« Le concept de “populisme”, si vague et si général qu’il permet d’englober des courants que presque tout oppose (par exemple le Front national et la France insoumise actuellement en France), joue aujourd’hui un rôle de mise en équivalence de l’extrême-droite et de la gauche radicale dévolu autrefois, au temps de la guerre froide, au concept de “totalitarisme”. (…) On se souvient que, lorsque Syriza parvint au pouvoir en Grèce en janvier 2015, Alexis Tsipras fut qualifié de “populiste” par tout ce que l’Europe compte d’idéologues néo-libéraux, voire parfois de “national-populiste”, en raison de la rupture que son parti préconisait alors avec les politiques d’austérité d’une brutalité inouïe imposées à la Grèce depuis 2009. Que ces accusations de “populisme” aient cessé dès la trahison par A. Tsipras du programme sur lequel il avait été élu, démontre s’il le fallait qu’une telle catégorisation — ou du moins l’usage qui en est fait dans le débat public — a (notamment) pour fonction de couvrir d’un même opprobre toutes les forces qui contestent la mondialisation et/ou l’Union européenne, avec des motivations et des objectifs politiques qui peuvent être radicalement opposés. Continuer la lecture de « Populisme »
Auteur/autrice : Serge Victor
Soulèvement
« (…) l’histoire montre que les classes populaires se soulèvent comme un seul homme pour former un “peuple” uniquement lorsqu’elles sont convaincues de leur bon droit. Plus précisément, il faut qu’elles soient animées par une croyance collective suffisamment puissante pour affronter un pouvoir impitoyable et accepter une issue qu’elles savent pertinemment tragique.
Ce genre d’étincelles, quand on y regarde de près, ne surgit jamais des classes populaires elles-mêmes mais de la classe qui rationnalise les croyances : les intellectuels. L’étincelle résulte généralement des frottements qui se produisent dans le monde des dominants, opposant ceux qui défendent le pouvoir en place et ceux qui le contestent. Le génie d’un peuple en arme réside dans les formes d’appropriation de la critique, les usages radicaux qu’il en fait, en prenant au mot les théoriciens de la dissidence. »
Gérard Noiriel, Une histoire populaire de la France,
De la guerre de Cent Ans à nos jours, Agone, 2018, p. 66
Progrès
Bourgeois
« J’appelle donc bourgeois de chez nous un Français qui ne doit pas ses ressources au travail de ses mains ; dont les revenus, quelle qu’en soit l’origine, comme la très variable ampleur, lui permettent une aisance de moyens et lui procurent une sécurité, dans ce niveau, très supérieure aux hasardeuses possibilités du salaire ouvrier ; dont l’instruction, tantôt reçue dès l’enfance, si la famille est d’établissement ancien, tantôt acquise au cours d’une ascension sociale exceptionnelle, dépasse par sa richesse, sa tonalité ou ses prétentions, la norme de culture tout à fait commune ; qui enfin se sent ou se croit appartenir à une classe vouée à tenir dans la nation un rôle directeur et par mille détails, du costume, de la langue, de la bienséance, marque, plus ou moins instinctivement, son attachement à cette originalité du groupe et à ce prestige collectif. »
Marc Bloch, L’étrange défaite, 1940.
Mouvement
« Le rôle, le travail et le quotidien d’Hitler depuis sa sortie de prison ne se limitent cependant pas à enjôler des cadres de toutes les organisations de l’extrême-droite allemande. Il est bien entouré et conseillé, et songe à l’organisation concrète d’un mouvement d’extrême-droite puissant, qui permette de capter à son profit toute l’énergie revancharde de ceux qui estiment que l’Allemagne est une victime de la guerre et de la paix, et pour qui la démocratie parlementaire et libérale de la République de Weimar constitue un régime foncièrement antiallemand, devant être balayé pour que le pays reprenne la maîtrise de son destin. Pour cela, il faut un parti et un mouvement qui impliquerait une contre-société prête à se substituer à l’organisation sociale existante le moment venu. Continuer la lecture de « Mouvement »
Information
« C’est par des informations étendues et exactes que nous voudrions donner à toutes les intelligences libres le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde. La grande cause socialiste et prolétarienne n’a besoin ni du mensonge, ni du demi-mensonge, ni des informations tendancieuses, ni des nouvelles forcées ou tronquées, ni des procédés obliques ou calomnieux. Elle n’a besoin ni qu’on diminue et rabaisse les adversaires, ni qu’on mutile les faits. Il n’y a que les classes en décadence qui ont peur de toute la vérité :: et je voudrais que la démocratie socialiste, unie à nous de cœur et de pensée, fût fière bientôt de constater avec nous que tous les partis et toutes les classes sont obligés de reconnaître la loyauté de nos comptes rendus, la sûreté de nos renseignements, l’exactitude contrôlée de nos correspondances. »
Jean Jaurès, premier éditorial de L’Humanité, 1904
Pub
« L’irruption d’Internet a changé les équilibres financiers de la presse, c’est une évidence. Elle a mis celle-ci face au défi du gratuit, rebattu les cartes avec les publicitaires, créé de nouveaux kiosques mondiaux de l’information, comme les monstres américains Facebook et Google, dont la mainmise étrangle tout le monde. Mais elle n’a aucunement créé ex-nihilo ces problèmes financiers. Continuer la lecture de « Pub »
En même temps
Nommé chef du gouvernement, [Manuel Valls] était (…) devenu l’un des plus stupéfiants praticiens de ce qu’Orwell avait jadis appelé la « double pensée » . Assurer deux choses totalement contradictoires, et croire en même temps aux deux, avec la même conviction. Asséner avec force une idée, tout en appliquant exactement l’idée contraire, sans remarquer le moins du monde le problème. Affirmer, par exemple, la nécessité de suspendre certains droits démocratiques, et en même temps que le gouvernement est le gardien de la démocratie. Ce genre de torsions mentales semblait tout à fait spontané à Manuel Valls, qui s’était longtemps pris pour un Tony Blair français, avant de s’épanouir en héritier de Guy Mollet. Ainsi pouvait-il redouter la mort de la gauche, tout en réclamant la même années dans les colonnes de « l’Obsolète » que la gauche explosât enfin afin d’opérer une clarification. Ainsi pouvait-il piétiner le vote des parlementaires à grand renfort d’arbitraire, tout en affirmant que sa mission était de consolider la démocratie. Ainsi pouvait-il s’attaquer avec une brutalité sans équivalent au Code protecteur du travail, à seule fin affichée de donner plus de pouvoir aux travailleurs. Ses raisonnements étaient à la fois totalement tordus et absolument sincères. Continuer la lecture de « En même temps »
Dominants
« Les dominants peuvent se plaindre d’un gouvernement de gauche, ils peuvent se plaindre d’un gouvernement de droite, mais un gouvernement ne leur cause jamais de problèmes de digestion, un gouvernement ne leur broie jamais le dos, un gouvernement ne les pousse jamais vers la mer. La politique ne change pas leur vie, ou si peu. Ça aussi c’est étrange, c’est eux qui font la politique alors que la politique n’a presque aucun effet sur leur vie. Pour les dominants, le plus souvent, la politique est une question esthétique : une manière de se penser, une manière de voir le monde, de construire sa personne. Pour nous, c’était vivre ou mourir. »
Edouard Louis, Qui a tué mon père ?, Seuil, 2018.
Esprit de victoire ?
« Esprit de victoire » ?
N’en déplaise au néo-supporter (de très très fraiche date) Mélenchon, qui traite de « pisse-vinaigres » ceux qui — comme lui-même il n’y a pas si longtemps !— trouvent que le foot-spectacle est « l’opium du peuple », qui ne sont « pas très footeux« , et que ça a « toujours choqué de voir des RMIstes applaudir des millionaires », on peut — sans la mépriser aucunement ! — voir dans la liesse populaire suscitée par la victoire de l’équipe de France de football autre chose qu’un « esprit de victoire » : un exutoire.
Il y aurait tant à dire sur les besoins de défoulement d’une jeunesse confinée dans une vie de merde sans horizon et à qui il ne reste que le foot (et encore : une victoire tous les 20 ans !) pour se sentir (enfin, et très provisoirement) membre d’un collectif, pour vibrer en s’identifiant à de jeunes athlètes issus des mêmes quartiers qu’elle (avec tout ce que cela induit de projection et de fantasmes de « réussite » pour ceux à qui elle reste, pour la plus grande masse, structurellement interdite). Que d’énergies couvent dans cette cocotte-minute d’hormones adolescentes, de chaleur estivale, de désœuvrement, d’ennui, de violence sociale et de flicage raciste (à l’occasion de la finale de la coupe du monde, la RATP et la préfecture avaient tout bonnement interdit aux banlieusards d’Ile-de-France de se joindre à la fête !). Dès lors, il n’est guère étonnant que la casse et la violence aient ponctué la liesse, sous le regard voyeuriste des médias du Capital (et la fRance raciste obligée de faire profil bas le temps de la victoire d’une équipe nationale pas assez « européenne », c’est-à-dire « blanche », à son goût, y trouvera bien sûr de nouveaux prétextes à vomir sa haine des bronzés). Continuer la lecture de « Esprit de victoire ? »