Police

“Cela ressemble à une loi physique. Plus l’ordre social perd de son crédit, plus il arme sa police. Plus les institutions se rétractent, plus elles avancent de vigiles. Moins les autorités inspirent de respect, plus elles cherchent à nous tenir en respect par la force. Et c’est un cercle vicieux parce qu’à la croissante débauche de force répond une efficacité toujours moindre de celle-ci. Le maintien de l’ordre est l’activité principale d’un ordre déjà failli.”

Comité invisible, Maintenant, La Fabrique, 2019, p.109

Violence

“C’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé qui détermine la forme de lutte. Si l’oppresseur utilise la violence, l’opprimé n’aura pas d’autre choix que de répondre par la violence. Dans notre cas, ce n’était qu’une forme de légitime défense.”

Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté, 1996

Ennemi intérieur

C’est donc gagné pour les black blocs, leur démonstration est faite. Leur stratégie de toujours est de démontrer, en organisant l’affrontement systématique avec les forces de l’ordre, que la nature profonde de tout État capitaliste est autoritaire ou dictatoriale. Nous y sommes, l’État mobilise la troupe pour endiguer et mieux réprimer un mouvement social désormais considéré comme « un ennemi intérieur », seul motif d’engagement de l’armée sur le territoire national, comme l’ont rappelé les successifs livres blancs sur la défense.”

François Bonnet, “Emmanuel Macron, le vertige autoritaire”,
Médiapart, 21 mars 2019

Scénario

“Les traités actuels et tous les précédents ne peuvent être modifiés qu’à l’unanimité des Etats membres ou ne prévoient pas de procédure de révision. Mais il est faux d’en déduire l’impossibilité de réformer l’Union. L’expérience le prouve : au lieu d’utiliser la procédure de révision à l’unanimité, les Etats membres ont contourné cette difficulté en empilant les traités.

Notre stratégie d’insoumission est une stratégie diplomatique, avec pour vis-à-vis des gouvernements des autres Etats membres, qui seront tantôt des alliés, tantôt des adversaires. En d’autres termes, nous engagerons un processus de négociation fondé simultanément sur un rapport de forces et sur des jeux d’alliances évolutifs. Nos interlocuteurs ne seront pas des statues de sel, muettes, et le résultat final sera le fruit de nos interactions. Cette stratégie doit donc, pour couvrir les cas de figure prévisibles, prendre la forme d’un scénario à tiroirs. (…)

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Droit

“L’un des aspects les plus remarquables du processus de fragmentation en cours est qu’il touche cela même qui jusque-là devait assurer le maintien de l’unité sociale : le Droit. Législations antiterroristes d’exception, mise en pièces du droit du travail, spécialisation croissante des juridictions et des parquets, le Droit n’existe plus. (…) L’objet des grands projets de loi des dernières années en France se résume quasiment à l’abolition des lois en vigueur, au démantèlement progressif de toute garantie juridique. Si bien que le Droit, qui prétendait protéger les hommes et les choses devant les aléas du monde, est plutôt devenu ce qui ajoute à leur précarité.”

Comité invisible, Maintenant, La Fabrique, 2017, p. 33-35

Opting out

“L’Union européenne n’est pas un super-État dont la volonté, inexorable, s’imposerait aux États membres. Elle n’est pas non plus un État fédéral, détenteur d’une souveraineté européenne. En réalité, elle est une organisation internationale : son existence est fondée sur des traités, au même titre que l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), par exemple. De fait, ses membres conservent leur souveraineté ; ils n’obéissent à ses règles que parce qu’ils y ont consenti en adoptant ses traités.

Désobéir est légal. Cela s’appelle une option de retrait. Par ce mécanisme, un État peut décider souverainement qu’il se soustrait à une partie des règles de l’Union européenne. Il peut négocier une option d’emblée — ainsi, lorsque les accords de Schengen devinrent partie intégrante des règles de l’Union à la suite du traité d’Amsterdam, le Royaume-Uni et l’Irlande obtinrent de ne pas les appliquer. Il peut aussi la négocier après coup : le Royaume-Uni avait par exemple obtenu de ne pas être justiciable de la charte sociale européenne en 1989 (il l’acceptera quelques années plus tard). Cette option de retrait peut également être décidée par un État membre sans négociation. En 2003, la Suède organisa un référendum national sur l’euro ; le « non » ayant récolté 56 % des voix, elle annonça à la Commission européenne qu’elle n’adopterait pas cette monnaie, ce qui constitue une option de retrait sans négociation. La riposte de la Commission fut foudroyante : elle en prit acte.

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Nasse

“La nasse ne constitue pas seulement une technique de guerre psychologique que le maintien de l’ordre français a tardivement importée d’Angleterre. La nasse est une image dialectique du pouvoir présent. C’est la figure d’un pouvoir méprisé, honni, et qui ne fait plus que retenir la population dans ses filets. C’est la figure d’un pouvoir qui ne promet plus rien, et n’a d’autre activité que de verrouiller toutes les issues. D’un pouvoir auquel plus personne n’adhère positivement, que chacun tente à sa manière de fuir, et qui n’a d’autre perspective panique que de maintenir dans son giron borné tout ce qui , incessamment, lui échappe. Dialectique, la figure de la nasse l’est en ceci que ce qu’elle a vocation à enfermer, elle le rassemble aussi. Des rencontres s’y produisent entre ceux qui tentent de déserter. Des chants inédits et plein d’ironie en naissent. Une expérience commune s’y fait. Le dispositif policier est inapte à contenir la sortie verticale qui s’y produit sous la forme de tags qui ne tardent pas à consteller chaque mur, chaque abribus, chaque commerce. Et qui témoignent de ce que l’esprit, lui, reste libre, même quand les corps sont retenus.”

Comité invisible, Maintenant, La Fabrique, p.31

Commentaires

“Ce monde n’est plus à commenter, à critiquer, à dénoncer. Nous vivons environnés d’un brouillard de commentaires et de commentaires sur les commentaires, de critiques et de critiques de critiques, de révélations qui ne déclenchent rien, sinon des révélations sur les révélations. Et ce brouillard nous ôte toute prise sur le monde.”

Comité invisible, Maintenant, La Fabrique, 2017, p.8

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Mode

“La bourgeoisie a toujours bon goût puisque le bon goût se définit par le fait que c’est le sien. Elle ne saurait déroger au dress code qu’elle fixe. Un prolo débarquant en sous-pull jaune dans une soirée commet une faute de goût, un bourgeois pareillement attifé vient de redéfinir le code.”

François Bégaudeau, Histoire de ta bêtise, Pauvert, 2019, p.124

Fonctionnaire

“Nous autres fonctionnaires pervers refusions de rallier la sphère privée. Nous travaillerions puisque telle était la règle d’airain, mais autant que possible sans intégrer le marché du travail. Cette prévention contre la marchandisation de nos neurones n’était pas morale mais vitale. Je voulais qu’une partie de moi s’adonne indéfiniment à la joie gratuite de s’écouter penser.

J’ai volontiers laissé mon corps conditionné s’orienter d’instinct vers la fonction publique. J’avais besoin de la sécurité de l’emploi et d’une rémunération constante découplée de mes performances. Tu nous soupçonnes de paresse, tu as raison et tort : nous sommes des employés traîne-savates et des bosseurs fous. Je voulais lambiner au turbin pour turbiner du cerveau. Je voulais m’acheter des heures d’esprit libre, libre de calculs de valorisation de ma force de travail. Je voulais ménager, dans mon quotidien, des espaces de disponibilité non lucrative à l’art. Et à la pensée.”

François Bégaudeau, Histoire de ta bêtise, Pauvert, 2019, p.150

Idéologie

“La fin des idéologies dont tu rebats mes oreilles depuis la maternité, c’est la fin du communisme. Qui se fête, et tu ne t’en es pas privé, car, les idéologies finissant, les gouvernants-managers peuvent enfin régir le pays en toute rationalité, sanzidéologie. La fin des idéologies c’est le début de toi, capable de diagnostics non faussés par les biais cognitifs du dogme. Toi tu es pragmatique, tu administres sans a priori, butinant à droite et à gauche des solutions qui marchent en concertation avec des collaborateurs qui n’ont de religion que celle du résultat. Toi tu fais de l’économie, pas de l’idéologie.

Tout ce prêche étant délivré dans l’ignorance plus ou moins feinte qu’il n’y a pas opinion plus ajustée à une position de classe, la tienne, que celle qui professe la fin des opinions ; qu’il n’y a pas de chant plus idéologique que celui de la fin des idéologies.

L’idéologie c’est toi. Marx a inventé le concept pour toi.”

François Bégaudeau, Histoire de ta bêtise, Pauvert, 2019, p.76

Populisme

“Tu ne vas plus tarder à parler du populisme. C’est le populisme qui t’a mis la boule au ventre. Sa montée. Tu disais : la montée du populisme. C’est qu’en 2016 il y avait eu Trump et le Brexit. Tu avais pris le pli un rien paranoïaque — complotiste ? — de ficeler les deux événements, suggérant un ras-de-marée planétaire. Après Trumpetlebrexit, après Orban en Hongrie et son clone en Pologne, l’accès de Le Pen à l’Elysée devenait possible, puisque tous ces phénomènes étaient dûment agglomérables sous le nom de populisme.
Que ce substantif soit devenu un fleuron de ton industrie du prêt-à-nommer est un premier indicateur du fait qu’il ne signifie rien.

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Président

“Je ne vous veux plus comme président, c’est évident. Mais je ne veux plus de président, tout court, plus de président-soleil, astre autour duquel la vie tourne, avec sa cour et ses députés-toutous, président qui concentre en lui (presque) tous les pouvoirs, plus intelligent que soixante millions d’habitants, et qui se prend tantôt pour “la figure du roi absent”, tantôt pour “quelque chose de napoléonien”, le président-despote, comme Montesquieu définissait le despotisme : ce “régime où un seul entraîne tout par sa volonté et par ses caprices”. Un président pour les 14 juillet et les 11 novembre, ça, je veux bien, un président pour les flonflons et les inaugurations. Mais c’est une folie, sinon, le mesurez-vous ?

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Posturalisme

“Comme son nom l’indique, le posturalisme a pour unique ressort la recherche des postures – avantageuses il va sans dire, et si possible bon marché, car le posturalisme est aussi régi par un robuste principe d’économie, et cherche la maximisation des bénéfices symboliques par la minimisation de l’effort intellectuel. Il s’ensuit que, de même que l’existentialisme était un humanisme, le posturalisme est un illettrisme – il ne sait pas lire : on peut lui mettre sous le nez autant qu’on veut des textes, des arguments, des mises au point, ça ne passe pas la barrière de la posture. Pour le coup no pasaran ! Mais ce ne sont pas les fascistes qui ne passent pas – avec de pareils opposants, ceux-là ont les meilleures chances de passer, et comme dans du beurre. Non, ce qui ne passe pas, c’est la moindre intelligence dialectique, et le moindre effort d’échapper à une désolante stéréotypie.”

Frédéric Lordon, Leçons de Grèce à l’usage d’un internationalisme imaginaire (et en vue d’un internationalisme réel), 2015

Fake news

“(…) les fake news viennent aussi bien de la population, de la société civile, que du gouvernement. Du côté des autorités, des ministres et des députés, on voit partir des fausses nouvelles comme la légende de la personne effectuant un salut nazi sur les Champs-Elysées, démontrant ainsi par l’image que le mouvement est synonyme de la peste brune (alors qu’il s’agissait d’un brave pépère qui faisait un “Ave Macron” ironique)…, ou des policiers défigurés à l’acide par les manifestants. Nouvelles qui sont parfaitement fausses et que certains députés et ministres devraient vérifier avant de les partager sur Internet et dans les médias traditionnels.

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Guerre civile

“Il est piquant de voir d’anciens dirigeants vedettes de Mai 68, ayant par exemple écrit en 1969 “Vers la guerre civile” ou fantasmé sur la lutte armée comparer la douceur quasi évangélique de Mai à la brutalité des manifestants (non déclarés en préfecture !) cinquante ans plus tard.”

François-Bernard Huyghe, Xavier Desmaison et Damien Liccia,
Dans la tête des Gilets Jaunes, V.A. éditions, 2018

Monarchie

“Tout à l’Elysée est basé sur ce que l’on peut vous prêter en termes de proximité avec le chef de l’Etat. Est-ce qu’il vous a fait un sourire, appelé par votre prénom, etc. C’est un phénomène de cour.”

Alexandre Benalla,
cité par Gérard Davet et Fabrice L’Homme,
Le Monde du 26 juillet 2018

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