En plein mouvement social contre Macron et son monde, le voile islamique porté par Maryam Pougetoux, représentante du syndicat étudiant UNEF à l’université Paris IV, déclenche des réactions peu surprenantes (mais néanmoins sidérantes) à droite (notamment de la part du sinistre Gérard Collomb) et divise, hélas, également à gauche, éclipsant du coup malheureusement les raisons de la mobilisation contre la loi ORE.
J’ai l’impression qu’avec ce genre de cas, on opère une confusion entre plusieurs questions qui ne devraient pas être amalgamées, confusion qui ne sert qu’à hystériser le débat au sein du camp de l’émancipation, pour la plus grande joie des dominants.
La question de la laïcité :
Elle est instrumentalisée par un pouvoir qui se révèle de plus en plus comme un pouvoir réactionnaire de droite extrême. La laïcité n’interdit pas aux citoyens de porter des signes extérieurs de religiosité et ne leur interdit absolument pas le prosélytisme. Il ne manquerait plus que ça ! De même qu’un.e militant.e politique a heureusement le droit de faire du prosélytisme pour son organisation politique, un.e croyant.e a parfaitement le droit de faire du prosélytisme pour sa secte. Et bonne nouvelle : un.e athée a de même tout à fait le droit de faire du prosélytisme et de critiquer prophètes, gris-gris et accoutrements religieux. J’ai donc moi-même le droit de dire qu’il n’y a pas plus d’Allah que de père Noël ou de beurre en broche, et de blasphémer contre les divinités, les prophètes et les totems que les marchands d’illusion s’obstinent à vouloir nous vendre pour légitimer la domination patriarcale et les obsessions morbides de peine-à-jouir barbus ou calottés. La controverse religieuse, comme philosophique ou politique, relève du champ de la liberté d’expression, limité seulement par les nécessités du service public, de la neutralité de l’Etat et du maintien de l’ordre public. Collomb n’a pas à dénier à cette jeune fille le droit de faire éventuellement du prosélytisme pour sa religion ni de simplement l’afficher. Opposer le port du voile à la « culture française » est également parfaitement débile et relève du propos de beauf raciste de fin de banquet. Thérèse de Lisieux, Soeur Sourire, etc. ce n’est pas ma tasse de thé, mais il faudrait vraiment être à la masse pour les exclure de la culture française pour cause de torchon sur la tête. Collomb fait juste du Le Pen. Honte à lui.
La question syndicale :
Un syndicat n’est pas un organisme d’Etat. Il n’est pas le moins du monde soumis à interdiction de prosélytisme religieux. C’est au syndicat de décider si l’affichage d’une appartenance religieuse est compatible avec ses statuts et ses idées. Apparemment, pour l’UNEF actuelle, cela l’est (mais pas pour les ancien.ne.s de l’UNEF ou de l’UNEF-ID comme Dray, Mélenchon, Julliard ou Hamon, qui ont bien le droit de la désapprouver, mais qui ne sauraient dicter sa ligne à l’actuelle génération étudiante). Et cette jeune fille, interrogée par Buzzfeed sur les positions de l’UNEF quant à l’avortement ou la PMA, ne se pose pas en contradiction avec son syndicat (s’il est communément admis que les grandes religions monothéistes véhiculent généralement un message pudibond réactionnaire en matière de moeurs, de sexualité et de procréation, on peut aussi noter que, contrairement au catholicisme, l’Islam n’a pas un chef religieux délivrant pour la terre entière des consignes anti-avortement ou anti-contraception) et semble reprendre à son compte, malgré son hijab, les valeurs progressistes de son syndicat : « Oui, l’Unef revendique certaines valeurs, et ce sont des valeurs qui sont partagées majoritairement dans la société ».
Il appartient aussi au syndicat de décider s’il est opportun stratégiquement d’avoir comme porte-parole quelqu’un qui affiche sa religion via un symbole patriarcal. J’imagine que l’UNEF a considéré ou bien que la question ne se posait pas (ce qui marque une rupture par rapport à sa position de 2013, qui a depuis disparu du site de l’Unef, hostile au port du voile à l’université « qui enferme les femmes dans une situation de soumission par rapport aux hommes ») ou bien qu’un tel affichage pourrait lui permettre de toucher une partie de la population qu’on voit peu souvent (et tout le monde à gauche s’en désole) dans les instances politiques ou syndicales. Personnellement, en tant qu’athée prosélyte assumé et matérialiste considérant la religion comme l’opium du peuple, j’aurais tendance à penser que mon propre syndicat ne doit pas être représenté par une personne affichant une appartenance religieuse. Mais je reconnais tout à fait aux militants de l’UNEF actuelle (même malgré les grognements des ancien.ne.s) le droit de faire un autre choix et je peux tout-à-fait considérer cette représentante de l’UNEF, malgré notre divergence philosophique, comme une camarade de lutte contre Macron et son monde.
La question du contexte de persistance voire (re)montée du racisme :
Les musulmans sont stigmatisés en France, et les crimes djihadistes ne font bien sûr qu’attiser une peur de l’Islam qui mêle de façon paradoxale le vieux racisme anti-arabe hérité du colonialisme, le fond républicain bouffeur de curés (donc aussi d’imams), la haine de l’Islam issue du catholicisme des croisades et celle qui imprègne aussi la communauté juive rendue paranoïaque par la propagande pro-israélienne et anti-palestinienne. Les réactions comme celle de Collomb, mais aussi hélas d’une partie de notre camp vociférant sa haine (plus qu’une vague gêne) contre cette jeune fille relèvent bien d’une forme de racisme. Quand l’ex-évêque Gaillot était de nombre de luttes de la gauche au point d’en devenir souvent pour les médias un des porte-parole, on n’adhérait pas forcément à ses bondieuseries mielleuses, mais on ne se demandait pas s’il avait sa place dans nos luttes de mécréants. Comme dans la chanson de Brassens, on peut crier « à bas la calotte » à s’en faire péter la glotte, mais éviter de bouffer le curé qui baptise les petits oiseaux et donne la messe au pendu. Visiblement, c’est plus difficile pour certain.e.s quand c’est d’une « religion d’arabe » qu’il est question. On ne s’étonnera pas des hurlements de la droite décomplexée ou complexée. Mais il faut peut-être rappeler aux camarades de gauche que cette fille avec son torchon sur la tête participe à une lutte de gauche comme représentante d’un syndicat de gauche. Je préfère la voir là qu’avec les macronistes ou dans la manif pour tous.
La question du féminisme :
Le voile est un symbole et même un outil de la domination patriarcale. Mais on ne libère pas les gens en général et les femmes en particulier malgré elles ou eux : « Ne me libère pas, je m’en charge ».
Pour autant, je m’inscris en faux contre la rhétorique du choix, qui distingue les filles qui portent le voile par obligation (par exemple en Iran) et celles qui l’auraient choisi. Aucun choix n’est fait ex-nihilo. Et si une fille « choisit » cette servitude (ou tout aussi bien la servitude symétrique d’une tenue hyper-sexy, ce qui dans les deux cas, fait du corps féminin un objet), ce choix est conditionné par un ensemble de contraintes familiales, sociales, psychologiques…
Mais c’est aux individus de prendre conscience ou pas des mécanismes à l’oeuvre, de s’en émanciper ou pas, et nul.le ne peut le faire à leur place ni le leur imposer. Personnellement, je trouve aussi peu féministes les femmes juchées sur des talons hauts que les femmes voilées. Je note tout de même que les premières sont nettement moins stigmatisées que les secondes par des « féministes » pas toujours des plus crédibles. Et bien évidemment, je n’oblige aucune femme à s’habiller autrement que comme elle l’a décidé elle-même.
La question du contexte de repli identitaire et d’activisme fondamentaliste :
Certain.e.s, croyant défendre la jeune Maryam Pougetoux, auront tôt fait de taxer quiconque tique tout de même un peu sur ce voile ostensible de racisme ou de paternalisme patriarcal. Comme je viens de l’évoquer, cette dimension est réelle, mais les choses sont aussi plus complexes que cela. Le voile islamique est le symptôme d’une pratique religieuse qui avait reculé dans les années 60 et 70 dans les pays du Maghreb et donc dans l’immigration issue du monde arabo-musulman, mais qui est revenue en force à partir des années 80, pour plein de raisons qu’il serait trop long de détailler ici, l’une d’entre elles étant l’activisme de réseaux fondamentalistes financés par les puissances du golfe. Cette vague rétrograde a été une catastrophe pour des pays comme l’Algérie ou l’Egypte et a aussi gangrené nos banlieues. Le phénomène n’est pas à prendre à la légère, d’autant que des collectifs comme le CCIF ou le PIR (qui n’est pas islamiste mais qui est prêt à se rouler dans n’importe quelle fange idéologique pourvu qu’elle ne soit pas « blanche ») ont réussi ces dernières années à exercer une influence intellectuelle sur une partie de l’extrême-gauche et de la gauche. Il y a des coins où une fille se fait traiter de pute et emmerder si elle ne porte pas le voile. Il y a des dingues qui peuvent profiter de nos luttes pour faire des conférences sur « l’impérialisme gay » (sic). Il y a Houria Bouteldja qui vient étaler ses névroses et les maquiller habilement en cris revendicatifs dans les médias. Il y a des municipalités qui se sont vautrées dans le clientélisme communautariste, donnant du pouvoir à des gens très peu recommandables. Il y a une extrême-gauche qui s’est laissée séduire par Tariq Ramadan lui-même selon la logique foireuse : « on défend les opprimés, l’Islam est la religion des opprimés, donc on défend l’Islam » (j’ai vu par exemple un éminent camarade du NPA se vanter de l’éloge que Ramadan avait fait d’un de ses papiers).
Dans ce contexte-là, il est légitime que des matérialistes athées se disent que, si on a abattu la domination totalitaire de la religion catholique sur ce pays, ce n’est pas pour qu’une autre religion vienne nous les briser avec ses interdits, ses obligations, ses obsessions.
Cette inquiétude (ou lassitude) n’est d’ailleurs pas un truc de mâle blanc cis-genre, contrairement à ce que certain.e.s adeptes trop zélé.e.s de l’intersectionnalité plaquent parfois sur leurs interlocuteurs par réflexe militant. Parce que parmi celles et ceux que le retour du religieux dérange, il y a aussi des racisé.e.s, notamment des camarades d’origine algérienne (kabyles particulièrement) qui ont gardé un souvenir cuisant de l’Algérie des années 80-90 et de la montée en puissance du fondamentalisme des barbus.
Du coup, malgré tout ce que j’ai dit plus haut, face au voile arboré fièrement par cette représentante de l’UNEF, je suis tout de même un peu sur mes gardes. Est-ce que le virage de l’UNEF est le signe d’une meilleure intégration des « racisé.e.s » dans ce syndicat ou de son noyautage par des réseaux islamistes et/ou indigénistes ? Une solution n’excluant d’ailleurs pas forcément l’autre. Personnellement, je réserve ma réponse, et il me faudra plus que le discours en fin de compte très lisse de la jeune Maryam pour évacuer toute suspicion. C’est sans doute malheureux mais le contexte est ce qu’il est. Si elle veut désamorcer la méfiance que son hijab inspire, la camarade Maryam devra peut-être cesser de dire « je trouve ça grave que l’on s’interroge à ce sujet parce que je porte un voile » lorsqu’on lui pose la question de son adhésion aux valeurs de l’UNEF (soutien au mariage pour tous, au droit à l’avortement…). Du fait que de nombreuses femmes sont opprimées en Iran ou en Arabie saoudite, voire en France-même (par la pression de l’entourage) par un port du voile imposé et un statut de la femme inférieur sous prétexte de religion, il n’est absolument pas anormal qu’on lui pose cette question, et un engagement clair et net du type « oui, je suis pour le droit à l’avortement, le mariage pour tous, etc. » profiterait assurément à sa cause personnelle et à celle de son syndicat.
Je ne suis pas sûr de faire avancer le schmillblick en exposant ces quelques considérations. Mais je suis sûr d’une chose : il serait désastreux pour les luttes en cours de faire de ce débat-là, complexe et vicié par le contexte, un point fondamental de clivage interne à la gauche. Car voile ou pas, religion ou pas, en face de nous, on a tous le même Macron. Et on doit le combattre ensemble.
Et pour conclure avec le sourire, sur une idée de la camarade Véronique, voici une photo du prochain congrès de la CGT :