Retour sur le concert de The Cure du 28 novembre 2022 à Bercy.
C’était la deuxième fois que j’avais la chance d’assister à un concert de The Cure en ce lieu. La première fois, c’était hier : en 1987, à l’occasion de la tournée suivant la sortie de l’album Kiss me kiss me kiss me. J’avais découvert The Cure 3 ans plus tôt avec The Caterpillar, morceau de pop psychédélique qu’une copine m’avait fait écouter, et dont les crissements de violon (je parle de la musique, hein, pas de la copine), les notes de piano déglingué et la voix faussement juvénile de Robert Smith (osant jouer des castagnettes avec son “catacatacatacatacaterpillar girl”) m’avaient scotché. Allez savoir pourquoi, en pleine adolescence, ça vous change la vie, une telle découverte. Ça ouvre le champ des possibles, à un âge où on a facilement l’impression que tout est impossible. Bref, j’ai couru dès que j’ai pu acheter un disque (vinyl, forcément) de ce groupe. Comme je ne connaissais pas le titre du morceau que j’avais entendu, j’ai pris le premier album qui m’est tombé sous la main : Faith. Sitôt le disque posé sur la platine, ce fut un nouveau choc : au lieu de l’explosion de couleurs de la pop déjantée à laquelle je m’attendais, ce fut le froid lugubre de l’album le plus neurasthénique de The Cure. Grosse déception sur le moment : non mais enfin, qu’est-ce que c’est que ce truc ? On m’a menti, c’est pas le bon groupe… Mais attends voir… C’est bien la même voix pourtant, y a pas de doute. Et puis c’est glauque, peut-être, mais… ce son, c’est du putain de génie !
Voilà comment je suis tombé dedans. Je veux dire dans les deux facettes de The Cure : la lumineuse et la grise. A propos de Morissey, l’ex-chanteur des Smiths qui lui voue une inexplicable et néanmoins tenace haine, Robert Smith a déclaré un jour : “Il est tout ce que les gens pensent que je suis. Morrissey chante la même chanson à chaque fois qu’il ouvre la bouche. Au moins j’ai deux chansons, The Lovecats et Faith.” Plus Smith que les Smiths, Robert. Et c’est exactement ça, dit avec cet inimitable sens anglais de l’autodérision : The Cure, c’est deux morceaux déclinés à l’infini avec génie.
Et donc en 1987, j’avais pleinement digéré les deux, ayant tripé comme c’est pas possible sur toute l’ample discographie déjà disponible du groupe. A l’époque, le public qui s’était rué sur le palais omnisports de Bercy était jeune, et on ne comptait plus les clones de Robert Smith en habit noir et chevelure en pétard. C’est autre chose en 2022 : c’est cette fois une marée de cheveux gris qui est venue prendre sa cure de cold wave et de pop psychédélique. Quasiment pas de jeune à l’horizon. Dommage pour eux.
De mon côté, j’avoue que j’avais un peu lâché l’affaire après l’album Disintegration de 1989. J’avais suivi le reste de loin, sans y mettre la même passion. Parce que j’étais passé à autre chose (Pixies, Nirvana, Pavement, Ride, Oasis, Chemical Brothers, Dandy Warhols, Brian Jonestown Massacre…) ? Ou parce qu’en dépit du succès planétaire de l’album Wish et des tournées qui n’ont jamais cessé dans les années 2000 et 2010, les deux chansons de l’ami Robert commençaient à tourner un peu en rond malgré les quelques renouvellements de musiciens au sein du groupe, au point qu’il n’avait même plus réussi à sortir un nouvel album depuis le peu marquant 4:13 Dream en 2008 ?
Bref, je n’avais pas d’urgence à replonger, et surtout pas dans l’immensité de Bercy (au moins a-t-on échappé à une horreur comme le Parc des Princes ou le Stade de France). Mais bon, cela faisait deux ou trois ans qu’on nous annonçait un nouvel album de The Cure, toujours reporté, et puis peut-être ne fallait-il pas rater cette occasion de revoir un Robert Smith de 63 ans qui venait peut-être jouer pour la dernière fois à Paris. Après tout, cela fait bien quarante ans qu’il annonce qu’il arrête. Il va peut-être finir par le faire ?
Disons le tout net, le concert était bon, très bon même, malgré une batterie un poil surmixée, peut-être, par rapport aux guitares, pourtant en surnombre, avec le retour de Perry Bamonte à la 6 cordes, en plus de Reeves Gabrels (l’ancien comparse de David Bowie dans Tin Machine) et de Robert Smith lui-même, dont la voix inimitable fait toujours merveille. Le batteur Jason Cooper, déjà vétéran dans le groupe, tient largement la comparaison avec ses prédécesseurs. L’imperturbable Roger O’Donnell fait aussi le job aux claviers. Et Simon Gallup, la basse en-dessous des genoux, est toujours le pilier du groupe. Je n’ai donc pas eu à regretter l’absence des anciens de 1987, Lol Tolhurst, Porl Thompson ou Boris Williams. Durant 2h40, The Cure a enchainé les classiques, et même osé quelques “chansons nouvelles” présentées in french dans le texte par un Robert Smith qui, je l’espère, n’a pas entendu les quelques “non” de désapprobation murmurés dans la salle. Il faut dire que ces “chansons nouvelles” étant plus dans le registre atmosphérique planant que dans la veine la pop, les découvrir en concert sans les avoir jamais entendues en version studio n’était pas le plus évident. Comme d’autres curistes sans doute, je dois donc avouer que si je me suis passagèrement ennuyé durant le concert, c’est justement lorsque The Cure a joué ces nouveaux morceaux.
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