“On conviendra sans trop de peine que seul l’Homo sapiens peut parler de choses qui n’existent pas vraiment et croire à six choses impossibles avant le petit déjeuner. Jamais vous ne convaincrez un singe de vous donner sa banane en lui promettant qu’elle lui sera rendue au centuple au ciel des singes. Mais pourquoi est-ce important ? Somme toute, la fiction peut dangereusement égarer ou distraire. Les gens qui vont dans la forêt en quête de fées ou de licornes sembleraient avoir moins de chance de survie que ceux qui cherchent des champignons ou des cerfs. Et si vous passez des heures à prier des esprits tutélaires inexistants, ne perdez-vous pas un temps précieux qui serait mieux employé à fourrager, vous battre ou forniquer ?
Or, c’est la fiction qui nous a permis d’imaginer des choses, mais aussi de le faire collectivement. Nous pouvons tisser des mythes tels que le récit de la création biblique, le mythe du Temps du rêve des aborigènes australiens ou les mythes nationalistes des Etats modernes. Ces mythes donnent au Sapiens une capacité sans précédent de coopérer en masse et en souplesse. Fourmis et abeilles peuvent aussi travailler ensemble en grands nombres, mais elles le font de manière très rigide et uniquement avec de proches parents. Loups et chimpanzés coopèrent avec bien plus de souplesse que les fourmis, mais ils ne peuvent le faire qu’avec de petits nombres d’autres individus qu’ils connaissent intimement. Sapiens peut coopérer de manière extrêmement flexible avec d’innombrables inconnus. C’est ce qui permet de diriger le monde pendant que les fourmis mangent nos restes et que les chimpanzés sont enfermés dans les zoos et les laboratoires de recherche.”
Yuval Noah Harari, Sapiens,
Une brève histoire de l’humanité, Albin Michel, 2015