kelly (parmi 15 dessinateurs et dessinatrices ayant oeuvré sur 15 histoires qui correspondent aux 15 morceaux du disque).

Avec cette oeuvre surréaliste, Coxon nous plonge dans une dystopie d’autant plus proche de notre réalité qu’il en a réalisé une partie en pleine pandémie de covid 19, durant le confinement, dans son home studio, jouant lui-même de tous les instruments : outre la guitare, il sait jouer aussi du saxophone, instrument qu’on peut entendre sur le très groovy « Uncle Sam » et de la batterie, et il s’est visiblement aussi éclaté sur cet album avec des claviers et la programmation de sons et de rythmes sur le logiciel Logic.

Le dossier de presse précise que « pour le spectateur, le « Superstate » (super-Etat) est partout, et son autorité est absolue : Yoga Town est une ville sans espoir. En attendant de quitter la terre, les 1% peuvent plier la réalité à leur volonté, ils vivent dans un monde sans conséquence où tout est permis. Pendant ce temps, les masses droguées sont pacifiées par un rêve numérique contrôlé par le gouvernement, en attendant de périr sur cette planète mourante. Mais il y a encore de l’espoir. Les anges parcourent la terre. Avec leur aide, peut-être que certains esprits rebelles peuvent commencer à opérer un changement. »

Le concept cucul de bataille entre anges et démons prend une dimension plus concrètement dramatique quand on songe que Coxon avait quitté Blur en 2001 pendant l’enregistrement de l’album « Think tank » parce que les autres membres du groupe lui reprochaient son alcoolisme. Démon dont Coxon a heureusement triomphé par la suite. Mais le démon de l’anxiété, auquel il attribue la cause de son recours à l’alcool, c’est en écoutant de la musique et en dessinant qu’il l’a, depuis l’enfance, domestiqué. C’est d’ailleurs Graham Coxon lui-même, déjà, qui avait dessiné l’illustration de l’album « 13 » de Blur.

Avec « Superstate« , il concilie comme jamais les deux « anges » qui lui ont permis d’affronter ses démons. Dans le superbe « Tommy Gun », Coxon incarne un parent anxieux de ce que deviendront ses enfants après sa mort… dans une douce ballade apaisante conduite par un piano qui calme le jeu entre les envolées disco des autres morceaux. CQFD.

Ecoute possible de l’album entier ici.

La BD seule ou avec disque vinyl et affiches est disponible chez Z2 comics.

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