Autonomie

“(…) l’autonomie, qu’est-ce donc sinon pousser aussi loin que possible la maîtrise réflexive de sa propre praxis ? L’un des acquis sans doute les plus précieux de l’oeuvre de Bourdieu, c’est que tous les univers sociaux ont à se réfléchir, et aussi à être réfléchis — du dehors. Du dehors, parce que les forces de la complaisance sont de redoutables ennemies de celles de la lucidité, et que la réflexivité s’exerce toujours au risque du déplaisir de ne pas se voir exactement conforme à l’idée qu’on se fait de soi-même. Pour que les choses soient tout à fait claires à ce sujet, je précise que l’univers intellectuel, comme nous l’a montré Bourdieu, n’échappe pas plus qu’un autre à ce devoir de réflexivité, ni à ce risque du déplaisir — on se souvient combien Homo Academicus avait fait scandale : parce qu’il avait fait offense. L’objectivateur n’est donc exonéré de rien et, s’il est bourdieusien, il sait qu’il est exposé à tout moment à ce qu’on lui retourne ses propres procédés, ceci d’ailleurs le plus légitimement du monde. Moyennant quoi l’exercice de l’objectivation devrait, pour tout le monde, n’être regardé que comme une hygiène intellectuelle, parfois même politique, élémentaire, et n’être soumis qu’aux critères intrinsèques de la qualité intellectuelle de l’objectivation.”

Frédéric Lordon, Vivre sans ?
Institutions, police, travail, argent
…, La fabrique, 2019, p.157

La peur de la bourgeoisie

“Il est incontestable que l’on peut faire n’importe quoi avec des mots comme “municipalité”, “communauté”, “assemblée” et “démocratie directe” ; en négligeant les différences de classe, d’éthique ou de sexe, on a réduit le sens de certaines notions comme celle de “peuple” au point d’en faire des abstractions vides de sens, voire obscurantistes. Il ne faut pas voir dans les assemblées de section de 1793 des structures unies qui auraient été forcées à entrer en conflit avec ces formations plus bourgeoises qu’étaient la Commune de Paris et la Convention nationale : ces assemblées de section constituaient elles-mêmes des terrains de lutte entre des couches possédantes et d’autres qui ne possédaient pas, entre royalistes et démocrates, entre modérés et radicaux. Il peut être tout aussi trompeur d’ancrer ces couches dans des intérêts exclusivement économiques que de ne tenir aucun compte des différences de classe et d’employer les mots de “fraternité”, de “liberté” et d’“égalité” comme s’ils ne représentaient souvent rien d’autre qu’une rhétorique creuse. Seulement, on a beaucoup écrit pour démythifier totalement les slogans humanistes des grandes révolutions “bourgeoises” ; on en a tellement fait, même, pour décrire ces slogans comme de simples réflexes étroits d’intérêts bourgeois que nous risquons surtout aujourd’hui de perdre entièrement de vue leur dimension populiste utopique. Après avoir tant analysé les conflits économiques internes qui divisèrent les révolutions anglaises, américaines ou françaises, les historiens de ces grands bouleversements nous rendraient un meilleur service à l’avenir en montrant la peur éprouvée par la bourgeoisie face à toutes les révolutions en montrant son conservatisme inné et son penchant naturel à traiter avec l’ordre établi.

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“L’esprit sain pue la connerie ! Vive Trotski !”

Dans le roman de Milan Kundera, La plaisanterie (1967), Ludvik Jahn, étudiant et militant communiste, est exclu du parti communiste tchèque, renvoyé de l’université et interné pour avoir, dans une carte postale destinée à une jeune étudiante qu’il courtisait, inscrit une phrase au second degré : « L’optimisme est l’opium du genre humain ! L’esprit sain pue la connerie ! Vive Trotski ! ».

Ancien communiste libertaire imprégné par les théories situationnistes, aujourd’hui écosocialiste autogestionnaire partisan du salaire à vie communiste et d’une stratégie de Front Populaire dans les urnes et dans la rue, je n’ai jamais été trotskiste. Pour moi, Trotski, c’était une sorte de Staline raté, massacreur de Kronstadt et de la makhnovtchina, et mes toutes premières expériences politiques ont été d’aller faire chier les dévôts de LO (Lutte Ouvrière) durant les cours de marxisme qu’ils prodiguaient dans mon bahut. Je répugnais même alors à lire 16 fusillés à Moscou de Victor Serge (dont je diffusais le texte aux éditions Spartacus dans les librairies dans le cadre d’un boulot d’objecteur de conscience auprès d’une ancienne mao spontex), parce que cet ancien libertaire proche de la bande à Bonnot avait trahi l’anarchisme en se ralliant au bolchevisme puis à Trotski contre Staline (j’ai heureusement fini par surmonter mes préjugés, et découvert que Victor Serge avait fini par se distancier du sectarisme de Trotski, ouf).
Toutefois, en étudiant l’histoire du mouvement ouvrier, j’avais évidemment plus de sympathie pour les mouvements proches du trotskisme comme le POUM espagnol ou le groupe “Socialisme ou Barbarie” que pour les “stals” défenseurs du bilan “globalement positif” de l’URSS. Par la suite, j’ai milité un peu au sein du groupe “Noir et Rouge” proche de l’OCL (Organisation Communiste Libertaire), j’ai participé à quelques actions antifascistes avec des groupes anarchistes, j’ai eu l’occasion de complexifier un peu ma vision du trotskisme (ou des trotskismes), mais aussi du communisme bureaucratique au contact de militants de la LCR, du NPA, mais aussi du PCF, croisés dans les luttes, notamment au sein du Front de Gauche ou dans le cadre antifasciste ou syndical (au sein d’un syndicat SUD). La lecture de Debord et des Situationnistes m’a rapproché du conseillisme. Mon bref passage au Parti de Gauche, ou plus récemment la lutte au sein des Gilets Jaunes avec des militants du POI (Parti Ouvrier Indépendant), m’a mis aussi en contact avec la tradition trotskiste “lambertiste” à l’égard de laquelle j’ai toujours de grandes réticences. D’abord partisan du revenu universel comme militant de la musique libre sous “Creative Commons” dans les années 2000, j’ai été ensuite convaincu par les thèses de Bernard Friot, contre lequel récemment un camarade du PCF (salarié du parti) me mettait en garde en me disant : “tu sais, Friot, c’est un vrai stal”. En prenant mes distances avec la France Insoumise, j’ai pu mesurer la capacité de haine sans frein de certains Insoumis qui n’ont pas manqué de me qualifier de “traître” à la solde de Macron, Le Pen voire des Illuminati. Et puis, encore plus récemment, un troll anti-Mélenchon forcené agissant avec une meute de militants du PCF m’a accusé d’être un “trotskiste”. Ça avait l’air très très grave. Et ça faisait de moi un “dissimulateur” par essence, qui avancerait forcément “masqué”. Nonobstant le ridicule de l’accusation et le côté franchement borderline de l’accusateur (ressemblant finalement beaucoup à l’objet de sa détestation), cela m’a amené à me repencher sur toute cette histoire de la gauche et du mouvement ouvrier parsemée d’anathèmes, d’excommunications, de haines recuites et de vendetta séculaire. Ce qui m’avait séduit dans le Parti de Gauche (que j’ai quitté depuis), c’était la notion de parti “creuset” qui semblait ambitionner de dépasser tous ces anciens clivages qui avaient rendu la gauche impuissante face à la contre-révolution néolibérale. Que reste-t-il aujourd’hui de ces vieilles querelles dogmatiques ? N’est-il pas temps de bâtir collectivement et démocratiquement (pour une fois), par la base (et non par la volonté d’un César ou de bureaucrates moisis), ce parti (ou mouvement, ou rassemblement, ou fédération, je m’en cogne) creuset dont nous avons besoin pour battre à la fois le néolibéralisme et le fascisme, et reprendre le cours de la longue révolution des communs dont la Révolution française, la Révolution russe, la Libération, mai 68 n’ont été que des étapes ?

Je n’ai hélas à ce sujet pas beaucoup de raisons d’être optimiste.

Du macronisme au fascisme

Cela faisait un moment que la dérive autoritaire du capitalisme néolibéral était visible, notamment par la violence de la répression contre les Gilets Jaunes ou le mouvement social de défense des retraites. Ugo Palheta, par exemple, a bien analysé cette “possibilité du fascisme“.

Mais les trolls macronards commencent à faire à présent leur coming out fasciste sur les réseaux antisociaux.

Exemple ici avec le troll François Noez, membre de LREM et des ridicules foulards bourges anti-Gilets jaunes :

Ça a le mérite d’être clair, non ?

No Pasaran !

Déficitaire, le régime de retraite des cheminots ?

Le régime spécial de retraite des cheminots serait déficitaire, hurlent les psychopathes macronards pour justifier la casse de TOUS les régimes de retraite par la contre-réforme de Macron. Mais si ce régime est déficitaire, obligeant l’Etat à mettre la main à la poche pour combler le trou (3,3 milliards en 2016, ce qui correspond d’ailleurs à ce que l’Etat a cédé aux riches en remplaçant l’ISF par l’IFI), c’est uniquement parce que des postes de cheminots ont été supprimés et le statut gelé pendant que l’Etat embauchait des contractuels et sous-traitait au privé. Du coup, les cheminots étant moins nombreux, leurs cotisations ne suffisent plus à équilibrer les pensions des cheminots à la retraite. A cause de cette politique idiote de libéralisation (qui nuit à la sécurité et à la qualité du service, comme l’ont prouvé le terrible accident de Brétigny, ou plus récemment celui des Ardennes), le nombre d’agents de la SNCF est passé de 303000 en 1970 à 150000 aujourd’hui, soit deux fois moins d’agents, qui doivent encore cotiser pour les pensions de 260000 retraités. S’il y avait toujours 300000 et quelque agents à la SNCF, leur régime de retraite ne serait pas déficitaire !

C’est donc l’Etat lui-même qui a rendu ce régime déficitaire. Pour retrouver l’équilibre, il suffirait de mettre fin à l’imbécile ouverture à la concurrence et de recruter de nouveaux cheminots. On en a besoin pour avoir un service public efficace et sécurisé. En attendant, il suffirait dans tous les cas de rétablir l’ISF pour financer l’aide d’Etat au régime de retraite des cheminots.

Lorsque les cheminots défendent leur statut, ils défendent l’intérêt général. Lorsqu’ils défendent leur régime de retraite, ils défendent la justice sociale, et leur grève actuelle est un instrument essentiel pour tous les salariés eux aussi en grève pour défendre leurs retraites contre le projet antisocial de retraite à points de Macron.

Branco ne manque pas d’huppé air

Depuis plusieurs jours, Juan Branco se répand sur les réseaux antisociaux en attaques extrêmement violentes contre François Ruffin. Exhibant un montage présenté comme une “exclu” (en fait une version tronquée d’un reportage de Radio Nova datant de 2016), il assène que François Ruffin se serait entendu avec Emmanuel Macron sur le dos de salariés, aurait mis en scène une fausse opposition et aurait simulé des sentiments. “Trahison !”, s’étrangle Branco, “la boule au ventre”, montrant au passage que pour ce qui est de surjouer des sentiments, il n’a peut-être rien à apprendre de personne.


En réalité, Ruffin n’a rien mis en scène et n’a trompé personne. Comme il l’explique dans un post Facebook (qui confirme des faits déjà rapportés par d’autres sources et par le reportage de Nova à l’époque-même des faits), lui et les salariés d’Ecopla ont harcelé Macron tant qu’il était ministre, puis sont montés à Paris pour essayer de médiatiser la lutte, dans le but de mobiliser l’opinion publique et les politiques afin que : “en gros, le tribunal de commerce voie qu’il y a un consensus quasiment national dans les différents partis, avec les différents candidats, y compris les différents syndicats et même le gouvernement pour dire que le meilleur dossier c’est celui d’Ecopla”. En effet, alerté par sa soeur, dirigeante d’une union locale de SCOP, Ruffin soutenait face à un tribunal de commerce rétif un projet de reprise en coopérative. La stratégie de Ruffin, élaborée avec les salariés, et clairement expliquée à Nova, supposait donc une campagne médiatique et politique large, pour obtenir que des politiciens de tous bords et le gouvernement lui-même finissent par soutenir le projet et que le tribunal de commerce finisse par trancher en faveur de celui-ci.
Ruffin et les Ecopla ont donc fait la fête de l’Huma, ont eu un rendez-vous au ministère à Bercy et sont allés emmerder plusieurs candidats à la présidentielle pour attirer l’attention sur leur cause. Entre Montebourg, Juppé et Sarkozy, ils sont tombés sur Macron, l’ont engueulé (aucune mise en scène là-dedans, comme en témoigne le reportage intégral de Nova) et ont obtenu de celui-ci qu’il reconnaisse qu’il n’avait rien fait pour sauver la boîte. C’est alors que, comme ça se fait souvent dans les luttes (mais Branco qui n’a peut-être pas mené beaucoup de luttes sociales dans sa vie l’ignore sans doute), Ruffin offre une porte de sortie à la fois honorable pour Macron et avantageuse pour les salariés en lui proposant une stratégie en plusieurs étapes : d’abord il y a la prise de contact en cours et les salariés ressortent “pas contents” (avec son ironie coutumière, Ruffin ne fait que décrire une réalité : lui et les salariés ne sont effectivement pas contents, mais au lieu de l’exprimer au premier degré, il se met comme dans ses films “à la place de” et l’exprime de la façon dont les médias et le public, qu’il s’agit bien de sensibiliser, pourront le percevoir), ensuite Macron s’occupe du dossier (c’est-à-dire fait jouer ses réseaux d’ex-ministre au sein de l’Etat), puis on se revoit et Macron rend compte de ce qu’il aura fait. Macron fait mine d’accepter le plan de route, sans prendre pour autant aucun engagement ferme.
Le soir-même, Ruffin et les Ecopla vont quand-même faire chier Macron devant son meeting (ce n’est pas de la mise en scène : ils continuent à lui foutre la pression et à essayer de faire connaître leur lutte). Deux mois plus tard, Ruffin étrille encore Macron dans Fakir, dans un dossier sur Ecopla.
Malheureusement, le projet de SCOP qu’il défendait n’aboutit pas, et après une tentative de partenariat avec un repreneur, les salariés jettent l’éponge en mars 2017.
La scène avec Macron n’aura été qu’un épisode parmi plein d’autres dans cette longue lutte, et aura juste servi un peu à la faire connaître.
Macron n’en a tiré aucun bénéfice électoral, Ruffin non plus (il était candidat en Picardie et Ecopla est en Isère). Le projet a échoué mais méritait d’être soutenu : le précédent des Fralib permettait d’espérer un meilleur dénouement que celui des Whirlpool.

Ajoutons que les premiers concernés semblent reconnaissants envers Ruffin, encore 3 ans après, et malgré l’échec.

Alors, quelle mouche a piqué Branco ? Pourquoi repeindre ainsi Ruffin en traitre manipulateur et simulateur ? Pourquoi tant de haine ? Mystère.
Purisme gauchiste de grand bourgeois converti au romantisme révolutionnaire mais totalement ignorant de la réalité des luttes syndicales ?
Complètement bloqué dans son délire, Branco s’enfonce post après post, vidéo après vidéo, malgré les commentaires le plus souvent navrés des internautes. Il va même jusqu’à prétendre que la récente confrontation entre Ruffin et Macron à Amiens devant les ex-salariés de Whirlpool serait du “chiqué”, et aurait été “négociée”, ce qui est une accusation à la fois gratuite et idiote : bien évidemment, Ruffin, député local, ne surgit pas par surprise devant le président ; l’événement a été organisé, et chacun essaie d’y faire valoir son point de vue. Cela ne signifie nullement que leur opposition soit feinte.
Dans un “Facebook live” du 28 novembre 2019, Branco va même jusqu’à insinuer que Ruffin tairait le rôle qu’a joué sa soeur dans l’histoire d’Ecopla. J’ai été intrigué par ce détail : que voulait suggérer Branco et qu’y a-t-il de gênant à ce que la soeur de Ruffin se soit impliquée dans le dossier Ecopla ? Après une petite recherche sur internet, j’ai trouvé qu’une vidéo postée le 15 novembre 2018 par un compte baptisé “Le Frexit” avait déjà soulevé beaucoup de sous-entendus au sujet de la soeur de Ruffin.

On notera avec amusement la contradiction dans ce délire à la tonalité complotiste : Ruffin cacherait cette mystérieuse soeur qui a été camarade de classe de Macron à Amiens et qui dirige une SCOP, mais la vidéo s’appuie sur des sources qui montrent en fait que l’existence de cette soeur et son parcours sont de notoriété publique et que Ruffin n’a jamais rien caché à ce sujet. On sourira aussi au fait que la vidéo qui ne s’appuie que sur des articles et documents déjà publics est présentée comme un “scoop exclusif”, un peu comme le pauvre montage faisandé de Branco présenté comme une “exclu”.
Quant au compte Youtube diffuseur de ce “scoop exclusif”, “Le Frexit”, il se défend d’être lié à l’UPR, le groupuscule nationaliste dont le frexit est le fétiche suprême, mais semble tout de même publier, outre des attaques contre Ruffin, moult éloges d’Asselineau, le gourou de l’UPR.

La vidéo de Branco, de son côté, a été copiée et mise en ligne telle quelle (avec un titre encore plus mensonger) dès le 26 novembre 2019 (le même jour que la première diffusion sur le compte Youtube de Branco) par un compte Youtube baptisé “Collège européen”, dont l’orientation laisse peu de place au doute.

Coïncidence ? 😎

Bon, comme on n’est pas aussi barré que Branco, on n’ira pas jusqu’à chouiner, “la boule au ventre”, qu’il n’est devenu qu’un gros troll de l’UPR, mais on ne peut que constater qu’il en a adopté le style. A tout prendre, malgré de récurrentes erreurs qu’il a d’ailleurs le mérite de reconnaître (celle-ci ou celle-ci, par exemple), et malgré un sens du spectacle et une personnalisation qui peuvent avoir leurs limites, on lui préférera le style Ruffin, moins huppé, plus sincère, et plus utile dans nos luttes.

Etat démocratique

“L’Etat nouveau, l’Etat démocratique ne se réclame plus d’un principe traditionnel, il ne se réclame plus d’une consécration surnaturelle ou d’une légitimité historique ; il ne se légitime lui-même, il ne se justifie lui-même que par le droit des individus garanti par lui ; il se définit lui-même comme le contrat implicite des volontés libres et égales, cherchant dans sa souveraineté la garantie de leur libre développement.”

Jean Jaurès, Discours à la chambre des députés,
Séance du jeudi 3 mars 1904,
in L’Eglise et la laïcité, Spartacus, 1946

Laïcité

“C’est l’idée du droit que je veux invoquer mais non pas sous sa forme abstraite. Le droit ne peut être séparé du mouvement social, et je veux rechercher comment, depuis un siècle, depuis la Révolution, s’est noué le problème et comment nous pourrons et nous devrons le dénouer dans une démocratie républicaine où le socialisme grandit et où le christianisme, puissant encore, a droit comme croyance à l’absolue liberté.”

Jean Jaurès, Discours à la chambre des députés,
Séance du jeudi 3 mars 1904,
in L’Eglise et la laïcité, Spartacus, 1946

Enfer

“Il n’est pas nécessaire d’avoir passé beaucoup de temps dans les institutions-organisations pour s’apercevoir que les enjeux de pouvoir y perturbent sans cesse les enjeux fonctionnels, c’est même presque enfoncer une porte ouverte. Certains universitaires, on voit très vite lesquels, se prennent de passion pour une direction d’UFR, puis de département, puis le désir de la présidence d’université les saisit, enfin il faudra envisager des positions directoriales au ministère, et dans cette trajectoire qui a irréversiblement bifurqué, il n’est plus question de recherche : il n’est plus question que des manoeuvres propres à faire parvenir, quitte d’ailleurs à ce que, collatéralement, elles deviennent une nuisance pour la recherche. Ce qu’elles ne peuvent pas manquer de devenir en fait, puisqu’elles n’ont plus pour logique la recherche.

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Communautarisme

“Les ravages du chômage et la paupérisation des cités de banlieue ont aggravé le processus que Robert Castel a appelé la “désaffiliation”. […] Dans son livre sur l’antisémitisme, Anatole Leroy Beaulieu avait noté que “l’esprit de tribu” se réveille aujourd’hui chez les juifs parce que “l’antisémitisme les contraint, de nouveau, à se serrer les uns contre les autres. […] L’assimilation, qui était en train de s’opérer petit à petit, s’est trouvée arrêtée par ceux-là mêmes qui reprochent aux juifs ne ne pas s’assimiler”. Le repli communautaire constitue en effet une ressource pour ceux qui cherchent à échapper aux souffrances de l’anomie et de la stigmatisation. le même phénomène s’est reproduit pour les immigrants juifs pendant la crise des années 1930, et on le constate de nos jours dans une petite partie de la communauté musulmane.

La principale différence tient au fait que les précédentes crises n’ont pas duré très longtemps car elles ont débouché à chaque fois sur une guerre mondiale, alors que la paupérisation des villes les plus déshéritées de nos banlieues dure depuis plus de quarante ans. On est donc passé d’une situation conjoncturelle à une situation structurelle. C’est ce nouveau contexte qu’un petit nombre d’activistes se réclamant de l’Islam tentent d’exploiter à leur profit.”

Gérard Noiriel, Le venin dans la plume,
Edouard Drumont, Eric Zemmour et la part sombre de la République,
La Découverte, 2019

Le “problème de l’immigration”

“Sur le plan politique, ce qu’il faut surtout retenir des mutations qui se sont produites depuis les années 1980, c’est le décalage croissant entre la mondialisation des échanges économiques, culturels, sportifs et l’ancrage toujours national de l’espace politique, en dépit de l’intégration européenne. La compétition qui oppose les politiciens entre eux pour la conquête du pouvoir d’Etat les oblige tous à parler au nom des Français, en prenant leur défense contre les menaces extérieures censées peser sur eux.

C’est parce que l’Etat national est toujours le cadre fondamental de notre vie politique que le “problème de l’immigration”, né à la fin du XIXe siècle, est resté un argument majeur de la droite et de l’extrême-droite. Ce qui frappe l’historien qui s’est penché sérieusement sur cette question, c’est le caractère répétitif de ces débats, même si le vocabulaire et les groupes montrés du doigt ont changé, en fonction de l’actualité. L’antisémitisme ayant débouché sur le génocide des juifs, au moment du nazisme, il ne pouvait plus être un argument efficace pour alimenter le fonds de commerce de la droite nationaliste. Avec l’effondrement du communisme, il fut de plus en plus difficile de faire croire aux Français que la nation était menacée par des Bolcheviks obéissant aux ordres du Kremlin.

En 1978-1979, la révolution iranienne inaugura une ère nouvelle qui permit aux nationalistes de remplacer le communisme par l’islamisme. les attentats perpétrés par des terroristes se réclamant de l’islam contribuèrent fortement à accréditer leurs discours dans l’opinion. Cette tendance fut confortée par le fait que, dans les cités de banlieue, les formes anciennes d’encadrement des classes populaires s’effondrèrent, ne laissant souvent aux musulmans que la religion comme planche de salut.”

Gérard Noiriel, Le venin dans la plume,
Edouard Drumont, Eric Zemmour et la part sombre de la République
,
La Découverte, 2019

Virus

“Le virus de l’information à outrance nous a pénétrés jusqu’aux os et nous sommes comme des alcooliques qui dépérissent dès qu’on leur supprime le poison qui tue.”

Préface d’Emile Zola, à Charles Chincholle,
Mémoires de Paris, Librairie moderne, 1889

Antisémitisme et islamophobie

“J’utilise les termes “antisémitisme” et “islamophobie” dans un sens neutre. Ils désignent les discours qui généralisent à toute une communauté religieuse des propos ou des comportements qui ne concernent qu’une infime minorité de leurs membres. Cela n’empêche pas que l’on puisse porter un regard critique sur les dogmes religieux, les politiques qui s’en réclament ou les comportements des personnes qui s’identifient comme “juif” ou “musulman”.

Gérard Noiriel, préface de Le venin dans la plume,
Edouard Drumont, Eric Zemmour et la part sombre de la République,
La Découverte, 2019.

Cocotte-minute

“Nous vivons, pour la première fois, dans une société où l’immense majorité des enfants qui viennent au monde sont des enfants désirés. Cela entraîne un renversement radical : jadis, la famille “faisait des enfants”, aujourd’hui, c’est l’enfant qui fait la famille. En venant combler notre désir, l’enfant a changé de statut et est devenu notre maître : nous ne pouvons rien lui refuser, au risque de devenir de “mauvais parents”…

Ce phénomène a été enrôlé par le libéralisme marchand : la société de consommation met, en effet, à notre disposition une infinité de gadgets que nous n’avons qu’à acheter pour satisfaire les caprices de notre progéniture.

Cette conjonction entre un phénomène démographique et l’émergence du caprice mondialisé, dans une économie qui fait de la pulsion d’achat la matrice du comportement humain, ébranle les configurations traditionnelles du système scolaire. (…)

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Nature

“Nous sommes la nature qu’on défonce.
Nous sommes la Terre qui coule, juste avant qu’elle s’enfonce.
Nous sommes le cancer de l’air et des eaux, des sols, des sèves et des sangs.
Nous sommes la pire chose qui soit arrivée au vivant. Ok. Et maintenant ?
Maintenant, la seule croissance que nous supporterons
Sera celle des arbres et des enfants.
Maintenant nous serons la nature qui se défend.”

Alain Damasio, Les Furtifs, La Volte, 2019

Prof

Aujourd’hui, j’ai appris que le petit Jim avait foutu une baffe à une surveillante. Du coup, il va passer en conseil de discipline…
Cela me désole d’autant plus que je sentais depuis plusieurs jours qu’il commençait à saturer, que le bruit des autres le gênait, qu’il se mettait à interpréter tout geste comme une agression. J’avais vu les signes, et on m’avait averti qu’il pouvait avoir des accès de violence, mais je ne le connaissais pas encore assez pour anticiper les conséquences, et puis qu’aurais-je pu faire ? Au bahut, on n’a pas de médecin scolaire, pas de psychologue, pas de personnel formé et disponible avec qui ce type d’élève pourrait passer un moment, loin de la pression du groupe (l’unique infirmière est également débordée et pas présente sur tout le temps scolaire). Alors on le garde en classe, Jim, bien qu’il ait besoin de calme et qu’au sein du groupe il y ait quelques hyperactifs avec trouble de déficit de l’attention plutôt remuants, avec qui la cohabitation est difficile.

Je repense aux cuistres qui crachaient cet été sur Greta Thunberg, ne comprenant pas qu’on puisse accorder le moindre crédit à la parole d’une autiste, poussant même la cuistrerie jusqu’à s’indigner de ne pouvoir la critiquer du fait de son autisme (tout en la traitant en même temps de cyborg). Que diraient-ils de Jim, qui est aussi dyspraxique, dyslexique, dyscalculique (oui, il fait la collec des dys, mon Jim) ? Avec de surcroît son problème d’élocution, son autisme à lui passerait moins la rampe que l’Asperger de Greta. Cela n’empêche que l’autre jour, Jim m’a expliqué du haut de ses 14 ans à quel point il était opposé à toute fusion des Hauts-de-Seine avec les Yvelines, ainsi qu’à la réduction du nombre de parlementaires voulue par Macron. Et puis, avec son conseil de discipline, il risque de faire bientôt malgré lui comme Greta avec sa grève de l’école. Encore que l’Education nationale trouvera bien à le recaser quelque part, dans un bahut aux classes surchargées, sans médecin scolaire…



Je repense à la panique de Jim à chaque fois qu’il y a un léger changement dans son emploi du temps. Alors changer de bahut en cours d’année…

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