Amélie Jeammet : « Et comment lisez-vous le récent mouvement “anti-pass sanitaire” ? Vous semble-t-il identique à celui des Gilets jaunes au sens où il serait l’expression d’une partie des classes populaires et moyennes délaissées par le bloc bourgeois ? » (…)
Stefano Palombarini : « En Italie, c’est comme en Allemagne, c’est un mouvement libertarien de refus des contraintes administratives, c’est très marqué à l’extrême-droite. (…) Il y a une sorte de méfiance généralisée envers l’Etat. La composante extrême-droite existe aussi en France, elle est importante, mais cette méfiance est très présente dans les classes populaires et sans doute produite par les événements précédents, pas seulement sous Macron, mais déjà à l’époque de Hollande et Sarkozy. Elle est justifiée mais un peu inquiétante, parce que je n’ai pas l’impression qu’elle soit spécialement dirigée vers le gouvernement présent. C’est plus général : l’Etat réprime nos libertés, l’Etat nous ment, l’Etat contre les citoyens d’une certaine façon. Je ne pense pas que le mouvement anti-pass, en lui-même, ait une énorme importance, mais si on doit l’interpréter comme un signal, ce n’est pas sûr que ce soit un signal favorable à une perspective de gauche au sens où Mélenchon la présente par exemple, et dans laquelle l’Etat aurait un rôle très important à jouer. Si c’est vraiment de la défiance vis-à-vis de l’Etat, ça pose un tas de problèmes, en particulier pour une politique volontariste, protectionniste, avec la planification qui jouerait un rôle, etc. Tout cela demande quand-même d’y croire. Cette méfiance a des racines véritables, en particulier chez les classes populaires : elle risque d’être un obstacle pour une perspective de gauche. »
Bruno Amable & Stefano Palombarini, Où va le bloc bourgeois ?,
La dispute, 2022