A propos du campisme et de l’antifascisme

Cela couvait depuis un moment, mais depuis l’annonce de la « proposition de candidature » de Jean-Luc Mélenchon, et depuis ses propos sur la Russie lors de l’émission « On n’est pas couché« , quelques amis et camarades, particulièrement du côté libertaire ou « antifa », se répandent en imprécation contre le « campisme », le « poutinisme », le « nationalisme », le « chauvinisme », le « confusionnisme », le « stalinisme », voire le « rouge-brunisme » supposés de JLM et du PG.

Je dois avouer que lorsque j’ai regardé l’émission, j’ai moi-même failli m’étrangler en entendant le fondateur de mon parti répondre par exemple : « oui, je pense qu’il va régler le problème » à la question : « Poutine, est-ce que vous êtes pour ce qu’il est en train de faire en ce moment en Syrie ? », ou lorsqu’il a évacué la question des frappes russes en Syrie (destinées à soutenir le boucher Bachar El Assad contre les « rebelles » bien plus qu’à éliminer Daech) en affirmant simplement : « ce n’est pas vrai ».  Il y a là, je pense, une maladresse (ou une erreur), mais aussi un vrai choix politique : celui de dénoncer en priorité les exactions qui relèvent de l’impérialisme « nord-américain », d’en démonter la propagande relayée par les gouvernements européens atlantistes, y compris le gouvernement français qui, avec Sarkozy puis Hollande et Valls, n’a cessé de s’aligner sur Washington, rompant avec la tradition gaullienne de relative indépendance de la diplomatie française, notamment concernant la Russie et le Moyen-Orient.

Ce choix qu’on peut qualifier de « campiste » de Mélenchon n’est pas nouveau. On l’a toujours vu par exemple défendre les aspects positifs des révolutions sud-américaines, mettre l’accent sur la violence des Etats-Unis à leur encontre et refuser a contrario de condamner sur injonction des médiacrates les aspects contestables du régime cubain ou de la présidence d’Hugo Chavez au Vénézuéla. Il s’inscrit d’ailleurs aussi en cela dans une tradition de la gauche qui a eu son heure de gloire durant la guerre froide, notamment au PCF, mais aussi chez nombre de groupes gauchistes qui ont pu vibrer tour à tour pour l’URSS de Staline, la Yougoslavie de Tito, la Chine de Mao, l’Algérie du FLN, le Viet-Nam d’Ho-Chi-Minh, voire le Cambodge de Pol-Pot… du moment que s’y exprimait une forme d’opposition ou de résistance à l’empire capitaliste américain, quitte à passer sous silence voire à nier les crimes imputables à ces régimes. Je prends à dessein les exemples les plus caricaturaux (JLM n’ayant évidemment jamais manifesté de sympathies staliniennes, contrairement à un Georges Marchais auquel il est souvent comparé pour sa faconde) pour souligner que cette posture « campiste » qui peut susciter chez moi de très sérieuses réserves ouvre potentiellement la voie à de très néfastes dérives.

Depuis que l’hyperpuissance américaine honnie, sortie victorieuse de la Guerre Froide, est concurrencée par l’émergence des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), le courant le plus campiste de la gauche radicale (incarné notamment par le site « Le Grand Soir ») franchit parfois dangereusement la frontière qui sépare la simple analyse géostratégique du soutien à tout ce qui peut remettre en cause l’hégémonie américaine, y compris des régimes aussi peu progressistes que la Russie de Poutine ou la Chine ultra-capitaliste. Le campisme expose dès lors au risque de passer à côté de certaines évolutions internes aux Etats-Unis (notamment le fait qu’Obama a pu se montrer parfois bien plus modéré que ses alliés français, par exemple sur le dossier syrien, et qu’une contestation de gauche comme celle incarnée par Bernie Sanders, reste quelque chose d’inenvisageable pour le moment dans des Etats aussi répressifs que la Russie ou la Chine). Il expose aussi à une promiscuité source de grande confusion avec l’extrême-droite conspirationniste anti-américaine grande admiratrice de régimes autoritaires comme celui de Poutine ou celui de Bachar El Assad, prompte à dénoncer la responsabilité américaine dans la naissance de Daech, mais tout aussi prompte à en exonérer Assad.

Personnellement, je trouve que Jean-Luc Mélenchon flirte trop souvent et trop fort avec le campisme, d’autant que pour se « présidentialiser » sans doute, il en rajoute dans la posture gaullienne de « l’indépendantisme français« . Mais lorsqu’on ambitionne de conquérir le pouvoir par les urnes, et de l’exercer effectivement sans attendre une future et hypothétique révolution prolétarienne, on est amené à réfléchir sur les enjeux de puissance de façon peut-être plus appuyée que lorsqu’on milite au NPA ou à Alternative Libertaire, qui ont peu de chance de se retrouver un jour en situation de devoir traiter avec les puissances qui dominent le monde.

Mais revenons-en aux propos de Jean-Luc Mélenchon sur la Russie. Bien qu’ils me semblent effectivement trop complaisants avec Poutine et Assad (accordant au premier une capacité à « régler le problème » et assimilant un peu vite tous les rebelles syriens à Al Qaïda), ils sont néanmoins plus nuancés que ce que la presse a bien voulu en dire.
L’Observatoire de la Propagande et des Inepties Anti-Mélenchon a justement relevé la façon dont les médias ont mis en avant et déformé des propos qui ne représentaient qu’une petite partie d’une longue émission au cours de laquelle de nombeuses autres questions ont été abordées.
Alexis Corbière a également montré sur son blog ce qu’était réellement la position de Mélenchon. Il en ressort qu’au lieu de titrer « Mélenchon soutient Poutine » ou « Mélenchon félicite Poutine » (omettant de préciser qu’il félicitait les Russes uniquement pour avoir réussi à couper la voie de communication qui permettait à Daech la vente de pétrole en contrebande vers la Turquie), les médias auraient aussi pu retenir pour leurs gros titres ces propos : « Je ne suis pas d’accord pour que Poutine règle le problème. Je suis pour que l’ONU règle le problème », « [la propagande russe], c’est aussi de la propagande », « Tout est de la propagande. Je ne suis pas pour les bombardements », etc.

Contrairement au camarade Corbière, je pense qu’il y avait bien un parfum campiste dans les propos de Mélenchon. Je suis en désaccord avec lui (et avec la ligne du PG) sur ce point, et je dois reconnaître que la critique faite par Ariane Perez du « nouvel indépendantisme français » prôné par le PG me semble assez convaincante, mais cela ne fait pas de Mélenchon ni du PG des suppôts de l’extrême-droite en extase devant Poutine et Assad. Rappelons que s’il faut soutenir une cause en Syrie, c’est assurément celle des Kurdes révolutionnaires du Rojava et de leurs alliés. Mélenchon ne dit rien d’autre lorsqu’il affirme dans ONPC : « Je suis pour que Daech soit vaincu, écrabouillé et que les Kurdes gagnent ». Or, à en croire les propos d’un volontaire français dans les YPG kurdes recueilli par l’Organisation Communiste Libertaire (qu’on ne pourra soupçonner de sympathie pour Poutine) :

« En ce qui concerne l’intervention de la Russie en Syrie, il est intéressant de noter qu’elle a été perçue de façon très positive par les combattants que j’ai côtoyés, ce pour plusieurs raisons. D’abord, les frappes russes donnent du fil à retordre aux djihadistes, l’ennemi commun, ce qui est du pain béni pour les YPG. Ensuite, le soutien diplomatique et surtout militaire se limitait pour l’heure à celui des Etat occidentaux, Etats-Unis en tête, ce qui introduisait de fait une relation de subordination des YPG vis-à-vis de ce pays. Aucun contact officiel n’a, à ma connaissance, eu lieu entre la Russie et les YPG, mais la possibilité d’une entente ou d’opérations communes permet de relâcher la bride occidentale sur les YPG qui peuvent désormais, si les exigences des Etats-Unis se faisaient trop rapaces, se tourner vers un autre soutien international potentiel. L’intervention russe offre donc la possibilité aux YPG, comme me l’a résumé un combattant, de jouer sur deux impérialismes, pour le moment antagonistes, ce qui est toujours plus confortable que de dépendre des seuls caprices de la politique étrangère américaine, laquelle pêche rarement par la constance. »

Reconnaître à la Russie un rôle objectivement favorable (pour le moment) aux Kurdes, c’est bien donc ce que font les intéressés eux-mêmes et leurs alliés. On conviendra dès lors que, même en ayant des divergences d’appréciation sur la politique internationale de Poutine, on peut se retrouver largement entre militants de gauche sur un objectif principal : un retour à la paix qui ne se ferait pas au détriment des intérêts de la révolution kurde.
Pourtant, malgré mes réserves personnelles, la dernière sortie de Mélenchon à ONPC m’a valu quelques engueulades à ma gauche : de « maintenant, qu’il aille se faire foutre » à « bon courage avec les chauvins »…
Bigre.

Malgré mes appels à la nuance, un nom m’a été balancé pour justifier la disgrâce irrévocable du PG : Djordje Kuzmanovic. Secrétaire national du PG spécialiste des questions de défense, il serait le responsable (ou le symptôme) de la dérive du PG vers le nationalisme et le confusionnisme. Pour « preuves » deux articles, l’un du site d’Ornella Guyet Confusionnisme.info, l’autre des Morbacks Véners. J’avoue que ces articles que je connaissais déjà m’avaient troublé sur le moment. Puis j’avais eu l’occasion d’échanger quelques fois sur FaceBook avec Djordje, avec lequel je m’étais trouvé en désaccord profond sur bien des points (ce qui peut évidemment arriver même avec un camarade de parti), sans qu’aucun élément n’ait pu me faire douter un seul instant de son engagement internationaliste de gauche. Je n’avais plus pensé à ces deux articles, mais puisqu’ils font désormais office de référence à charge contre le PG, j’ai pris le temps de les examiner un peu plus méthodiquement et je n’ai pas été déçu.

L’article des Morbacks Véners procède de manière malhonnête, compensant par un effet d’accumulation et par des amalgames ridicules la pauvreté factuelle de son argumentation.

  • Il démarre avec une grande photo de Djordje Kuzmanovic en uniforme de l’armée française : Les Morbacks auraient pu choisir plein d’autres photographies, mais visiblement, ils ont voulu insister sur le fait que Djordje a été militaire, ce qui est sans doute infâmant à leurs yeux. Etant moi-même ancien objecteur de conscience, je ne peux pas dire que je porte l’armée dans mon coeur, et j’ai d’ailleurs accueilli très fraîchement la proposition de Djordje de rétablir le service national, lui signifiant que je ne serais pour le service militaire que lorsque les officiers seraient élus par des comités de soldats et révocables à tout moment. Mais s’il pouvait m’arriver lorsque j’étais adolescent de considérer tout militaire comme un ennemi, j’ai tout de même appris depuis à faire la part des choses : je suis toujours opposé à l’autoritarisme et à la hiérarchie militaire, comme à l’emploi fait de la force armée par le pays dans lequel le hasard m’a fait naître, mais je sais que tout militaire n’est pas forcément un fasciste et qu’il peut même se trouver des militaires de gauche. Si si, ça s’est vu au Portugal par exemple, avec la révolution des oeillets.
    En adhérant à un parti qui avait vocation à être un « parti creuset », je me doutais bien que j’y trouverais des militants venus d’autres horizons que les miens, et tout bien considéré, même s’il existait un parti d’objecteurs de conscience antimilitaristes communistes libertaires athées désireux de tenter l’abolition de la propriété lucrative et du travail aliéné par la voie démocratique légale du réformisme écosocialiste autogestionnaire sur fond de punk music, je ne sais pas si j’aurais envie d’y adhérer, tant l’angle me paraîtrait étroit.
  • Les Morbacks continuent ensuite sur la même veine avec une capture d’écran d’une recherche sur la « société Djordje Kuzmanovic » qui donne lieu à des propos ironiques (« nous sommes déjà hilare [sic], imaginer un membre du bureau national du PG faire du “conseil pour les affaires” c’est quand même drôle pour un parti dont le leader parle du “banquier Macron” »). En plus d’être militaire (donc quasi-fasciste ?), Djordje serait chef d’entreprise (donc capitaliste ?). Rien que ça.
    Vu que ça n’a rien à voir avec le reste de la démonstration qui vise à le faire passer pour un rouge-brun, on voit qu’il ne s’agit là que de le discréditer a priori. Sauf que cette « société » ne compte aucun employé et ne présente aucun bilan. Il faudrait peut-être expliquer aux Morbacks que plein de travailleurs parfois très précaires ont dû créer une structure juridique pour pouvoir se faire payer des prestations, sans que cela fasse d’eux des capitalistes pour autant. Il en faudrait donc un peu plus pour accabler Djordje.
  • Vient ensuite une copie d’écran d’Investig’action, le site du journaliste communiste à tendance complotiste Michel Collon, avec un article signé Djordje Kuzmanovic. Les Morbacks nous font alors un long déroulé sur Collon, photo dudit Collon en compagnie de Meyssan (le conspirationniste forcené du réseau Voltaire) et Dieudonné (l’ex-comique antisémite) à l’appui, avec énumération d’autres noms plus compromettants les uns que les autres. Là, on se dit : Oh là là, mais dans quoi il trempe, le Djordje ? C’est donc un antisémite quenellier conspirationniste ? Eh bien non. Le site de Collon, comme tous les sites de pseudo-réinformation, reprend des sources externes sans que cela engage en quoi que ce soit leurs auteurs. Et l’article orginal de Djordje vient juste de son blog mediapart. Il n’a aucun rapport avec Collon (encore moins avec Meyssan ou Dieudonné). Mais les Morbacks concluent : « Un membre du bureau national du PG écrit donc bien des articles sur le site internet d’un type qui organise avec l’extrême droite des conférences de soutien à des dictateurs ».
    Voilà une bonne grosse falsification destinée à salir un militant de gauche ! Car non, Djordje n’a pas écrit cet article sur le site de Collon (l’eût-il fait d’ailleurs que cela n’aurait pas mérité non plus tant d’infamie : publication d’un article dans un média ne vaut pas forcément adhésion à la ligne éditoriale de ce média). Investig’action n’a fait ici que relayer l’article depuis le blog de Djordje.
    En cherchant bien, je suis sûr qu’on peut trouver des articles des Morbacks relayés sur des sites pas très nets, aussi. Si je n’avais que ça à faire, je pourrais même m’amuser à créer un site dégueulasse bardé de quenelles et autres horreurs fascistes et y faire un copier-coller des oeuvres des Morbacks, qu’on rigole.
    Sur le contenu de l’article lui-même, évidemment, on ne saura rien. C’est donc que les Morbacks n’ont pas dû réussir à y trouver le moindre truc compromettant et ont dû se contenter d’un amalgame crapuleux.
  • Pour charger la mule, les Morbacks sont aussi allés explorer le mur Facebook de Djordje et en ont ramené une capture d’écran d’une image relayée par celui-ci sur laquelle on voit d’un côté Obama seul, de l’autre les chefs des BRICS avec le slogan : « construisons un monde multipolaire ». On conviendra que faire passer les Poutine et autres Xi Jinping pour de gentils adeptes d’un monde multipolaire face au méchant Obama, c’est un peu campiste (et simpliste) sur les bords.
    N’empêche que l’idée d’équilibrer l’unilatéralisme de l’impérialisme américain par la diplomatie internationale n’est pas dénuée de fondement et que cette image illustre un fait objectif : ces nouvelles puissances coopèrent déjà pour remettre en cause les institutions internationales issues des accords de Bretton Woods (FMI, Banque mondiale) et dominées par les Etats-Unis. On peut le constater, et même s’en réjouir sans être un affreux rouge-brun.
  • Autre capture d’écran sur Facebook : un lien vers RIA Novosti avec félicitations adressées par Djordje à Asselineau (le chef de l’UPR, groupuscule d’ultra-droite obsédé par l’UE et la CIA). Cette fois, l’affaire est dans le sac : Djordje relaie un média de propagande poutinienne et félicite un nationaliste !
    Sauf qu’il est tout de même permis de relativiser. Djordje fait visiblement partie de ces Français russophones qui ont des attaches avec l’Europe de l’est. Il suit donc les médias russes et est peut-être plus sensible que la moyenne à ce qui concerne la Russie. De là à en faire un inconditionnel du régime de Poutine, il y a tout de même un pas.
    Le lien pointé par les Morbacks illustre les premiers bombardements exercés par l’armée ukrainienne contre des villes russophones du Donbass en 2014. Dans ce conflit, Djordje a de toute évidence un a priori favorable vis-à-vis des Russes et semble se méfier plus de la propagande en faveur du gouvernement ukrainien issu du mouvement Euromaïdan et de ses soutiens de l’OTAN ou de l’UE que de la propagande en faveur des séparatistes russophones et de Poutine. Il a donc dû être content que dans un paysage politico-médiatique français plutôt favorable aux occidentaux, un politicien comme Asselineau réagisse à l’opération lancée par l’armée ukrainienne dans le Donbass. Un peu comme j’ai été content en 2003 que cette canaille de Villepin s’oppose à la guerre en Irak. Ça ne fait pas de moi pour autant un villepiniste, je pense. Idem pour Djordje qui ne montre aucune marque d’allégeance aux idées politiques d’Asselineau ni à celles des ultra-nationalistes russes. On peut noter aussi que dans les commentaires qui suivent le lien, Djordje se moque plutôt des interventions ridicules d’un militant de l’UPR venu faire l’éloge de son gourou.
  • Autre capture d’écran à partir de Facebook : un lien vers une photo de David Icke. Grosse rigolade des Morbacks sur ledit Icke, qui a l’air effectivement complètement timbré. Mais avec un autre découpage, ils auraient pu nous montrer tout de même ce que contenait cette photo, et là, on aurait compris pourquoi Djordje avait noté que cela lui inspirait « un songe » (celui de voir les chefs d’Etat arrêtés par leurs propres forces de l’ordre). On aurait même pu se dire qu’il était tombé par hasard là-dessus sans rien savoir de l’auteur, qu’il avait trouvé l’image amusante et qu’il avait fait la connerie que font beaucoup de gens : poster sans vérifier la source. Mais en tronquant l’image, les Morbacks occultent le fond et laissent entendre que Djordje serait un adepte des thèses délirantes d’Icke. Encore une falsification bien dégueulasse.
    Capture d’écran faite par les Morbacks

    Image non-découpée
    Image non-découpée
  • Les charges contre Djordje étant peu probantes, c’est le moins qu’on puisse dire, les Morbacks sont obligés d’en rajouter en s’en prenant plus directement à la première cible de leur article : Alexis Corbière. Le camarade Corbière est donc accusé d’avoir participé à une conférence aux côtés de l’historienne conspirationniste Annie Lacroix-Riz (membre du PRCF, groupuscule néo-stalinien obsédé par l’UE), conférence filmée et diffusée par les nationalistes de l’UPR. On peut discuter de la pertinence de s’asseoir à côté d’Annie Lacroix-Riz (qui est tout de même une universitaire reconnue, malgré ses idées contestables), mais le thème de la conférence étant la montée de l’extrême-droite, il est évident que Corbière intervenait là dans son champ de compétence, pour défendre des idées antifascistes, et qu’il ignorait sans doute que c’était des gens de l’UPR qui filmaient.
    Mais pour les Morbacks, dont on mesure à présent la finesse, l’affaire est bien sûr entendue : Corbière s’est mouillé avec des nationalistes. « Et oui Alexis Corbière », écrivent-ils, « quand on va débattre avec des fafs, filmé par des fafs (que du coup, on sert leur propagande), on devrait a minima la fermer sur le sujet ». Sauf que… le débat auquel participait Corbière se déroulait sur le plateau des Glières en 2013, et était organisé par le CRHA qu’il serait vraiment ridicule d’accuser d’être « faf ». A côté d’Alexis Corbière et d’Annie Lacroix-Riz, il y avait aussi JP Ravaux, président de VISA. En croyant mouiller Corbière, les Morbacks visent donc également la FSU, Solidaires, la CGT, la CFDT, la CNT, l’UNEF et le syndicat de la Magistrature. Ça en fait des « fafs » ! On voit bien que cette accusation est débile. Eh oui, camarades Morbacks, quand on prend des militants de gauche, des résistants et des syndicalistes pour des « fafs » (que du coup, on nourrit la confusion qu’on prétend dénoncer), on devrait a minima la fermer sur le sujet !
  • Pour finir, les Morbacks nous offrent en « bonus » une capture d’écran nous informant qu’en 2012, Djordje avait changé sa couverture Facebook pour une image portant le sigle « SPQR », avec en commentaire ironique : « La très jolie bannière facebook “l’humain d’abord” — rires soutenus là encore —… »
    Il ne sera pas venu à l’idée de nos hyènes ricanantes que Djordje puisse être juste passionné d’histoire romaine ni que la devise « senatus populusque romanus » de la République puis de l’empire romain, et figurant toujours sur le blason de la ville de Rome, ne soit pas un élément de propagande mussolinienne subliminale et puisse ne rien avoir de contradictoire avec le slogan « l’humain d’abord » du FdG. D’ailleurs, les Morbacks, s’ils étaient allés moins vite en besogne, auraient pu aussi bien trouver sur le mur Facebook de Djordje une statue d’Auguste, ou la couverture du roman Spartacus (excellent livre d’Arthur Koestler au demeurant, représentant le personnage de Spartacus en anti-Staline, qui choisit la défaite plutôt que de s’abaisser à devenir un tyran pour vaincre, mais là, ça doit être trop subtil pour les Morbacks, et puis surtout, ça n’accréditerait pas leur thèse à charge).

Bref, l’article des Morbacks Véners se révèle en fin de compte complètement vide et, s’ils avaient été rigoureux et honnêtes, tout ce qu’ils auraient pu trouver à reprocher à Djordje, c’est de manquer peut-être de recul par rapport à la propagande russe relative à la guerre en Ukraine.

Venons-en au deuxième article, publié cette fois par Confusionnisme.info, site à propos duquel je rejoins les remarques formulées par l’Observatoire des réseaux. Le travail d’Ornella Guyet, qui aurait pu (et dû) être un travail d’utilité publique, me semble souvent gâché par un manque de rigueur certain et une confusion néfaste entre engagement idéologique et antifascisme, ce qui fait que quiconque à gauche diverge un peu du prisme de l’auteure (prisme « internationaliste anti-autoritaire ») se voit accusé de confusionnisme ou de collusion avec l’extrême-droite. Ornella Guyet renvoie d’ailleurs au sujet de Djordje vers l’article des Morbacks Véners dont on vient de voir qu’il était entièrement à charge et malhonnête.

A propos de Djordje Kuzmanovic, donc, elle affirme dans un article consacré à la question ukrainienne que « les manifestations de soutien au Donbass organisées par Benajam sont tout autant fréquentées par l’auteur d’extrême droite Lucien Cerise que par le membre du bureau politique du Parti de Gauche Djordje Kuzmanovic ». Pour illustrer cette supposée collusion, une photo tirée d’une vidéo de l’Agence Info Libre, légendée ainsi : « Djordje Kuzmanovic (au centre avec le micro) filmé par l’Agence Info libre à la tribune d’un rassemblement “contre la guerre en Ukraine” organisé par Alain Benajam et ses sbires le 22 juin 2014. » Djordje Kuzmanovic est donc ici accusé par Ornella Guyet de fréquenter en compagnie d’un auteur d’extrême-droite des manifestations organisées par le complotiste Alain Benajam (proche de Thierry Meyssan) filmées par un média dieudo-soralien. N’en jetez plus !

Image de Djordje à la tribune avec logo de l'Agence Info Libre pour bien le mouiller
Image de Djordje à la tribune avec logo de l’Agence Info Libre incrusté

Quid de Lucien Cerise ? Ornella Guyet nous donne un lien vers une vidéo de l’Agence Info Libre montrant Cerise à un rassemblement… du 2 aout 2014. Or, la photo de Djordje exhibée par Confusionnisme.info a été prise lors d’un autre rassemblement, le 22 juin 2014. La formulation de Confusionnisme.info n’apporte donc ici que confusion.
Par ailleurs, ce premier rassemblement contre la guerre en Ukraine du 22 juin 2014, donc en pleine offensive des troupes de Kiev contre les villes tenues par les séparatistes dans l’est du pays (faisant de nombreuses victimes civiles), a en fait été organisé par le collectif « France-Russie-Ukraine : dialogue » dont les contacts affichés étaient… Djordje Kuzmanovic lui-même et l’historien Gueorgui Chepelev (du « Collectif citoyen pour la paix en Ukraine »). Ce collectif se présentait comme un rassemblement de « citoyens français, russes et ukrainiens, avec le soutien des collectifs « Russie-France : Secours d’urgence », « Dialogue russo-ukrainien» ». A noter que le texte de l’appel à manifester ne contient aucune apologie du régime de Poutine, ni des séparatistes du Donbass. Et ne mentionne nulle part le sulfureux Benajam. Ornella Guyet accuse donc abusivement Djordje d’avoir participé à une manifestation organisée par Benajam alors que c’est plutôt le contraire qui s’est produit.
Le montage de la vidéo de l’Agence Info Libre commence par une interview de Benajam dans la petite foule (très clairsemée), mais les images de la tribune ne laissent voir comme « officiels » que Gueorgui Chepelev et Djordje Kuzmanovic (dont la prise de parole se borne aussi à appeler à la paix, ce dernier insistant sur la nécessité de permettre la mise en place de l’aide humanitaire).
Quand il organise un événement, Benajam peut compter sur le réseau Voltaire (réseau complotiste dont il dirige la branche française) pour en faire la propagande, comme pour cette autre manifestation quelques jours plus tard : « le Comité anti-impérialiste, le Collectif France-Russie, le Comité Valmy, les éditions Démocrite, La voix de la Libye, le Rassemblement pour la Syrie, et le Réseau Voltaire organisent une manifestation de soutien aux victimes de la guerre au Donbass, samedi 5 juillet 2014 à 15h, à Paris, place de la République ». Rien de tel pour la manif du 22 juin.
Benajam n’est donc pas l’organisateur de la manifestation du 22 juin organisée par Djordje mais il l’a bien été de celle du 5 juillet… pour laquelle Djordje et le collectif « France-Russie-Ukraine : dialogue » ne sont cette fois nullement mentionnés. Ornella Guyet n’aurait-elle pas procédé à un amalgame un peu rapide ?

Dans une interview à La Voix de la Russie (devenu Sputniknews), média russe à la botte du régime de Poutine, Djordje déclare à propos du rassemblement du 22 juin 2014 :

« En majorité c’étaient des franco-russes, mais il y avait des Russes, des Ukrainiens et des Français tout simplement. Il y avait différentes organisations politiques, on avait des membres du Parti Communiste Français, des membres du Parti de Gauche et d’autres membres de partis plus à droite. On avait des citoyens non encartés et des associations, l’association France-Russie, l’association d’amitié France-Ukraine, plusieurs associations de ce type là. (…) Là on a fait un rassemblement citoyen, ce qui était compliqué à organiser puisqu’on a mis nos avis personnels de coté et on est arrivé à un texte, le plus acceptable pour tout le monde. Certains peuvent le trouver pas assez engagé mais il permet de rassembler largement autour de la thématique de la paix, de l’arrêt des combats, des corridors humanitaires et des zones d’exclusions aériennes. Maintenant chacun est dans des organisations politiques où on a des engagements qui sont différents, moi je suis dans le Parti de Gauche et nous avons une position sur l’Ukraine qui est très en opposition à l’OTAN, nous sommes pour la sortie de l’OTAN, donc on va plus loin sur certaines questions. »

Outre la présence de Benajam et de la caméra de l’AIL à la manifestation, il est donc attesté que les organisateurs n’ont pas été très regardants sur les participants : il ne s’agissait pas d’une manifestation « de gauche » mais d’une manifestation se voulant ouverte à tous les partisans de la paix en Ukraine (un intervenant favorable au gouvernement de Kiev a même apparemment pu s’y exprimer). Cela n’en fait pas pour autant une manifestation d’extrême-droite ni de Djordje un habitué des événements organisés par « Benajam et ses sbires ». La présentation faite par Ornella Guyet est donc fallacieuse.

En fait, il était possible de trouver plus compromettant, pourtant : sur une autre vidéo (non-évoquée par Confusionnisme.info), mise en ligne par le compte « Ukraine Donbass » sur youtube, on peut voir le militant d’extrême-droite André Chanclu, ex-GUDard à la tête du groupe Novopole et du collectif « France-Russie » (qui ne figure pas dans les organisateurs de la manifestation et qui est à distinguer de l’association France-Russie) non seulement être présent mais s’emparer du micro (à un autre moment de la manifestation). On retrouve d’ailleurs le même Chanclu avec Benajam dans les autres événements pro-Donbass organisés ultérieurement (sans aucune participation de Djordje, cette fois). Dans une manif ordinaire avec service d’ordre d’organisations de gauche, un tel personnage aurait été dégagé manu militari et c‘est évidemment une faute de laisser la parole à un tel fasciste. Je ne sais d’ailleurs si Djordje savait alors qui était Chanclu mais il est assurément fâcheux de participer à un événement aux côtés d’un tel personnage. Peut-être les organisateurs avaient-ils jugé suffisant de stipuler quelques règles pour se prémunir contre la promiscuité fasciste ?

Sur la page FB de l'événement
Mise au point d’un des administrateurs sur la page FB de l’événement

« Les symboles chauvinistes, racistes, militaristes, violents, insultants » étaient donc proscrits. On peut juger que c’est un peu léger sur un thème qui est susceptible de mobiliser facilement l’extrême-droite. Mais malgré sa russophilie, Djordje n’a visiblement pas jugé opportun de se joindre aux manifestations ultérieures qui, elles, ont été assurément entièrement phagocytées par l’extrême-droite. Ce qu’on peut lui reprocher, c’est de manquer singulièrement de recul par rapport à la propagande russe et de n’avoir pas été assez vigilant quant à l’organisation d’un événement (un seul !) susceptible d’attirer des gens peu recommandables. Peut-on pour autant l’accuser d’être le tenant d’une ligne rouge-brune de collusion de la gauche radicale avec l’extrême-droite contre le grand Satan américain ? Je ne le pense pas. En tout cas, les éléments mis en avant par les Morbacks et par Ornella Guyet me semblent suffisamment biaisés, malhonnêtes et destinés à salir pour que je ne m’y fie pas. Et puisque j’ai dû, pour vérifier leurs assertions, explorer moi aussi la page Facebook de Djordje, je peux tout aussi bien rendre compte que j’y ai trouvé des éléments qui attestent de l’engagement antifasciste et internationaliste incontestable de ce camarade, notamment en faveur du peuple kurde et de la gauche turque.

Manifestation de soutien aux Kurdes

Pour conclure, bien qu’opposé au travers campiste de mon propre parti, au sein duquel je ne renonce pas à exprimer une voix plus critique vis à vis de la politique des BRICS en général et de la Russie en particulier, je n’irai pas hurler avec les loups contre Djordje Kuzmanovic ni contre JLM. De même que je n’irai pas hurler contre les militants du NPA ou d’Ensemble si dans telle ou telle manifestation ils se sont retrouvés aux côtés de Bonnets rouges, d’Indigènes de la République, de Salafistes voire de Dieudo-soraliens, alors même que je désapprouve profondément ce type de promiscuité. Je reste plus que jamais attaché à l’écosocialisme, à la 6e République, au partage des richesses et du travail, à la remise en cause de l’ordolibéralisme austéritaire et de la propriété lucrative, ainsi qu’à la lutte antifasciste dont les Morbacks Véners et Ornella Guyet n’ont assurément pas le monopole. C’est pourquoi j’apporte mon soutien à la proposition de candidature de Jean-Luc Mélenchon pour l’élection présidentielle de 2017 et invite mes concitoyens à faire de même et à participer à la mise à jour de notre programme. J’invite aussi les camarades des organisations de gauche ou libertaires qui ne se reconnaissent pas dans cette stratégie à poursuivre leur propre voie sans tomber dans le dénigrement systématique sur la base d’amalgames malhonnêtes tels que ceux que je viens de décrypter dans le présent article. Et j’invite particulièrement les « antifas » à en finir avec la méthode du soupçon généralisé (voir la réponse que François Ruffin leur avait déjà faite) qui nuit au combat antifasciste en salissant des militants de gauche qui sont eux-mêmes tout à fait et indubitablement antifascistes.

Salaires : en finir avec l’emploi

Voici une contribution d’un camarade de Pantin au projet de programme pour la candidature de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle de 2017, dans la catégorie « Partager les richesses » sur la plateforme www.jlm2017.fr.

Le SMIC à 1700 euros proposé dans le programme « L’humain d’abord » de 2012 reste une mesure nécessaire pour répondre à l’état d’urgence sociale du pays. Mais il ne saurait être une réponse durable à la crise de l’emploi et à la bifurcation qui s’impose : le plein emploi ne reviendra pas, non plus que la croissance qui n’est même pas désirable en elle-même au vu du bouleversement climatique en cours et du caractère limité des ressources de la planète. C’est pourquoi il convient d’opérer une véritable révolution dans les notions-même de travail et de revenu. A ce titre, il existe deux grandes pistes de réflexion : celle du revenu de vie (prôné notamment par Baptiste Mylondo) et celle du salaire à vie de Bernard Friot. Le programme de 2017 ne saurait proposer déjà une réponse toute faite. Une telle révolution doit être le sujet d’un vaste débat entre tous les Français. Mais nous pouvons fixer une durée à ce débat et le clore par un referendum qui permettra de fixer dans la loi l’orientation et les modalités d’application de ce changement de civilisation.

De l’antisémitisme au Front de Gauche ? Résistons aux amalgames en balayant aussi devant notre porte.

Je souscris entièrement au contenu du communiqué fait par Eric Coquerel au nom du PG le 17 février 2015 :

Depuis des semaines à partir de l’étude bidon de sa propre fondation, Dominique Reynié peut à loisir diffuser sa propagande sur les médias. Elle consiste à ranger le FDG comme l’un des trois principaux foyers de l’antisémitisme en France. Ce matin, il a pu égrener ses amalgames insultants sur la plus grande matinale radio du pays, celle de France Inter. Non content de s’attaquer aux citoyens qui se réclament du FDG, il s’en est pris cette fois personnellement à Jean-Luc Mélenchon au prétexte d’une critique de Pierre Moscovici en tant que ministre des finances en 2013. Tous ceux qui connaissent l’engagement constant de notre parti et de Jean-Luc Mélenchon contre toute forme d’antisémitisme n’ont pas dû en croire leurs oreilles. Mais ça suffit ! Nous demandons officiellement à France Inter un droit de réponse à la même heure et d’une durée équivalente. Nous allons également étudier les conditions pour porter plainte pour diffamation à l’encontre de Dominique Reynié.

Parmi les amalgames les plus malhonnêtes de Reynié, on peut citer la référence aux propos de Jean-Luc Mélenchon à l’encontre de Pierre Moscovici, accusé de penser dans « la langue de la finance internationale » au moment où celui-ci s’était conduit en véritable « salopard » (pour reprendre le terme de François Delapierre) à l’égard du peuple chypriote. En laissant entendre que la dénonciation de la finance internationale  — qui impose dans sa langue froide et absconse (le globish) des politiques austéritaires inhumaines à des peuples privés de leur souveraineté par l’UE, la BCE et le FMI — relèverait de l’antisémitisme, c’est bien Reynié lui-même, à la suite de médiacrates et de solfériniens déjà ridiculisés à l’époque, qui procède à un amalgame implicite entre « finance internationale » et « juifs », ce que ni Mélenchon ni Delapierre n’ont évidemment jamais fait.

Toutefois, aussi crapuleux le procédé soit-il, il ne faudrait pas que, sous prétexte que c’est l’idiot qui montre ici la lune, le sage se contente de regarder le doigt. Car notre Front de Gauche, malgré les beaux mots d’ordre « l’humain d’abord » et « résistance », ou la stratégie « front contre front » (plus que jamais d’actualité), n’a peut-être pas fait suffisamment d’efforts de vigilance ces dernières années pour n’offrir aucun prétexte à des falsificateurs comme Reynié. Je ne parle pas ici des propos (auxquels je ne vois rien à reprocher) des porte-parole du FdG dans les grands médias, mais de ce qui se passe sur les réseaux sociaux, le plus connu d’entre eux étant Facebook, que 27,2 millions de français consulteraient chaque mois d’après l’institut Médiamétrie. Il ne s’agit donc pas d’un support anecdotique.

Nombre de militants ou sympathisants du FdG ou des différentes organisations qui le composent, ainsi que du Mouvement pour la 6e République, échangent en effet informations, commentaires et liens hypertextes sur leurs pages personnelles mais aussi dans des « groupes » sur Facebook. S’il existe des comptes officiels des dirigeants et des organisations, il n’existe pas à ma connaissance de « groupe » officiel du FdG. Mais quantité de groupes, privés ou publics s’en réclament, créés et administrés par des bénévoles, indépendamment de tout contrôle des organisations. Cette spontanéité correspond bien à la fois à l’interactivité du web 2.0 et à la fameuse consigne « n’attendez pas les consignes » chère à Jean-Luc Mélenchon. Elle n’est pas toutefois sans poser des problèmes sur lesquels nous, simples militants comme responsables politiques, devrions nous pencher urgemment.

En effet, nous ne sommes pas les premiers à nous emparer du « cyberespace » à des fins politiques. Nous avons même une sérieuse longueur de retard face à nos ennemis d’extrême-droite — je devrais dire des extrêmes-droites, tant celles-ci ont réussi à se diversifier de façon protéiforme et à se fondre dans le dédale décentralisé des réseaux. Avec profusion de sites et blogs confusionnistes, camouflant leur vraie nature sous les masques de la « dissidence » ou de la « ré-information », maîtrisant depuis longtemps les techniques de communication virale, nos ennemis ont su construire leur hégémonie culturelle dans le monde du web 2.0, au service de leurs thèses anti-démocratiques, conspirationnistes, racistes et antisémites. Si bien que certains de nos propres camarades se sont mis parfois à relayer des liens ou des « infos » en provenance de ces sites et à se faire eux-mêmes les propagandistes des idées qu’ils étaient censés combattre. C’est ainsi que de nombreux groupes Facebook de sympathisants du FdG se sont retrouvés peu à peu envahis par la propagande en faveur de régimes autoritaires, de théories du complot (de « l’américano-sioniste » au « judéo-maçonnique »), ou de thèses nationalistes. Rompus à la technique du troll, des militants d’organisations fascistes ou d’ultra-droite comme Egalité & Réconciliation ou l’UPR n’ont pas manqué d’infiltrer ces groupes. Face à cette offensive, la contre-argumentation ne suffit pas toujours (vite noyée dans le flood généré par les trolls) et, sans modération faite par des administrateurs vigilants, un groupe Facebook peut rapidement se transformer en vitrine du fascisme le plus abject, n’apportant que confusion à nos sympathisants et donnant de nous une image déplorable, ce que ne manqueront pas d’utiliser les malveillants comme ce Dominique Reynié. Or, cette vigilance nécessaire ne dépend sur ce type de support que du bon vouloir des administrateurs. Lorsque ceux-ci sont militants d’organisations structurées, telles le PG ou le PCF, les instances ont la possibilité de prendre des mesures (c’est ainsi que le PG avait par exemple demandé des comptes à René Balme, qui avait finalement démissionné lorsqu’il lui avait été signifié que sa complaisance envers des textes conspirationnistes et antisémites sur le site qu’il dirigeait n’était pas admissible). Mais cela devient compliqué lorsqu’il s’agit de simples sympathisants du FdG ou du m6r, n’ayant à rendre compte à aucune instance de leurs actes et de leur cohérence. C’est bien là notre faiblesse.

Je voudrais soumettre ici un cas d’école, celui du groupe Facebook intitulé « Front de Gauche : le portail militant« . Il s’agit d’un groupe privé, accessible donc uniquement aux abonnés acceptés par l’administrateur. On pourrait songer du coup que celui-ci y accueille essentiellement des militants désireux d’échanger entre eux des informations et de mener par exemple des débats internes sur la stratégie du FdG et de ses composantes. On retrouve d’ailleurs parmi les membres inscrits nombre de personnalités, notamment du Parti de Gauche (qui ont pu être « invitées » sans l’avoir désiré). Ce groupe compte actuellement 3605 membres, ce qui est loin d’être négligeable lorsqu’on songe à la faiblesse des effectifs militants de nos organisations. Or ce groupe ne comporte qu’un unique administrateur (le fondateur), là où l’usage, sur des groupes équivalents, est plutôt d’effectuer une modération collégiale. Cet administrateur n’est donc pas humainement en mesure d’exercer la vigilance requise. Et force est de constater qu’il ne le veut pas non plus. Nombre de trolls ou de naïfs relaient en effet sur ce groupe très régulièrement des liens vers des sites conspirationnistes, fascistes ou même franchement antisémites, et tiennent des propos favorables à l’UPR, à Soral, à Dieudonné… Face aux critiques, ils usent le plus souvent de la possibilité offerte par Facebook de « bloquer » une personne : ils deviennent alors invisibles à leurs contradicteurs, mais pas aux autres abonnés, ce qui leur permet de continuer à diffuser tranquillement leur poison auprès de ceux qui n’ont pas eu l’audace, la présence d’esprit ou le temps de s’indigner.

Avec quelques camarades, nous avons à plusieurs reprises signalé le problème à l’administrateur, qui n’a rien fait. Nous avons pris la peine de lui expliquer quel tort cela pouvait causer au FdG, l’intitulé du groupe pouvant laisser entendre que des contenus extrémistes, dont certains à caractère antisémites, étaient cautionnés par le FdG. Nous lui avons suggéré de nommer des modérateurs à sa convenance pour l’aider à déloger les trolls et à effacer les publications inadmissibles, ou bien de changer le nom de son groupe, par exemple en « Discussions autour du FdG » afin qu’il ne puisse plus passer pour un « portail militant ». Rien n’y a fait. Il faut dire que ce monsieur a créé une centaine de groupes sur Facebook, dont plusieurs sur les thématiques proches du FdG, mais dans un but pour le moins éloigné de nos idées : il théorise dans divers écrits et vidéos sur ce qu’il nomme le « Socialisme philia-informationnel » et « l’Humanité Universelle grâce aux technologies numériques », et nous a affirmé par exemple que « ce n’est qu’un échantillon car le projet que je veux faire c’est un milliard de fois mes petits cent groupes, (…) j’ai des milliards de rêves pour chaque point que constitue l’espace et le temps », et « vous voyez le FDG dont je me sens le plus proche est loin très très loin de ce qu’il faudrait faire pour passer de l’Histoire à la Poshistoire ». Il évolue donc visiblement dans des sphères plus éthérées que les nôtres, ce qui explique peut-être son incapacité à comprendre nos préoccupations relevant plutôt du matérialisme dialectique. Non seulement, il a opposé une fin de non-recevoir à nos demandes, mais plutôt que d’exclure du groupe « Front de Gauche : le portail militant » les trolls de l’UPR, du Bloc identitaire, des Gentils Virus ou de de la mouvance Dieudonné/Soral, il a exclu les uns après les autres les militants du Front de Gauche qui lui demandaient de faire son travail de modérateur. L’appellation de ce groupe constitue donc une usurpation préjudiciable au Front de Gauche dans son ensemble et aux organisations qui le composent.

Je demande donc instamment à nos instances de prêter attention aux alertes qui ont déjà été envoyées et de réagir par tous les moyens pour faire cesser cette imposture (l’appellation et le logo « Front de Gauche » ayant été déposés, un particulier ne peut en faire n’importe quel usage). J’engage vivement mes camarades du Front de Gauche (PG, PCF, Ensemble, PCOF, R&S, GU) et du m6r, ainsi que les autres organisations de gauche à exercer une vigilance constante contre les dérives confusionnistes et les tentatives d’infiltration en provenance de l’extrême-droite. Face aux amalgames honteux des médiacrates et des solfériniens, nous devons nous assurer d’être irréprochables partout où nous assurons une présence militante, y compris sur internet.

NB : je tiens à la disposition de qui veut copie des échanges de messages avec l’administrateur du groupe « Front de Gauche : le portail militant » et des captures d’écran des publications incriminées.

Pour l’écosocialisme, dénonçons l’imposture stalinienne

Les élections municipales de 2014, qui ont été un moment si périlleux pour l’unité du Front de Gauche, ont au contraire été pour moi l’occasion d’approfondir une vraie camaraderie avec les communistes locaux. Ecosocialistes du PG, communistes du PCF et non-encartés du FdG ont eu la chance, chez moi, de mener une liste autonome qui a recueilli 13,12% des voix. Certes, il existe toujours des divergences entre nos partis, et certains camarades du PCF ne cachent guère leurs réticences face aux thèses écosocialistes et aux initiatives prises par Jean-Luc Mélenchon. Il en est même qui semblent supporter difficilement que leur parti se fonde dans un Front plus large et qui regrettent assurément le temps où le PCF constituait seul « ses » listes en les ouvrant généreusement à quelques compagnons de route ou personnalités civiles sans avoir pour autant à traiter avec des partenaires à part entière. Pour autant, aucun de ces camarades n’a entrepris de trahir le Front de Gauche en débinant en pleine campagne pour les élections européennes les listes unitaires ou en diffusant des billets haineux contre le PG sur internet.

C’est néanmoins ce que fait depuis plusieurs semaines un certain Bernard Adrian, troll stalinien qui se présente comme militant communiste dans l’est, et qui abreuve le web et les réseaux antisociaux comme Facebook de pages putassières, mensongères, bêtes et haineuses destinées uniquement à cracher sur ce qu’il appelle « l’imposture écosocialiste » et sur Jean-Luc Mélenchon ou encore Gabriel Amard, le candidat tête de liste du FdG dans la circonscription Est aux européennes. Dans un texte qui condense la plupart des travers de sa bile habituelle, Bernard Adrian reconnaît, certes, le « réel espoir » soulevé par la campagne présidentielle de 2012. Mais il ajoute aussitôt :

« A contrario, la campagne législative qui a suivi – avec la focalisation sur la circonscription d’Hénin-Beaumont – s’est conclue par une réduction du nombre de nos députés. C’est toujours une mauvaise nouvelle pour les travailleurs de notre pays. Moins il y a de députés et sénateurs communistes et apparentés plus on régresse sur le plan social ».

Attribuer les mauvais scores du FdG aux législatives et la réduction du nombre de députés communistes à la focalisation sur Hénin-Beaumont est malhonnête (mais on verra que ce n’est pas l’honnêteté qui étouffe Bernard Adrian). Si bon nombre de députés communistes sortants se sont fait étendre, c’est qu’ils ont dû faire face à la vague rose consécutive à la victoire de Hollande (c’est dans la logique des institutions), à une volonté délibérée de la part du PS (et notamment du « parrain » don Bartolone en Seine Saint-Denis) de ravir des sièges au PCF, et à une absence de campagne nationale du FdG qui était le fruit de la volonté du PCF lui-même (désireux de faire des campagnes locales). Pour Bernard Adrian, les 11% de Mélenchon sont donc à mettre au crédit du PCF (qui avait fait 1,93% des voix 5 ans plus tôt) mais les mauvais scores des candidats communistes aux législatives sont forcément la faute à Mélenchon. Pratique. Mais complètement con. Il faut dire que pour quelqu’un qui conçoit les élus du FdG comme « communistes et apparentés », la loyauté envers des camarades du FdG qui ne se considèrent pas comme de simples satellites ou compagnons de route du PCF doit poser problème.

Bernard Adrian rêve d’un monde où un PCF fidèle à l’URSS noue des alliances cyniques avec les sociaux-démocrates qu’il méprise néanmoins. Devoir faire alliance loyalement, sur un pied d’égalité, avec des partenaires écosocialistes dynamiques, et sortir de la routine de l’alliance tactique avec le PS, ça lui fait perdre ses repères, et surtout ça lui donne des boutons, au Nanard. Du coup, il ne renonce à aucun mensonge pour imputer au PG et aux autres partenaires du FdG, mais surtout au grand méchant Mélenchon, la responsabilité des échecs de la résistance populaire aux contre-réformes libérales.

Par exemple, sombrant dans la plus inepte des théories du complot, il prétend que « la date à laquelle Cahuzac a fait ses aveux n’est probablement pas due au hasard », laissant entendre que celle-ci aurait servi à jeter un écran de fumée sur le vote deux jours plus tard de l’ANI, et affirmant sans rire que la marche pour la 6ème République du 5 mai 2013 (initiée par Mélenchon en réaction au scandale Cahuzac) aurait de même détourné la mobilisation populaire de l’ANI. Bref, Mélenchon aurait ainsi servi les intérêts de Hollande. Tout observateur sain d’esprit aura pourtant bien du mal à imaginer un Hollande se réjouissant du succès d’une manifestation d’opposants et du désastre sans précédent pour son gouvernement de l’affaire Cahuzac.

« Fallait-il embrayer sur une manifestation “coup de balai” avec tout ce que cela comporte comme relents populistes, ou fallait-il mettre toutes nos forces à relayer le courageux et splendide combat – oui, splendide – que menaient NOS députés, puis NOS sénateurs – ceux du Front-de-Gauche – contre la transcription de l’ANI ? C’est le Premier Mai qu’il fallait appeler à manifester. Avec les syndicats et contre la transcription de l’ANI. »

Ne reculant devant aucun mensonge, Bernard Adrian oublie de signaler que le Premier Mai fut l’occasion d’une triste division syndicale, les signataires de l’ANI se donnant rendez-vous à Reims avec leurs très maigres troupes, tandis que les opposants à l’accord made in Medef restaient divisés, FO persistant à faire cortège à part. Il était donc impossible pour le Front de Gauche de décréter contre les syndicats divisés une mobilisation unitaire de masse en ce premier mai 2013. Cela n’a pas empêché Mélenchon et le PG d’être aux côtés de la CGT, de la FSU et de Solidaires ce jour-là, et d’appeler comme toujours militants et sympathisants du FdG à défiler avec leurs syndicats, et à s’opposer à l’ANI, comme ils l’avaient déjà fait le 9 avril 2013. Malheureusement, la division syndicale et le découragement des salariés ne permirent pas d’amorcer un vrai mouvement de lutte contre l’ANI. Nos forces étaient bien faibles, à l’image de celles des deux groupes parlementaires du FdG qui n’avaient aucune chance d’empêcher le gouvernement de faire passer cette loi antisociale.

Quant à la marche du 5 mai, elle avait le mérite de mobiliser sur un thème unitaire, celui de la 6ème république et du nécessaire assainissement de la vie politique après l’affaire Cahuzac. Loin d’être la « faute politique » qu’y voit Bernard Adrian, cette initiative permettait de renouer, après la division syndicale dont Mélenchon n’était en rien responsable, avec l’élan unitaire de la campagne présidentielle de l’année précédente. Bernard Adrian répète aussi les éléments de langage solfériniens sur les prétendus « relents populistes » du « coup de balai », oubliant que la même image du balai avait été utilisée auparavant aussi bien par Lénine que par la SFIO, voire par le très solférinien Moscovici lui-même. On notera avec amusement les majuscules de « NOS » députés et sénateurs par lesquelles le communiste Bernard Adrian veut nous rappeler que les élus FdG sont pour lui avant tout les élus de son parti à lui. Il montre bien ainsi qu’il n’a jamais accepté que le FdG soit autre chose qu’un gadget électoral du seul PCF.

Après l’ANI, il tente aussi de mettre sur le dos de Mélenchon l’échec du mouvement de défense des retraites à l’automne 2013 :

« Au second semestre 2013, le gouvernement Ayrault attaque à nouveau avec le passage aux 43 ans de cotisations. Une semaine avant l’ouverture du débat, celui qui avait été notre candidat à la présidentielle a taclé à la télévision nos députés en prétendant qu’ils votent n’importe comment et que chacun d’eux, au fond, ne représente que lui-même ! Hollande, Ayrault et Touraine ont eu toutes les raisons de se féliciter de cette sortie opportune (pour eux). »

Encore une falsification stalinienne de bas étage. Mélenchon avait à juste titre déploré que les députés et sénateurs du FdG ne soient en rien mandatés pour leurs votes par le FdG ni même par leur parti. C’est un point de vue. Il peut être contesté. Mais il est malhonnête de faire dire à Mélenchon que nos députés « votent n’importe comment ». Il est en outre parfaitement stupide de penser que l’expression de cette divergence sur l’autonomie de vote de nos groupes parlementaires ait pu nuire au débat qui était joué d’avance, dès lors que les élus de la majorité n’entraient pas massivement en dissidence sur ce texte. Et Nanard d’ajouter :

« Des millions de nos concitoyens ont pu constater que le Front de Gauche préférait polémiquer sur les alliances de premier tour aux municipales 2014 plutôt que de mener une large bataille contre les 43 ans de cotisation. Encore une fois, nos parlementaires ont fait un magnifique travail. Encore une fois, nous les avons laissé combattre seuls. Cet épisode pèsera très lourd dans notre crédibilité vis-à-vis des travailleurs. Quarante-trois ans de cotisation, il n’y a pas besoin d’expliquer : chacun comprend immédiatement. Nous avons préféré polémiquer sur des questions politiciennes plutôt que de mobiliser l’opinion en appuyant nos députés et sénateurs. »

Bernard Adrian ment encore en prétendant que nous aurions laissé les parlementaires du FdG combattre seuls. Mélenchon s’est battu avec le reste du FdG, aux côtés des syndicats, notamment en manifestant contre cette nouvelle contre-réforme des retraites. S’il faut trouver une raison à l’insuffisance de la mobilisation syndicale contre ce recul social, cherchons surtout du côté de la stupeur et du découragement : le puissant mouvement pour les retraites de 2010 (avec lequel nous avons inauguré ce blog) n’avait déjà pas réussi à enrayer la destruction de nos conquis sociaux, et l’élection de François Hollande, malgré l’absence singulière de mesure sociale dans son programme électoral, constituait en quelque sorte la revanche de ce mouvement ignoré par Sarkozy ; voir Hollande faire pire que Sarkozy un an après son élection avait de quoi démoraliser le corps social. Les querelles au sein du FdG à propos de la stratégie à adopter lors des municipales n’ont sans doute pas aidé à créer une dynamique unitaire, il est vrai, mais il est ridicule d’en imputer la responsabilité au seul PG. Ce n’est pas le PG qui a programmé un vote des militants sur les alliances de 1er tour si tard dans l’année, en plein mouvement social, et ce n’est pas le PG qui a choisi à ce moment-là si particulier de faire alliance dans certaines villes (dont la capitale) avec le parti qui était justement en train de saborder les retraites. On peut même penser que chaque décision antisociale et de droite de Hollande (TSCG, ANI, retraites, pacte de « responsabilité ») aurait dû pousser l’ensemble du FdG à former immédiatement une vraie opposition de gauche. Au lieu de quoi certains communistes s’obstinaient encore à parler de « changement de cap » et assimilaient le camarade Mélenchon à l’extrême-droite parce qu’il avait osé brandir un balai, lequel n’est pas, comme l’a expliqué Alexis Corbière, un symbole d’extrême-droite, contrairement à ce que laisse entendre Bernard Adrian, ici fidèle perroquet du storytelling solférinien.

Tous ces mensonges de Bernard Adrian visent en fait un ennemi : l’écosocialisme. Tout y passe, sans souci de cohérence, dans son texte inepte et sur sa page Facebook : l’écosocialisme serait réactionnaire, petit-bourgeois, trotskyste, gauchiste, ou n’aurait rien de différent du « socialisme » du PS ; l’écosocialisme serait aussi populiste, d’extrême-droite, antisocial, mystique, préférant les vers de terre aux humains et la bougie au nucléaire. Enfin bref, l’écosocialisme, c’est le mal absolu. J’en viens à me demander s’il ne donne pas aussi mauvaise haleine.

Feu donc sur les écosocialistes et sur le plus connu d’entre eux, Mélenchon, et sur son abominable parti qui a commis « le coup de force que constitue le vote par surprise et à 48% de la motion écosocialiste par le PGE ». Admirons la rhétorique stalinienne digne d’un autre âge. Nanard y développe la notion intéressante de « vote par surprise ». Les délégués du congrès du PGE se réunissent à Madrid, discutent, et votent un amendement écosocialiste : c’est un vote « par surprise ». Les mêmes réélisent, malgré cette fois l’opposition jusqu’au-boutiste du PG, le communiste Pierre Laurent à la tête du PGE : c’est un vote régulier. Un vote est donc un vote s’il satisfait les staliniens comme Nanard. Sinon, c’est un vote « par surprise ». Et Nanard prend soin de préciser qu’il a été obtenu à 48%, des fois que ses lecteurs se diraient que ça fait pas 50% et qu’il y a un truc louche là-dessous (ben oui, avec un vote « par surprise », on est méfiant). Sauf que ces 48% de « oui » constituent bien une majorité face aux 43% de « non ». Des fois, avec la démocratie, ça passe ric-rac, mais c’est comme ça, et une majorité relative reste une majorité. Nombre d’élus communistes ne s’en plaignent d’ailleurs pas, qui furent élus lors de triangulaires avec moins de 50% des voix.

Pas avare de calomnie, Bernard Adrian prétend aussi que des « composantes du FdG » (lire : les méchants écosocialistes) auraient encouragé l’abstention aux municipales. La vérité, c’est qu’ils ont appelé partout à constituer des listes autonomes du FdG au 1er tour et qu’ils ont fait campagne pour toutes les têtes de liste communistes. Ils n’ont pas donné de consigne de vote là où il n’y avait pas de liste FdG au 1er tour, et on peut comprendre que des électeurs aient préféré s’abstenir plutôt que de voter pour la droite, ou pour le PS qui mène une politique de droite. Au 2ème tour, c’est le plus souvent le PS qui a refusé toute idée de fusion technique, au risque de favoriser l’abstention des électeurs du FdG et de faire gagner la droite. Bref, Nanard ment comme un arracheur de dents lorsqu’il a le culot d’affirmer que :

« cette abstention à gauche n’est pas une surprise. Nous, communistes, avons contribué à en faire baisser le niveau. D’autres composantes du FdG l’ont encouragée plus ou moins ouvertement ».

Il n’est d’ailleurs pas démontré que le ralliement des communistes aux listes gouvernementales austéritaires ait contribué en quoi que ce soit à faire baisser l’abstention, notamment lorsque les électeurs de gauche n’avaient plus au 2ème tour (ou parfois dès le 1er tour ) la possibilité de voter pour une liste FdG autonome. Enfin, on peut se demander si Bernard Adrian a vraiment fait baisser l’abstention aux européennes en dénigrant fielleusement Gabriel Amard qui conduisait la liste du FdG pour laquelle Nanard était censé faire campagne.

Selon Bernard Adrian, l’écosocialisme serait un socialisme « très peu social dans le sens où il combat peu pour la promotion politique et économique des travailleurs ». Mais c’est bien sûr tout le contraire, ne serait-ce que parce que l’écosocialisme, non seulement défend tous les conquis sociaux, mais promeut tout particulièrement les coopératives ouvrières et l’économie sociale et solidaire. Il se gausse aussi de la motion écosocialiste du PGE qui proclame : “nous devons parvenir à un compromis nouveau et original entre les classes de travail et les préoccupations pour la planète” et fait mine de croire (ou peut-être le croit-il vraiment, ce qui est encore plus inquiétant) que la planète ainsi évoquée serait pour les écosocialistes une « entité supérieure ». Quand on connaît le côté irréductiblement laïcard du PG (d’ailleurs décrié par certains camarades d’Ensemble), cette idée saugrenue paraît d’un ridicule achevé. On passe un compromis avec la planète comme on passe un compromis avec notre propre corps, par exemple en évitant d’ingérer tel champignon vénéneux quand bien même on l’aurait trouvé appétissant (cela ne signifie pas qu’on se met à négocier avec le champignon comme s’il était doué de raison !). Le compromis avec la planète (ou avec la nature, « corps inorganique de l’homme », pour reprendre l’expression de Marx), ce n’est rien d’autre que la prise en compte des conditions de la survie de l’humanité, et donc la rupture avec le productivisme aveugle du capitalisme (mais aussi de l’ancien modèle soviétique) qui détruit notre écosystème.

Avec une mauvaise foi à faire pâlir de jalousie le plus roué des Jésuites, Bernard Adrian assimile la « frugalité » ou la « simplicité volontaire » évoquées par les anti-productivistes à l’appauvrissement dont souffre « la grande majorité des travailleurs ». En réalité, la critique de la surconsommation ne consiste évidemment pas à demander aux pauvres de se restreindre encore davantage. L’augmentation du pouvoir d’achat des travailleurs est même un moyen de leur permettre de se procurer des denrées issues de circuits courts, produites dans des conditions sociales et écologiques satisfaisantes, alors qu’elles sont bien souvent aujourd’hui accessibles uniquement aux classes aisées.

Pour calomnier l’écosocialisme, Bernard Adrian n’hésite pas non plus à déformer le scenario Negawatt, en faisant croire qu’il s’agit ni plus ni moins que de remplacer les centrales nucléaires par des hydroliennes (la réalité est évidemment légèrement plus complexe), ou de « diviser par deux la consommation de viande et de lait en France ». On voit d’ici le tableau : à cause de ces salauds d’écosocialistes, les prolétaires devraient se priver de viande et de lait ! Sauf que Bernard Adrian se rend ici coupable d’une de ces falsifications grossières dont il a le secret. La lecture non tronquée du paragraphe du scénario Negawatt  sur ce sujet montre en effet à quel point Nanard se fout de la gueule du monde :

« L’analyse s’appuie ici sur le scénario Afterres 2050 qui applique la même démarche de sobriété et d’efficacité à toutes les étapes de la chaîne agricole : maîtrise des besoins, réduction des pertes et des gaspillages, recyclage des déchets organiques, etc. Ce scénario est notamment centré sur une évolution de l’alimentation visant un meilleur équilibre nutritionnel et une réduction des surconsommations actuelles de glucides (sucres), de lipides (graisses) et de protéines animales. Le régime alimentaire de 2050 comprend ainsi environ moitié moins de viande qu’aujourd’hui, et aussi moins de lait. Il contient en revanche une part accrue de fruits, de légumes et de céréales.

Ce rééquilibrage a un effet bénéfique aussi sur l’énergie et les surfaces disponibles : l’élevage consomme bien plus de surface et d’énergie que les productions végétales, et nous avons atteint un niveau de consommation de viande qui n’est pas soutenable à l’échelle de la planète. »

Ainsi, il ne s’agit pas d’affamer le populo en le privant de son steak et de son fromage favoris, mais de réduire la surconsommation de lipides, de glucides et de protéines animales (causes, rappelons-le, d’obésité, de maladies cardiovasculaires et de cancers) pour rééquilibrer l’alimentation, avec un effet bénéfique sur la santé mais aussi sur la consommation d’énergie. Mais Nanard, quand on le lui explique au détour d’un commentaire sur Facebook, il répond juste qu’il veut pas que ces salauds d’écosocialistes lui disent quoi bouffer. Derrière la posture communiste du stalinien pur et dur, l’individualisme petit-bourgeois qui ne supporte pas que la collectivité lui impose quoi que ce soit. Le niveau actuel de consommation de viande n’est pas soutenable à l’échelle de la planète ? Nanard s’en fout. Il veut sa bidoche et crever de son mauvais cholestérol tandis que les gueux des pays du sud s’entretuent pour un grain de riz et renoncent à élever leurs poulets pas compétitifs par rapport aux poulets européens élevés en batterie (en attendant les poulets lavés au chlore made in USA).

« Bref, l’écosocialisme n’a évidemment pas grand chose à voir avec le PCF, ni avec le Front-de-Gauche, ni avec le programme “L’Humain d’abord” » assène encore notre Nanard nucléaire, oubliant que ce programme comporte tout un chapitre sur la planification écologique, et que le chapitre intitulé « produire autrement » promet « un plan de transition écologique de l’agriculture en vue de faire de l’agriculture française un modèle d’agriculture de qualité, sans OGM, largement autonome en ressources non renouvelables, relocalisée, participant à la santé publique des consommateurs et contibuant à la lutte contre le réchauffement climatique ». Autant dire que le programme “L’Humain d’abord” a beaucoup à voir avec le scénario Afterres 2050 et avec l’écosocialisme tant décrié par Bernard Adrian. Bref, ce qui n’a pas grand chose à voir avec le PCF, le FdG et son programme, c’est plutôt le productivisme individualiste de Nanard.

Peut-être conscient au fond de lui de la faiblesse de son argumentaire anti-écosocialiste, Bernard Adrian entretient son prurit anti-mélenchonien en faisant référence à une actualité brûlante : l’adoption de la CSG et d’une loi “sur la prévention des licenciements”… par le gouvernement Rocard (oui, c’était il y a un quart de siècle). Le jeune sénateur Mélenchon aurait alors manqué de pugnacité contre ces reculs sociaux, contrairement aux glorieux parlementaires communistes. Et donc ? Donc Mélenchon a bien tort de s’opposer aujourd’hui au PS et l’écosocialisme est réactionnaire. Comment ? Vous ne voyez pas le lien ? Ben disons que Nanard, c’est pas vraiment Descartes. Il a oublié qu’avant « ergo sum« , il y a « cogito« . Alors forcément, il y a des trous dans son raisonnement (si on peut appeler ça comme ça).

Après une séquence nostalgie sur le PCF à l’époque de l’URSS, Bernard Adrian revient enfin à son obsession favorite :

« Les écosocialistes et les sociaux-démocrates ont en commun de diluer la lutte des classes dans les questions environnementales pour les premiers, dans les questions sociétales pour les seconds. Ne semons pas d’illusions en laissant croire que les premiers seraient décidément d’une autre “nature politique” que les seconds. Il est possible que l’écosocialisme ne soit en fait qu’un canot de sauvetage de la social-démocratie. »

Aussi lucide que Staline lorsqu’il décapita son armée à la veille de la seconde guerre mondiale, Nanard se fourre encore la sainte moustache du petit père des peuples dans l’oeil : non, la différence n’est pas « très minime » entre sociaux-démocrates et écosocialistes ; les solfériniens (qui ne sont même plus sociaux-démocrates, en réalité) n’ont plus rien à diluer dans le sociétal puisqu’ils ont totalement abandonné la lutte des classes (« je n’y ai jamais cru » avouait Cahuzac avant sa chute), le sociétal étant lui-même bien léger si l’on considère la capitulation en rase campagne du gouvernement Valls sur la PMA ; quant aux écosocialistes, ils ne diluent en rien la lutte des classes dans les questions environnementales puisqu’ils font du combat écologiste un combat contre le capitalisme prédateur et de l’émancipation des travailleurs un outil de la planification écologique.

Le PCF a bien souvent passé des alliances de circonstance avec le PS, ce qui n’empêchait pas les antagonismes. Avec le PG, il a créé le Front de Gauche : ce n’est pas tout à fait de même nature, et malgré les difficultés rencontrées à l’occasion des municipales 2014, les militants des deux organisations, des autres composantes ainsi que les non-encartés du FdG sont des camarades unis par un même but : la conquête du pouvoir pour mettre en oeuvre la révolution citoyenne et le programme « l’humain d’abord ». Cela ne gomme pas les divergences, et c’est bien le droit de Bernard Adrian de défendre ce qu’il croit être les intérêts de l’appareil communiste. Mais en usant de mensonges, d’amalgames et de calomnies pour nuire à des camarades (et ce même pendant une campagne unitaire), il ne fait qu’attiser la discorde, pousser à la désunion, semer la zizanie. Pourquoi s’en alarmer ? Après tout, ce pitre d’un autre âge ne représente que lui-même, et certainement pas les communistes dans leur ensemble. Pourtant, André Chassaigne, président du groupe FdG à l’Assemblée nationale, ne rate pas une occasion de critiquer publiquement les initiatives de Mélenchon et de contester l’idée d’opposition de gauche portée par le PG. D’autres responsables du PCF ont publié également des tribunes allant dans le même sens, et il est à craindre que la décomposition révélée par les élections européennes ne touche également le FdG, déjà affaibli depuis plusieurs mois par des forces centrifuges (l’hystérie anticommuniste des uns n’étant il est vrai pas en reste face aux poussées de fièvre antimélenchonienne des autres). A ce titre le discours grotesque et malhonnête du plus con des staliniens pronucléaires de France est un symptôme inquiétant d’un mal réel. Plus que jamais, il nous faut faire de la politique autrement : communistes, écosocialistes ou simplement militants de gauche, nous devons faire vivre malgré les divergences inévitables et les logiques d’appareil la camaraderie et la loyauté que se doivent des compagnons de résistance et de lutte.

Le programme du Front de gauche à Pantin

La liste « Pantin à gauche, l’humain d’abord !« , constituée par des membres du PG et du PCF, mais aussi par des citoyens engagés sympathisants du Front de Gauche, a élaboré un programme municipal intégrant des remarques et propositions recueillies auprès des Pantinois lors des réunions publiques, des tractages et des porte-à-porte.

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Lettre ouverte à Stéphane Guillon

Monsieur Guillon,

Ayant banni de chez moi la télévision il y a déjà pas mal d’années, je n’ai pas eu l’occasion de suivre votre carrière en détails. Je me souviens avoir vu à la fin des années 2000 sur internet des extraits de certaines de vos prestations télévisées durant lesquelles vous faisiez preuve d’un humour plutôt vachard (et un peu phallocrate, il me semble) contre des personnalités du monde du spectacle qui m’étaient souvent inconnues mais dont je soupçonnais que, du fait même de leur insignifiance sur les plans esthétique, artistique ou idéologique, elles ne méritaient peut-être pas tant de hargne. Puis je vous ai entendu quelques fois sur France Inter, et vos chroniques qui devenaient de plus en plus politiques et incisives, égayèrent mes matinées en ces tristes temps sarkozystes… Jusqu’à ce que Jean-Luc Hees et Philippe Val vous jetassent dehors, ainsi que votre collègue Didier Porte, pour complaire à Nicolas Sarkozy. Je me souviens que lors de cette très politique éviction vous reçûtes d’ailleurs le soutien appuyé d’un certain Jean-Luc Mélenchon.

Oubliant mes premières préventions à votre encontre, j’allai ensuite assister à l’un de vos spectacles et passai un bon moment.

C’est donc avec étonnement et déception que je découvre l’article que vous avez publié dans l’ex-Libération le 6 décembre 2013, sous le titre : « Mélenchon… La grande illusion ! » Bien sûr, en tant que partisan de Gauche, je ne suis pas le meilleur client qui soit pour les attaques contre le co-président de mon parti. Mais je suis plutôt adepte de la satire et plus familier de la devise « ni dieu ni maître » que du culte de la personnalité. Autrement dit, partager les idées de Mélenchon ne m’interdit pas de goûter éventuellement la critique ou la moquerie contre lui. Et j’aurais pu rire de bon coeur à vos saillies si vous aviez visé juste. Au contraire, votre article m’a déçu par son évidente malhonnêteté (par égard pour vous, j’écarte l’hypothèse de la simple bêtise). Voyons les faits.

Vous reprochez d’abord à Jean-Luc Mélenchon « d’avoir bidouillé son intervention au journal télévisé » du 1er décembre 2013. En effet, selon vous :

“Alors qu’il nous avait promis « la foule des grands jours » pour sa marche en faveur d’une révolution fiscale, le chef du Front de gauche se trouvait quasiment seul, avenue des Gobelins, quelques minutes avant son direct sur TF1. Branle-bas de combat, panique à bord, il a fallu trouver à la hâte une vingtaine de militants afin que le vieux leader paraisse entouré. Pour que l’illusion soit parfaite, TF1, complice de cette mascarade, avait filmé Jean-Luc en plan serré et Claire Chazal, toujours bienveillante, déclarait : « On aperçoit derrière vous des drapeaux et des gens qui se massent. » La grande illusion. (…)

Oui, mais manque de bol, un journaliste d’Euronews habitant dans l’immeuble d’en face immortalisa la scène en la photographiant : devant la caméra, un Jean-Luc Mélenchon, seul, perdu au milieu de l’avenue des Gobelins, avec en arrière plan, tel un décor de carton-pâte, un dernier carré de supporteurs fidèles… cliché dévastateur !”

A partir de là, vous soutenez que Mélenchon a voulu « sauver à tout prix les apparences, déguiser la vérité » pour masquer l’échec (selon vous) de la manifestation à laquelle il avait appelé ce jour-là. Le problème, c’est que le jour où vous publiâtes votre article, il était déjà notoire que la fameuse photographie sur laquelle vous appuyez votre théorie avait été prise avant la manif, avant donc que les manifestants n’affluassent. Mélenchon était « seul » (hormis le petit groupe de militants massés derrière lui) tout simplement parce qu’il venait de déjeuner et que la manif n’était pas commencée !  Oui, JLM ne va pas casser la croûte avec des milliers de manifestants (« quel snob ! » auriez-vous pu dire, et ça m’aurait fait marrer) ; il paraît même qu’il lui arrive aussi de dormir ou de faire sa toilette sans être entouré d’une foule compacte, et je vous imagine déjà clamant devant une porte de WC, tel le pitre Cahuzac que vous semblez chercher à égaler : « vous êtes un homme seul, Monsieur Mélenchon ! » C’est malheureux, tout de même : j’en suis réduit à faire moi-même les vannes qui manquent à votre texte.

Mélenchon seul
Mélenchon seul et sans bidouille avant la manif

Mais reprenons. Ne vous en déplaise, JLM ne pouvait pas « bidouiller » avec la complicité de TF1 pour masquer le prétendu échec d’une manifestation qui n’avait pas encore eu lieu. C’est d’ailleurs le PG et Mélenchon, et non un reporter de balcon, qui ont publié en premier sur Twitter une photo qui, contrairement au cadrage de TF1, ne laisse pas l’ombre d’un doute : on y voit clairement que le petit groupe de militants qui est derrière JLM n’est pas le gros de la manifestation mais bien un simple avant-poste qui ne remplit évidemment pas l’avenue. Ces militants n’ont donc pas été réunis « à la hâte » pour parfaire une « illusion » mais sont juste venus faire nombre derrière l’interviewé, comme Mélenchon s’en expliquait sur son blog trois jours avant que vous ne publiassiez votre article. Ou bien vous l’ignoriez, et c’est fâcheux (renseignez-vous un peu avant d’écrire n’importe quoi, même dans un torchon comme l’ex-Libé), ou bien vous le saviez, et c’est malhonnête. On peut déplorer (je le déplore) que le spectacle médiatique impose des mises en scène, mais à moins d’être complètement demeuré, vous ne pouvez attendre d’un responsable politique aussi aguerri que Mélenchon qu’il se laisse interviewer avec deux clodos devant une pissottière graffitée pour donner envie au télé-spectateur de rejoindre la manif qui se prépare. Le spectacle télévisuel exige du décor et du pittoresque. Sinon, les chaînes de télé n’iraient pas se faire chier par exemple à envoyer un journaleux devant la Maison Blanche pour commenter des élections américaines qui peuvent parfaitement être analysées en studio depuis Paris. Ou bien on refuse toute interview télévisée (c’était la position très cohérente de penseurs comme Bourdieu ou Debord, mais c’est impossible à tenir pour un mouvement comme le Front de Gauche qui aspire à conquérir le pouvoir par les urnes), ou bien on en accepte les contraintes les moins compromettantes, et dès lors, autant choisir la couleur du décor (rouge et verte en ce qui nous concerne, et avec de l’humain d’abord). Je vous conseille à ce sujet la lecture d’un article d’Henri Maler et François Neveux (sur Acrimed), qui réussit ce que vous n’avez pas su faire dans le vôtre : être à la fois critique, intelligent, honnête et même parfois drôle. Si vous êtes paresseux, j’en retiendrai pour vous ces extraits édifiants :

“Les conditions de fabrication, souvent lamentables, d’un journal de télévision imposent fréquemment de composer sciemment des images, ne serait-ce que quand il est demandé à un témoin d’agir devant la caméra « comme il le fait d’habitude ». Ceux qui s’indignent de cette mise en image – qui aurait pu connaître le même destin que les autres, c’est-à-dire passer inaperçue – ne peuvent pas ignorer, du moins l’espère-t-on, que presque tout ce qu’ils voient dans les émissions d’information a aussi fait l’objet d’une construction, plus ou moins volontaire ou habile qui vise à esthétiser ou recréer la réalité. Faute de moyens, la nécessité de produire des images au jour le jour, parfois en direct, impose aux journalistes, qui font fréquemment de nécessité vertu, de forcer les faits à se produire sous leurs yeux, sans pouvoir attendre qu’ils se produisent par eux-mêmes. Pour ne rien dire du fait que tout acteur ou témoin, en présence d’une caméra, cesse d’être lui-même et modifie son comportement pour se présenter sous tel ou tel jour… (…)

Dure leçon de chose. Acrimed n’a cessé de mettre en garde les contestataires (sans leur prescrire la « bonne solution ») contre les risques de la personnalisation et de la médiatisation à tous prix. Que les collectifs doivent être incarnés par des porte-paroles va de soi. Mais pas au point de laisser les médias construire des personnages médiatiques qui échappent aux collectifs : il en fut ainsi avec Georges Marchais ou plus récemment avec José Bové (le « gaulois destructeur de Mac Do ») ou Olivier Besancenot (le « facteur de Neuilly qui roule à bicyclette »). Que des contestataires veillent sur les conditions de leur médiatisation, rien de plus normal. Mais quand le souci d’obtenir de belles images militantes fait fi de toute réserve, c’est la crédibilité de la critique de la construction médiatique de l’information qui en pâtit.”

Pour ma part, je souhaite que le Front de Gauche et son principal porte-parole méditent ces lignes. Mais je sais aussi à quel point il est nécessaire pour nous de contrer sans cesse l’image de nous que donne à voir le système médiatique (cette image qu’hélas vous reprenez à votre compte). Mon camarade de l’OPIAM a d’ailleurs bien montré à quel point les médiacrates et les solfériniens s’efforcent (tout comme les antisémites soraliens ou les lepénistes patentés) d’exploiter à l’infini les images les plus repoussantes possibles d’un Mélenchon qui leur fait horreur. Car le storytelling à succès de la dédiabolisation de Marine Lepen va de pair avec la diabolisation, y compris visuelle, de Mélenchon et du Front de Gauche. Vous y contribuez vous-même, hélas, monsieur Guillon, par votre article malhonnête et l’écume qu’il suscite. Par exemple, sur Twitter, vous répondez aux militants du Front de Gauche qui n’ont pas apprécié votre malhonnêteté qu’ils ont « autant d’humour que ceux du FN », et un dénommé Jean-Daniel Flaysakier (comique troupier qui se présente comme « journaliste professionnel et médecin aussi » — ne lui manquait plus que le titre de ministre du budget !) de surenchérir en vous répondant « plus que certains ! pas loin de la majorité » puis « c’est plus facile de desaliniser que de déstaliniser ». Cela doit être de l’humour de droite, je suppose.

Le procédé nous est désormais familier : « Mélenchon = Staline, Front de Gauche = FN, pasque les esstrêmes se rejoignent, ma bonne dame ! Tous des populiss ! » Encore échappe-t-on pour cette fois à Hitler, Pol-Pot ou la Corée du Nord. Mais vous vous laissez tout de même aller à comparer JLM à « Dieudonné, cet ancien humoriste, aujourd’hui révisionniste, abonné désormais aux jeux de mots nauséabonds » et à évoquer les « anciens camarades » qui parlent « de vocabulaire des années 30, de relents antisémites », recopiant ainsi les lamentables calomnies solfériniennes, et vous gardant bien de mentionner plutôt d’autres « anciens camarades » qui ont, eux, tels Julien Dray, l’honnêteté de reconnaître que « traiter Mélenchon d’antisémite, c’est imbécile et ça tue le débat nécessaire« . Je renvoie encore une fois à la lecture de l’OPIAM pour une recension plus approfondie des crachats et vomis dont vos employeurs, monsieur Guillon, nous couvrent habituellement. Les chaînes Canal + et iTélé n’ont de leur côté pas hésité à diffuser des images bidonnées d’une autre manifestation plus clairsemée datant de la veille (sans que vous vous émussiez d’ailleurs de cette « illusion »-là) pour accréditer le mensonge solférinien d’un échec de la manif du 1er décembre. Je vous l’accorde : c’est sans doute le signe du succès mitigé de cette marche, car si cette manif avait réuni des centaines de milliers de personnes, les chaînes de télé auraient plutôt ressorti des images de la Wehrmacht défilant sur les Champs-Elysées en 40 ou des chars soviétiques à Prague en 68. Décidément, contrairement à ce que vous affirmez, il n’y a pas grand mal à agiter quelques drapeaux derrière Méluche interviewé par Claire Chazal et à ne pas perdre du temps à la détromper lorsqu’elle croit que c’est la manif qu’elle aperçoit au fond (après tout, depuis combien de temps n’a-t-elle pas vu une manif de près ? Faut comprendre, elle n’est que femme-tronc, pas reporter de balcon).

Mais parlons encore un peu « bidouille », puisque vous êtes amateur. Le reporter de balcon qui a « révélé » que Mélenchon était « seul » (avant que des milliers de personnes ne remplissent la rue) travaillait selon vous pour Euronews. Pas de bol, c’est faux. Stefan de Vries (peut-être passé de son balcon à son salon) a même pris la peine de vous signaler lui-même votre erreur dans les commentaires de votre article en ligne. Ce n’est pas la plus grosse de vos erreurs, mais reconnaissez que ça la fout un peu mal, pour un mec qui prétend dénoncer une bidouille. Plus grave : vous laissez entendre que la scène filmée par TF1 « complice » de Mélenchon vise à masquer le fait que celui-ci est « quasiment seul » alors qu’il avait « promis la foule des grands jours ». Tout d’abord, Méluche n’est pas un monsieur météo de la mobilisation, et il n’a pas le pouvoir de faire pleuvoir les foules ni même de les prédire. Il n’avait rien « promis », malgré les relances stupides des journalistes qui lui demandaient des chiffres, mais avait espéré (c’est bien légitime) une forte mobilisation, reconnaissant tout de même la veille sur Canal + (la chaîne des truqueurs) qu’il avait un « petit trac ». Ensuite, la photo du reporter de balcon, qui n’a d’abord que très peu été « retweetée » lorsque son auteur l’a publiée sur Twitter, n’a commencé à faire le buzz que lorsqu’elle a été reprise par l’extrême-droite et les complotistes qui sévissent sur internet (voir encore les explications de JLM sur son blog). C’est donc la propagande fasciste de caniveau que vous relayez à votre tour ! Car quoi que vous pensiez de la mise en scène de TF1, l’avenue vide au moment de l’interview a bel et bien été remplie après celle-ci par une foule nombreuse. En comparant JLM à « Sarkozy convoquant des figurants habillés en ouvrier lors de la visite d’un chantier », vous accréditez, comme les fachos et les conspirationnistes, l’idée qu’il n’y aurait pas eu de manifestants du tout, à part 20 « figurants ». Or, non seulement ceux qu’on voit derrière JLM lors de l’interview sont de vrais manifestants du PG, et non des figurants, mais ils ont bel et bien été ensuite des milliers dans la rue à former « la foule des grands jours », si ce n’est la foule des très grands jours.

Nous en venons à la question du chiffrage. Combien étaient-ils finalement, ces manifestants ? Vous avez une idée très précise, et indubitablement erronée, sur la question :

« Comment un homme qui, il y a deux ans, rassemblait 120 000 personnes, peine-t-il aujourd’hui à en réunir 7 000 ? »

manif du 1er décembre
7000 manifestants ? Soyons sérieux !

Il aurait pu vous venir à l’esprit qu’en pleine démoralisation due à la politique austéritaire de Hollande, après l’épisode difficile pour le Front de Gauche des divisions parisiennes orchestrées de main de maître par les Solfériniens, la mobilisation de ce froid dimanche de décembre, sans être aussi spectaculaire bien sûr que celle de la campagne présidentielle d’un printemps 2012 encore plein d’espoirs, était tout de même une sacrée putain de prouesse. Notons que vous admettez les chiffres de 120000 donnés par JLM « il y a deux ans », mais que vous ne reprenez pas les 100000 annoncés cette fois-ci. Mais pourquoi croire le Méluche de mars 2012 et pas celui de décembre 2013 ? Vous préférez prendre pour argent comptant le nombre ridicule et impossible de 7000 annoncé par Valls alors que la préfecture avait déclaré qu’elle ne donnerait pas de chiffres. Pourquoi ? Comme le relate Acrimed, le nombre de 100000 peut être contesté (puisqu’on sait d’avance, depuis la dernière marche pour la VIe République, que Valls annoncera n’importe quoi, il est tentant de charger la mule dans l’autre sens) mais les observateurs les plus sérieux ont tous parlé de dizaines de milliers de manifestants, c’est-à-dire davantage que les Benêts Rouges de Bretagne la veille. A ce titre, un des objectifs de cette manif a bien été rempli. En professionnel de la comédie, vous goûterez peut-être, monsieur Guillon, ce commentaire de François Delapierre qui m’a fait bien rire (dans A Gauche n°1371) :

“J’invite ceux qui chipotent sur les 100000 marcheurs du 1er décembre à organiser une manifestation en faveur de la politique fiscale du gouvernement. Qu’ils mettent sur leur banderole les slogans de Hollande : « le travail coûte trop cher », « 20 milliards pour le patronat, ça créera des emplois », « une seule solution, la compétitivité » ou un slogan plus direct, « cajolons les actionnaires, pas les salaires. » Nous comparerons ensuite les cortèges.”

Avouez que c’est tout de même plus drôle et plus mordant que la propagande solférienne que vous nous infligez dans l’ex-Libé, non ? Il faut dire que cette propagande, peu réputée pour ses effets comiques volontaires, vous la recopiez décidément avec un zèle de bon bourrin bien dressé et sans la moindre distance ironique. Vous dressez ainsi une liste entièrement falsifiée de « provocations » de Mélenchon :

  • « Cuba n’est pas une dictature« , aurait-il dit. Oui, mais vous tronquez ses propos, oubliant de mentionner que dans la même interview sur France Inter le 5 janvier 2011 (voir l’extrait vidéo sur Arrêt sur images), il avait aussi affirmé : « ce n’est pas une démocratie comme nous l’entendons« , avant de préciser que s’il défendait l’expérience socialiste cubaine dans le contexte latino-américain, il n’était évidemment pas question de prôner un tel modèle pour la France. C’est un point de vue contestable, si vous voulez, mais bien plus nuancé que vous ne le laissez paraître, tout occupé que vous êtes à faire endosser à Mélenchon le costume de dictateur stalinien que veulent lui tailler la droite décomplexée (UMP, UDI…) et la droite complexée (PS).
  • « Pierre Moscovici ne pense pas français mais finance internationale » est une citation elle aussi tronquée et falsifiée, celle utilisée par les médiacrates (Quatremer, Aphatie…) et les solfériniens (Désir, Attali…) pour porter une stupide autant qu’ignoble accusation d’antisémitisme contre JLM. En tant que commentateur de l’actualité, et puisque vous avez fait l’effort de recenser les phrases de Mélenchon ayant suscité des polémiques ces derniers mois, vous ne pouvez ignorer que cette citation est fausse, comme l’a révélé aussitôt Michel Soudais dans l’hebdomadaire Politis le 24 mars 2013. Ce qu’a réellement dit JLM à propos de Moscovici (qui venait d’accepter que la troïka raquette la pauvre population chypriote), c’est : « Donc il se met dans leurs mains. Donc c’est un comportement irresponsable. Ou plus exactement c’est un comportement de quelqu’un qui ne pense plus en français… qui pense dans la langue de la finance internationale. » Comme l’explique Michel Soudais, « ce que reproche Mélenchon à Pierre Moscovici ce sont bien ses actes politiques, dans le cadre de ses fonctions. Pas autre chose. Et si le PS entend autre chose, c’est évidemment pour des raisons inavouables. »
  • « Le Petit Journal est la vermine du FN » semble être pour vous une phrase infâmante. N’ayant jamais vu cette émission, je veux bien cette fois me fier à votre jugement et convenir qu’en disant cela, JLM ait pu être vraiment trop trop méchant avec de braves journalistes consciencieux. Mais il m’est arrivé de lire des choses pas jolies jolies sur les turpitudes du Petit Journal. J’aurais donc tendance à faire plutôt confiance à mon camarade Antoine Léaument lorsqu’il démonte minutieusement la façon dont cette émission participe à la diabolisation médiatique de Mélenchon, pendant de la dédiabolisation de Marine Le Pen.
  • « Les Normands sont des alcooliques et des Français arriérés« , voilà encore une phrase provocatrice, selon vous. Je note en passant que vous avez les mêmes indignations que le site d’extrême-droite Riposte Laïque. Là encore, vous sortez avec malveillance une phrase de son contexte et la déformez. C’est en effet lors d’un entretien de février 2013 avec une radio marocaine au sujet de son enfance à Tanger que JLM a raconté qu’il avait été « horrifié », enfant venant d’une grande ville multiculturelle d’Afrique du Nord, de découvrir en arrivant en Normandie une population «d’alcooliques et d’arriérés». «La France des campagnes était extraordinairement arriérée par rapport au Maroc des villes», précisait-il. JLM parlait donc du déracinement d’un jeune pied-noir urbain transplanté brutalement dans la France rurale du début des années 60. Quel choc pour un gosse de 11 ans venant d’un pays musulman de découvrir les ravages massifs de l’alcool ! Il faut vraiment être con ou malhonnête (en ce qui vous concerne, je le répète, je penche pour la seconde hypothèse) pour voir dans ce témoignage du mépris pour les Français d’aujourd’hui et pour nier que l’alcoolisme ait pu être un sacré problème dans la France des années 60.
  • “Le vieux cabot de la politique, dites-vous, ne supporte pas la relève. Ainsi les Bretons qui lui ont volé sa révolution sont «des esclaves manifestant pour les droits de leur maître».”  Encore une falsification grossière, non pas du discours de JLM, cette fois, mais de la situation politique. Non, le mouvement des Benêts Rouges ne représente pas « les Bretons ». Il y a aussi des salariés bretons qui ne défilent pas derrière leurs patrons mais plutôt contre eux. Il y a aussi des Bretons qui ne défendent pas l’agriculture productiviste polluante, qui ne suivent pas le Medef, le FN, les Identitaires et les Régionalistes. Et non, monsieur Guillon, les Bretons qui s’y sont laissés prendre ne représentent pas « la relève » de la révolution citoyenne et écologique que 4 millions d’électeurs ont appelé de leurs voeux en 2012. Si on laisse aux « nigauds » le terrain de la gronde fiscale populaire, il y a au contraire un sérieux risque de contre-révolution, voire de réaction de type fascisant. Métaphoriquement parlant, sommes-nous en 1788 ou en 1940 ? C’est là tout l’enjeu pour qui, comme JLM, a quelque connaissance des moteurs de l’histoire.
Guillon en Porsche
Le pourfendeur de la classe affaire préfère Porsche.

Votre papier, décidément fort peu satirique, mais tout à fait propagandiste, sombre aussi dans le poujadisme de bas-étage en évoquant la marotte de l’extrême-droite : les indemnités de député européen de Mélenchon (« exonérés de CSG et de CRDS », tenez-vous même à préciser, vous qu’on a vu bien moins soucieux d’exactitude par ailleurs). Vous abaissant au niveau du premier trolleur soralien venu, vous faites mine d’avoir été surpris que JLM puisse s’offrir la classe affaire en avion (au point qu’il vous ait fallu aller vérifier sa déclaration de patrimoine) alors qu’il a toujours dit que ses revenus d’élu faisaient de lui un privilégié, nonobstant le fait qu’il reverse une grande partie de ses revenus à son parti (ce que vous oubliez bien sûr de mentionner). Alors qu’on trouve sur le premier moteur de recherche venu des photos de vous au volant de votre Porsche, vous vous indignez que « le porte-parole des oubliés, des laissés pour compte », passé l’âge de 60 ans, opte, puisqu’il en a les moyens, pour un peu de confort lorsqu’il part défendre justement la cause des oubliés et des laissés pour compte à l’autre bout du monde. Peut-être vous siérait-il davantage qu’il allât à la rame nouer contact avec les gauches latino-américaines dont vos amis solfériniens disent tant de mal depuis leur salon après n’en avoir vu que ce que montre la propagande nord-américaine ?

Malgré vos propos sur Twitter contre les militants du Front de Gauche, votre malhonnêteté ne peut s’abriter derrière l’excuse de l’humour, car en paraphrasant laborieuseusement dans votre article les éléments de langage et les mensonges de la rue de Solférino, vous ne vous êtes même pas laissé l’espace de quelques bons mots. Vous pourriez au contraire assumer d’être sorti de votre rôle d’humoriste et de vous être exprimé en tant que citoyen engagé. Ce serait plus honnête. Car vous avez parfaitement le droit d’adhérer au projet austéritaire du gouvernement actuel et du parti qui le soutient, et vous avez parfaitement le droit de combattre politiquement les positions de Jean-Luc Mélenchon. Il ne vous serait d’ailleurs pas interdit non plus d’essayer de le faire avec drôlerie, mais je dois reconnaître que c’est sans doute très difficile. Même François Hollande, réputé pour son humour, ne s’y essaie même plus en public.

N’allez surtout pas croire, monsieur Guillon, que cette lettre ouverte émane d’un des ces militants (il y en a, hélas, même dans mon parti) qui ne supportent pas qu’on déboulonne leur leader maximo. Daniel Schneidermann, dans le même ex-journal que vous, a aussi écrit des choses assez dures sur Mélenchon et la manif du 1er décembre. Je ne partage pas du tout son analyse psychologisante du comportement de Mélenchon sur les plateaux télé, ni de la façon dont s’est retrouvée éclipsée la question de l’injuste augmentation de la TVA (que nous n’avons pas fini de combattre), mais je n’irai pas pour autant lui écrire une lettre ouverte vindicative, car contrairement à vous, il ne verse pas dans la falsification et dans la propagande déguisée. J’ai même envie de conclure en le citant, car un passage de son texte me semble faire mouche et devoir nous inciter, nous militants du Front de Gauche, à réflexion :

“Pendant ce temps, ce dont on ne parle plus, c’est la scandaleuse hausse de la TVA qui va frapper les pauvres, ceux qui ne peuvent pas protester, ne sont même pas venus à la manif de Mélenchon parce qu’ils n’en ont pas l’idée, parce que c’est Paris, parce que c’est loin, parce que même Mélenchon quand il passe à la télé, ce n’est plus pour parler de la TVA, c’est pour répondre à Trapenard et à Aphatie qui lui balancent des fausses images, c’est pour jouer avec eux, jouer à un jeu cruel et incompréhensible, jeu mortel où il a tout à perdre et si peu à gagner, mais jouer avec eux, vivre avec eux, les retrouver matin, midi et soir, de micro en micro, accepter ce destin d’être le repoussoir fétiche du pays enchanté, leur doudou râleur, un peu rugueux, mais qui se laisse tout de même caresser à la fin, et reviendra demain.”

S’il est vrai que Mélenchon gagnerait à passer moins de temps avec les Trapenard et Aphatie, je me dis qu’après vous avoir écrit cette longue lettre, je devrais peut-être passer moins de temps avec vous, Stéphane Guillon. C’est pourquoi j’éviterai sans doute à l’avenir d’aller à vos spectacles ou de lire vos articles. Bon vroum-vroum et la bise à Harlem.

Le jeu populiste de l’automne

A la question : « vous diriez à nouveau qu’il y a aujourd’hui en France une minorité seulement de familles Roms qui ont un projet de vie, qui veulent s’intégrer en France ? », un populiste célèbre a répondu :

« Oui, il faut dire la vérité aux Français. Ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres, et qui sont évidemment en confrontation, il faut tenir compte de cela, cela veut bien dire que les Roms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie. »

Qui cela peut-il être ?

— Adolf Hitler

— Slobodan Milosevic

— Gilles Bourdouleix

— Marine Lepen

— Nicolas Sarkozy

— Manuel Valls

Les gagnants de notre grand-jeu concours recevront un aller-simple pour Bucarest en caravane.

Vivent les PTT !

Suite à une attaque de SPAM, l’hébergeur Free a supprimé tous les commentaires de ce blog sans autre forme de procès. Précisons que les mesures anti-SPAM y sont peu efficaces précisément à cause du fonctionnement bridé des serveurs de Free, le sémillant Xavier Niel préférant sans doute investir dans la téléphonie mobile plutôt que dans l’hébergement de pages web.

Depuis la privatisation de France Télécom, la guerre des prix entre FAI et opérateurs de téléphonie mobile a fait rage, laissant quelques suicidés sur le bord du chemin du néo-management. Mais c’était, paraît-il, pour le plus grand bien des consommateurs qui, sans cela, on nous l’a bien répété, n’auraient jamais pu bénéficier du haut-débit et de la téléphonie à bas coût. Ah bon ? Qui dit qu’un service public tel que les défuntes P&T ou PTT n’aurait jamais pu sans le saint aiguillon de la concurrence libre et non faussée (pouf pouf) mettre en place de meilleurs outils que les Orange, Free, SFR, Bouygues (qui ont grassement profité, et profitent encore du dépeçage de la Poste et de France Télécom)  ? Par exemple une Poste qui accueille vraiment les usagers plutôt que de les jeter devant des automates entre deux agents d’ambiance débordés, un abonnement téléphonique unique pour téléphones fixes et mobiles, sans formules marketing à la con, un accès internet haut-débit, un hébergement de pages web de qualité… voilà des services (et non des « offres » ou des « produits ») qu’un organisme public aurait très bien été à même de fournir en y intégrant à chaque fois les dernières évolutions technologiques. Rappelons que dans les années 80, le Minitel fut un service innovant et accessible qui ne devait rien au dynamisme du privé ni à la concurrence entre opérateurs. Aujourd’hui, la redondance de réseaux concurrents n’apporte rien, si ce n’est davantage de précarité au travail et de pollution, pour des services dont rien ne prouve qu’ils soient de meilleure qualité que ce qu’aurait pu faire un vrai service public. Il est temps de rebâtir un vrai pôle public de poste, téléphone et télécommunication.

Que revivent les PTT !

Storytelling antimélenchoniste de trotskystes sourds comme LO

Contrairement au NPA, qui avait rejoint dignement (sur ses propres mots d’ordre) la marche citoyenne du 5 mai 2013 à Bastille, Lutte Ouvrière refuse systématiquement de militer aux côtés du Front de Gauche contre l’austérité et la dictature de la finance, pourtant imposées aux travailleurs (que LO prétend défendre) par la bourgeoisie (que LO prétend combattre). Au nom d’une stratégie présentée comme révolutionnaire (opposée au vilain réformisme), LO a donc choisi de rester en dehors de cet élan populaire de résistance inédit sous un gouvernement solférinien. C’est son droit, et fort heureusement, l’absence des forces militantes de LO n’a pas empêché la manifestation d’être un succès. Mais les attaques récurrentes du groupuscule trotskyste contre le Front de Gauche placent décidément les camarades de LO en position de tireurs dans le dos.

Nathalie Arthaud, la porte-parole de LO, a ainsi déclaré le 19 mai 2013, lors de la fête de son parti, que, une fois au gouvernement, « Jean-Luc Mélenchon serait une marionnette et un pantin comme les autres. Il ne pourrait rien faire face aux Mittal qui détiennent  le pouvoir… » Pourtant, le Front de Gauche avait exigé la nationalisation du site de Florange et Mélenchon n’avait pas eu de mots assez durs contre Mittal, affirmant qu’il n’était pas le bienvenu. Mais Nathalie Arthaud ne l’avait peut-être pas bien entendu. Un problème de surdité ? Il est vrai que pour LO, les mots de Mélenchon ne comptent pas, puisque « le mur de l’argent, la bourgeoisie et le grand patronat, ça ne se combat pas avec des mots ». Belle affirmation constituée de… 19 mots, 0 arme et 0 action concrète. Le 20 mars dernier, Jean-Luc Mélenchon était pourtant venu donner un coup de main aux grévistes de PSA à Aulnay. Il leur avait remis des chèques de soutien et avait pris la défense de Jean-Pierre Mercier, délégué CGT, attaqué par Montebourg pour son appartenance à LO. La camarade Arthaud n’a-t-elle pas discuté avec le camarade Mercier ? Ou bien est-elle vraiment sourde ?

Un autre membre de LO, qui n’est pas avare de « mots » sut Twitter sous le nom de @recriweb, expliquait aussi le 16 avril dernier sur son tumblr [edit : il ne faisait en fait que recopier une prose de LO dont il assure n’être pas lui-même l’auteur] :

« L’écœurement envers la politique de Hollande s’ajoute à la déception laissée par Mitterrand puis par Jospin. Tout cela contribue à la désorientation de la classe ouvrière et à la démoralisation de ses militants. »

Les manifestations de masse initiées par le Front de Gauche sont précisément de nature à enrayer cette « démoralisation », chaque démonstration de force réussie contribuant à remotiver les militants et à faire prendre conscience à la classe ouvrière de sa propre force. C’est en tout cas très clairement la stratégie prônée par Mélenchon. La marche du 5 mai, ainsi que les répliques à venir début juin, permettent aussi de réorienter l’écoeurement légitime envers la politique de Hollande vers un désir de résistance et de nouvelles revendications (comme celle d’une démocratie sociale dans le cadre d’une sixième République) plutôt que vers le désespoir et la démoralisation qui poussent à l’abstention ou au vote FN. Mais l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb ne voit rien de tout cela. Il s’en tient au storytelling véhiculé par les médias, nouveaux chiens de garde du capitalisme, brodant autour de l’histoire personnelle d’un Mélenchon qui serait le sombre héros d’une cynique guerre pour le pouvoir, digne des séries Dallas ou Game of thrones.

« Mélenchon avance de plus en plus un pied dans l’opposition, alors que le PCF, pensant à ses maires et à ses conseillers municipaux élus sur des listes d’union avec le PS, freine des deux pieds. »

Pour ceux qui n’auraient pas compris, le camarade @recriweb en remet une couche dans un autre article du 19 mai 2013 [edit : en fait, un copié/collé d’un article dont il affirme n’être pas non plus l’auteur] :

« La stratégie de Mélenchon est guidée par sa carrière. Il se pose en rival de Hollande et a intérêt à creuser, du haut de son verbe “cru et dru”, l’opposition avec la direction du PS. Le PCF, lui, tient à préserver les positions dans les niveaux intermédiaires de l’Etat (municipalités, conseils généraux, etc.) qu’il occupe, en général, en alliance avec le PS. La direction du PCF n’a pas envie de tirer les marrons du feu pour le seul Mélenchon. D’autant moins que ce sont ses militants qui font le gros du travail. »

L’auteur(e) du texte recopié par @recriweb, décidément adepte de la communication narrative, nous raconte là une histoire palpitante : celle d’une rivalité personnelle entre Hollande et Mélenchon. Je ne sais pas ce que notre camarade trotskyste penserait si ce procédé de storytelling était utilisé pour évoquer par exemple la « rivalité » entre Trotsky et Staline : apporterait-elle selon lui un éclairage suffisant pour analyser l’opposition idéologique entre ces deux personnages ? Le (ou la) camarade de LO est-il (ou elle) à ce point resté(e) sourd(e) à ce qui différencie politiquement Mélenchon de Hollande qu’il lui faille envisager celle-ci sous l’angle de la presse à sensations, avec un niveau d’analyse politique proche de zéro ? La vraie raison de leur opposition est que l’un, Hollande, défend de plus en plus ouvertement les intérêts des marchés, de la finance et de la bourgeoisie oligarchique, tandis que l’autre, Mélenchon, défend les intérêts du peuple, en s’appuyant sur les forces de la classe ouvrière conscientisée et de la petite bourgeoisie intellectuelle. Mais cette raison est inaudible pour l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb puisque, dans l’histoire qu’il (ou elle) nous raconte, Mélenchon s’est vu attribuer sans autre forme de procès le rôle de démagogue valet de la bourgeoisie.

Notre militant(e) de LO semble découvrir aussi que le PCF et le PG n’ont pas tout à fait le même passé, ni le même poids électoral, ni forcément les mêmes intérêts pour les prochaines élections municipales. Quel scoop ! Aurait-il (ou elle) un peu plus tendu l’oreille qu’il (ou elle) aurait entendu que le Front de Gauche n’est pas un parti ni une confédération mais un front composé de plusieurs partis et structures, ainsi d’ailleurs que d’électrons libres, rassemblés certes sur un programme et une stratégie, mais ayant aussi leurs propres intérêts.

A propos de la stratégie spécifique au PCF pour les municipales de 2014, l’analyse de l’auteur(e) du texte recopié par @reciweb ne s’élève pas, là non plus, au-dessus du storytelling médiatique de bas étage, et passe donc à côté de l’essentiel : si localement, le PCF a effectivement besoin de maintenir l’alliance avec le PS pour espérer sauver quelques sièges de maires et de conseillers municipaux, les militants communistes sont dans leur grande majorité partisans d’une opposition radicale à la politique d’austérité menée par Hollande, laquelle se répercute bien évidemment à l’échelle locale. L’auteur(e) du texte recopié par @recriweb le saurait s’il (ou elle) militait aux côtés des militants du PCF comme nous, militants du PG, le faisons au sein du Front de Gauche. Cela lui éviterait aussi de dire que les militants du PCF « font le gros du travail » : ils font leur part, ce qui est certes admirable, essentiel et indispensable, mais les militants du PG, particulièrement actifs (parmi lesquels beaucoup de jeunes), ainsi que ceux des autres composantes du Front de Gauche, mais aussi les non-encartés, ne sont pas en reste. Beaucoup de militants et même de cadres du PCF sont partisans de la constitution de listes autonomes du Front de Gauche aux municipales, et ceux-là même qui sont tentés par une alliance de circonstance avec le PS pour sauver les meubles localement savent aussi que leurs alliés solfériniens leur feront défaut à la première occasion. Nos camarades du PCF se souviennent par exemple comment le PS leur a planté des couteaux dans le dos en Seine-Saint-Denis et dans toutes les anciennes banlieues rouges, faisant tomber les uns après les autres les bastions communistes dans les années 1990 et 2000. Dans certaines municipalités, le choix du PCF pour les municipales est donc cornélien : perdre dignement avec le Front de Gauche des positions indispensables à la survie — notamment financière — du parti, mais aussi à la défense sur le plan local des travailleurs, ou sauver quelques sièges par une alliance contre-nature avec un PS méprisant et plombé par la politique antisociale du gouvernement. Personne à gauche ne devrait se gausser du dilemme dans lequel se retrouve le PCF. Le ton des responsables communistes à l’égard du gouvernement est donc moins cru et moins dru que celui de Mélenchon car, bien évidemment, ils ont beaucoup plus à perdre que le PG dans un affrontement brutal avec les Solfériniens. Pourquoi s’en étonner ? La position du PCF restera délicate tant qu’il aura encore des bastions à sauver et tant que le Front de Gauche n’aura pas ravi au parti solférinien le leadership à gauche. Si la bascule s’opère par exemple à la faveur des prochaines élections européennes, alors le PCF aura enfin plus à gagner qu’à perdre dans une opposition claire et nette au PS. Pour dire les choses autrement, nous vivons à la fois la continuation inexorable de la décomposition de la puissance municipale du PCF et l’essor nouveau d’un Front de Gauche qui n’a pas encore réussi à traduire sa force de proposition en conquêtes électorales. Mais une chose est sûre : le PCF n’a aucune chance de survivre durablement ni d’imposer une politique favorable aux travailleurs en s’alliant nationalement avec le PS ou en mettant fin brusquement au Front de Gauche. Pas question non plus de cautionner la politique austéritaire et antisociale du gouvernement actuel. Cela, les communistes le savent, et ils le disent, avec leurs propres mots, à qui veut l’entendre. Mais l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb, sourd(e) comme LO, ne veut sans doute pas l’entendre. Il préfère raconter, à l’unisson des nouveaux chiens de garde du capital, la torride histoire d’un « je t’aime moi non plus » entre le PCF et Mélenchon, traquant dans les propos des responsables communistes la moindre nuance ou différence de ton, sur des questions aussi essentielles que par exemple celle du « coup de balai » : l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb, dont la surdité semble sélective, a bien entendu par exemple que Pierre Laurent et d’autres cadres du PCF avaient tiqué sur cette expression, mais il n’a pas vu les nombreux militants communistes venus le 5 mai munis de balais. Dans son article du 19 mai, le (ou la) militant(e) de LO voit aussi dans l’appel du PCF à « un vaste débat populaire qui convergera le 16 juin vers des assises nationales pour une refondation sociale et démocratique de la République » un moyen de faire de la marche du 5 mai initiée par Mélenchon une « simple étape ». Dans ce roman psychologique, le PCF, vexé, s’emploierait donc à minimiser l’appel de Mélenchon… en l’amplifiant et en le prolongeant ! L’histoire racontée par les médiacrates et par l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb devient décidément une farce. Et pendant ce temps, LO ne voit pas que PCF comme PG, avec le Front de Gauche, s’emploient à susciter et à entretenir l’élan populaire sans lequel aucune remise en cause de l’ordre établi n’est possible.

Maîtrisant décidément aussi bien le Mélenchon-bashing qu’un éditocrate de la presse bourgeoise, LO aborde aussi dans l’article recopié par @recriweb le 19 mai un point censé être rédhibitoire : Mélenchon, qualifié en passant de « démagogue », serait prêt à « postuler » au poste de 1er ministre à la tête de la majorité actuelle dont il condamne pourtant la politique. Voilà qui le placerait au même rang de soumission à la bourgeoisie que le PCF dont l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb avait pourtant essayé de nous démontrer qu’il n’était pas d’accord avec Mélenchon. Le scénario de ce storytelling commence à être un peu embrouillé, comme souvent dans les séries qui se sont attachées à une idée mais qui ne savent plus trop comment broder autour après l’avoir usée jusqu’à la corde pendant plusieurs saisons. L’idée est de montrer que Mélenchon le démagogue serait en train d’entourlouper son monde par une « escroquerie » à grands coups « d’illusions ». Mais l’exemple donné tombe à plat. L’auteur(e) du texte recopié par @recriweb essaie de faire croire que Mélenchon dissimulerait une volonté de gouverner avec le PS pour poursuivre la même politique que celle qu’il dénonce aujourd’hui. C’est d’autant plus idiot que Mélenchon ne fait absolument aucun mystère de sa stratégie (il faut juste ne pas être sourd comme LO pour l’entendre) : il veut provoquer une recomposition de la majorité élue en 2012 en poussant l’aile gauche du PS et EELV à basculer dans une opposition ouverte à la politique austéritaire et antisociale qui entretient et aggrave la crise. Alors une majorité alternative serait possible avec le Front de Gauche, et pourrait sans attendre 2017 rompre avec la politique libérale de Hollande, qui n’aurait du coup d’autre choix que de cohabiter avec la gauche anti-austéritaire ou de dissoudre l’Assemblée nationale. Le 5 mai, Eva Joly et quelques militants écologistes ont fait un premier pas. Aucun cadre du PS n’en a pour l’instant eu le courage, ce qui ne veut pas dire que tous acceptent de bon gré la politique actuelle. Il se trouve juste que beaucoup d’entre eux sont des bureaucrates que le parti solférinien fait vivre et que d’autres gardent l’espoir que leur parti, une fois la croissance revenue (ce qui n’arrivera pas) reprendra une politique de gauche (ce qui n’arrivera pas non plus). Mais l’aggravation de la situation sociale (annoncée de longue date par Mélenchon) et la dissipation des illusions à propos de Hollande pourraient malgré tout en pousser certains à basculer dans les mois qui viennent, surtout après une éventuelle déroute électorale du PS en 2014.

Dans l’article recopié le 16 avril par @recriweb, on pouvait lire aussi :

« En se plaçant de plus en plus dans l’opposition par rapport à Hollande et au gouvernement socialiste, Mélenchon espère profiter du discrédit du PS. Ce en quoi il se trompe probablement. Dans le contexte de recul réactionnaire de la vie politique, c’est le FN surtout qui tire profit de ce discrédit. Plus, en tout cas, que le Parti de gauche. »

On ne peut évidemment que constater (et déplorer) que le FN « profite » plus, électoralement, du discrédit du PS que le PG (et que LO aussi, soit dit en passant). C’est tout simplement que le FN existe depuis plus de 40 ans alors que le Parti de Gauche existe depuis à peine plus de 4 ans. En se contentant d’énoncer ce fait, l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb ne fait que relayer la célébration du « succès » du FN par les médias, ce qui participe à sa dédiabolisation (le storytelling jouant à plein aussi en faveur de Marine Lepen, présentée systématiquement comme moins extrémiste que son père et comme plus proche du peuple — ce qui n’est évidemment qu’une fiction — tandis que Mélenchon, lui, est systématiquement présenté comme un extrémiste « tonitruant »). L’extrême droitisation de la vie politique française a pourtant été analysée par Mélenchon depuis fort longtemps, et c’est donc en toute cohérence que le PG, avec l’ensemble du Front de Gauche, combat l’assignation médiatique de l’électorat populaire au vote FN. Si la progression du FN est restée modeste par rapport à son précédent pic de 2002, celle du Front de Gauche depuis sa création en 2009 est spectaculaire. L’auteur(e) du texte recopié par @recriweb, toujours sourd(e) comme LO, n’en a-t-il donc pas entendu parler ? Certes, cela n’a pas suffi à devancer le FN en 2012, mais le combat continue.

« Utiliser un langage pseudo-radical, en outre teinté de nationalisme antiallemand, ou brandir l’idée d’une sixième République, ne suffit pas pour lui attirer la sympathie des classes populaires. D’autant moins que Mélenchon comme le Front de gauche dans son ensemble, PCF compris, ont contribué à apporter du crédit à Hollande et ont participé à son élection. »

Je ne vois pas en quoi le langage de Mélenchon serait plus « pseudo-radical » que celui de LO qui prône textuellement la révolution sans jamais brandir les armes pour la faire mais qui ne s’associe même pas aux mouvements de masse sans lesquels une révolution ne peut commencer.

Je ne vois pas en quoi la critique de la politique de Merkel faite par Mélenchon serait « teintée de nationalisme antiallemand ». L’auteur(e) du texte recopié par @recriweb ne sait-il (ou elle) donc pas que le Parti de Gauche, qui est internationaliste, s’est inspiré lors de sa création du parti allemand Die Linke ? N’a-t-il pas entendu parler de la déclaration commune d’Oskar Lafontaine et de Jean-Luc Mélenchon le 20 novembre 2012 ? Sourd(e) comme LO, il (ou elle) sombre décidément dans le Mélenchon-bashing très en vogue dans les médias bourgeois et dans les cercles solfériniens. Si préférer Oskar Lafontaine à Angela Merkel est antiallemand, alors les Allemands de gauche sont antiallemands. Cette attaque est imbécile et ridicule.

Je ne vois pas en quoi les classes populaires n’auraient aucune « sympathie » pour l’idée de Sixième République. La réussite de la marche du 5 mai, qui a réuni plusieurs milliers de personnes (bien au-delà des 30000 bizarrement annoncées par la préfecture sur ordre de Valls, et bien au-delà aussi du nombre de participants à la fête de LO), y compris de nombreux syndicalistes en lutte (comme les Fralib), est la preuve cinglante du contraire. A moins que LO ne considère que ces derniers ne font pas partie de la classe ouvrière ? Bien sûr, ce n’est pas encore 1936 ou 1968, mais la mobilisation du 5 mai et l’accueil reçu par les militants du Front de Gauche lors des tractages durant les jours qui ont précédé montrent qu’il y a bel et bien un élan de sympathie pour cette idée pourtant compliquée (donc anti-démagogique) de Sixième République.

Enfin, je ne vois pas en quoi faire battre Sarkozy et obliger Hollande à gauchir son discours pour l’emporter de justesse en 2012 auraient contribué à apporter du « crédit » à ce dernier. Il avait la possibilité de s’appuyer sur les 4 millions de voix du Front de Gauche pour tenter une politique au moins sociale-démocrate. Au contraire, il perpétue délibérément la même politique que Sarkozy sans même pouvoir s’abriter derrière le prétexte d’un rapport de force défavorable. De son côté, les responsables du Front de Gauche, y compris du PCF, ont fait mentir le storytelling des médiacrates qui prévoyaient un ralliement au gouvernement solférinien et ont continué à en contester la politique antisociale.

« Ni Mélenchon ni le PCF n’ont cherché à éclairer l’électorat populaire. Ils n’ont pas voulu dire que c’est le grand patronat, les puissances de l’argent qui sont les maîtres de cette société et que les hommes politiques, si haut placés qu’ils soient, ne peuvent pas mener une autre politique que celle ordonnée par les maîtres. Ils n’ont pas voulu dissiper l’illusion qu’un changement à la tête de l’État, ou une autre majorité, pouvait changer le rapport de force entre le grand patronat et la classe ouvrière.

Mélenchon ne l’a pas dit, et ne pouvait pas le dire, parce que tout son jeu politique consiste à offrir ses services à la classe dominante avec comme argument de vente qu’il peut prendre le relais d’un Hollande discrédité pour continuer, avec plus d’efficacité, à entretenir les mêmes illusions. »

L’auteur(e) du texte recopié par @recriweb profère là un mensonge pur et simple, ne reculant devant aucune calomnie (Mélenchon accusé sans l’ombre d’un argument « d’offrir ses services à la classe dominante »). Le Front de Gauche n’a eu de cesse, depuis sa création, de former des assemblées citoyennes, de promouvoir l’éducation populaire. Pas un discours, pas un texte, qui ne dénonce l’oligarchie du grand patronat et des puissances de l’argent. Pour changer le rapport de force entre le grand patronat et la classe ouvrière, il faut une forte mobilisation des travailleurs et une vraie démocratie sociale, au sein même de l’entreprise, dans le cadre d’une Sixième République vraiment égalitaire. C’est ce que ne cessent de répéter les représentants du Front de Gauche. Il faut vraiment être sourd comme LO pour ne pas l’avoir entendu.

« Et ce n’est pas faire un procès d’intention à l’homme, bien que sa carrière politique d’ancien ministre témoigne de son véritable engagement. A-t-il pu changer ? Mais, même dans ses propos d’opposition les plus tonitruants, il ne met jamais en question le système capitaliste, il ne met jamais en cause l’ordre social basé sur l’exploitation. »

L’accusation de l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb sur la carrière d’ancien ministre de Mélenchon est grotesque. Celui-ci a été durant deux ans ministre de l’enseignement professionnel, de 2000 à 2002. Quelle mesure du ministre Mélenchon en faveur des lycées professionnels a-t-elle donc été contraire aux intérêts des travailleurs ? En évoquant des propos « tonitruants », l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb répète encore comme un perroquet les éléments de langage de la presse capitaliste. C’est peut-être pourquoi il (ou elle) n’a jamais réussi à entendre Mélenchon remettre en question le système capitaliste ni l’ordre social basé sur l’exploitation. Il (ou elle) n’a donc pas entendu que Mélenchon, candidat soutenu notamment par la fraction du NPA appelée Gauche Anticapitaliste, avait prôné la planification écologique, la nationalisation de certains grands groupes, la reprise d’entreprises par les travailleurs sous forme de coopératives… Il (ou elle) n’a pas entendu non plus que la plateforme adoptée lors du dernier congrès du PG mentionnait que « le capitalisme porte en lui l’oligarchie, c’est-à-dire le pouvoir d’un petit nombre sur tous les autres », et que, face au capitalisme, « la bifurcation qu’il faut opérer avec le modèle de développement actuel implique un changement des normes dominantes de la société, une transformation des rapports de propriété, une refondation des institutions visant l’exercice effectif de la souveraineté par le peuple. Il s’agit donc d’une révolution ». Cela, non, le (ou la) camarade de LO n’a pas dû l’entendre.

Sourd comme LO, décidément.

Bernard Maris, un éditorialiste nombriliste et anti-Mélenchon

Dans son éditorial de page 2 de Charlie Hebdo du 7 mai 2013, Bernard Maris s’interroge : « Déçu du hollandisme ou du mélenchonisme ? »

« Suis-je déçu de François Hollande ? Oui », révèle-t-il d’emblée. Et d’énumérer les raisons plus ou moins comico-farfelues de sa déception. Il eût notamment aimé :

« (…) qu’il [Hollande] dît à tous ces journalistes qui lui crachent dessus depuis un an : “ tas de blaireaux minables à la ramasse, dépassés par Internet, twitters grotesques, incultes du bonnet, renifleurs de bidet, fouille-poubelles à papier, mangeurs dans la main des puissants, jaloux du pouvoir, fricoteurs des dîners en ville qui ne savent même pas tenir une fourchette… ”, autrement dit qu’il fît du Mélenchon ».

La critique des médias faite par Mélenchon, pour acérée qu’elle soit, passe pourtant par des expressions nettement moins outrancières que celles employées ici par Maris qui fait proférer à un Hollande imaginairement mélenchonisé (de façon pour le moins caricaturale) les insultes céliniennes qu’il n’ose sans doute pas adresser à ses confrères de France-Inter, I-télé ou France 5 (où notre économiste a ses entrées). Rappelons aussi que si Mélenchon s’est laissé aller naguère à traiter par exemple David Pujadas de « salaud » ou de « larbin », c’était en relation avec la manière violente et insultante dont il avait interviewé le syndicaliste Xavier Matthieu (revoir la scène dans le film Fin de concessions de Pierre Carles). Les attaques de Mélenchon contre la presse ne sont pas gratuites. Elles répondent à des actes ou des faits précis et ne relèvent pas simplement du caractère particulier d’un homme, particulier en cela qu’il aurait l’audace de dire tout haut ce que Maris ou un Hollande fantasmé pensent tout bas.

Mais l’éditorialiste de Charlie Hebdo ne se contente pas de caricaturer hâtivement. Il attaque :

« Mélenchon parle avec une voix déguisée. Trop de violence. Trop d’indignation. Qui pouvait croire que le père François fût un socialiste à la Baboeuf, Guesde, Leroux ou Marx ? Tout ce que dit Méluche n’est pas faux, mais sa voix est imperceptiblement fausse. Il lui manque juste le demi-ton, le dièse ou le bémol qui rendrait juste la partition de sa colère contre Hollande, assimilé à Guy Mollet. »

Bernard Maris, dont les écrits — on vient d’en donner un exemple — ne répugnent pas à l’outrance, relaie donc à présent sans autre forme de procès les lieux communs des médiacrates sur la « violence » de Mélenchon, dont il ne faut jamais dire qu’il analyse, qu’il explique, qu’il propose, mais toujours qu’il « vocifère » et tient des propos « tonitruants », « populistes », et « extrêmes ». Maris qui a tant chié sur les économistes et sur les imbéciles politiques néolibérales a désormais des pudeurs qui, pour le coup, sonnent plutôt faux. Qui pouvait croire en effet qu’Hollande fût un vrai socialiste ? Bernard Maris, peut-être, mais certainement pas Mélenchon qui s’est opposé au sein même du PS à l’orientation libérale prônée par Hollande dès les années 80 et qui a fini par quitter le parti solférinien lorsqu’il a estimé qu’il n’était plus possible de le faire redevenir ne serait-ce qu’un peu socialiste. Lorsque Mélenchon a appelé à voter Hollande au second tour des élections présidentielles, c’était pour faire battre Sarkozy. Il n’a jamais laissé croire qu’Hollande appliquerait le programme du Front de Gauche (ce programme que Bernard Maris avait d’ailleurs reconnu en pleine campagne électorale n’avoir pas lu !*). Il n’a jamais fait mine de croire qu’Hollande serait autre chose qu’un « capitaine de pédalo » au milieu de la tempête. Mais il s’adresse aussi à un peuple de gauche qui a pu croire un instant que « le changement » c’était « maintenant », et qu’il s’agit désormais de ne pas laisser sombrer dans le désespoir et la résignation. Il rappelle également à chacune de ses interventions qu’Hollande n’a dû son élection qu’au bon report des 4 millions de voix qui s’étaient portées sur Mélenchon au 1er tour, ce qui aurait dû, dans une démocratie moins dégradée, obliger le vainqueur à quelques concessions. Déplorer qu’il n’en ait fait aucune est donc la moindre des choses.

Dans le même éditorial, Maris assène aussi :

« François Hollande n’a pas pris le chemin le plus facile. Parions qu’il suivra paisiblement sa normalité sociale-démocrate, ce que toute la presse feint d’ignorer, et ce que Mélenchon feint de découvrir. »

Ses confrères de la presse dépeignent systématiquement un Mélenchon « violent » ou « extrêmiste » quand ils ne vont pas, tel l’euro-béat Quatremer jusqu’à le traiter de stalinien, voire d’antisémite. Bernard Maris, pour ne pas rester en reste, n’a donc plus qu’à jeter le discrédit sur le discours de Mélenchon en l’accusant de « feindre » et de parler « faux ». En revanche, l’économiste de Charlie Hebdo, élu en 1995 « meilleur économiste de l’année » par Le Nouvel Economiste n’a pas consacré un seul éditorial au programme L’Humain d’abord ni au manifeste pour l’écosocialisme ni encore au contre-budget du Parti de Gauche défendus par Mélenchon. Aucune analyse. Pas même une critique. Aucune controverse non plus avec Jacques Généreux, aucune réplique à son livre Nous, on peut ! préfacé par Mélenchon. Aucune polémique non plus avec les économistes atterrés, ni avec Frédéric Lordon qui ont plusieurs fois soutenu les initiatives de Mélenchon (jusqu’au coup de balai du 5 mai dernier à la Bastille rejeté déjà par Maris dans un des précédents numéros de Charlie Hebdo*). Rien sur le fond. De l’écume. Discussion de comptoir pour commenter en surface, et au premier degré, la propagande de ce que feu le journal Le Plan B appelait le PPA (Parti de la Presse et de l’Argent).

Pourtant, Bernard Maris, chantre de l’écologie, de l’altermondialisme et de la décroissance, n’est pas le dernier à fustiger l’Europe austéritaire façon Merkel. Il signe par exemple dans le même numéro de Charlie Hebdo (sous son sobriquet d’Oncle Bernard) un autre édito titré « Harpagon tue l’Europe » dans lequel on peut lire :

« En fait, les créanciers, les riches essentiellement, bénéficient de la crise des dettes souveraines et des taux astronomiques demandés aux Etats et payés par les salariés. Qui a vraiment envie que ça s’arrête ? Pour que ça s’arrête, il faudrait mutualiser les dettes. Il faudrait donc que la BCE devienne une banque normale. Il faudrait aussi une politique industrielle (la constitution d’une communauté européenne de l’environnement, de l’énergie et de la recherche par exemple). Autrement dit, il faudrait sortir d’une économie de rente pour entrer dans une économie de production, et si possible de production de valeur d’usage ».

Ce qu’il « faudrait » faire, en somme, selon Oncle Bernard, c’est finalement appliquer la politique préconisée par Mélenchon : mettre en place la planification écologique et oser résister à l’Allemagne (« pays de vieux rentiers qui ne voient que le bout de leur magot »), notamment pour changer le statut de la BCE. Mais lorsque c’est Mélenchon qui le propose en expliquant comment faire, c’est « trop violent » et « déguisé », alors qu’assené sur le mode « faut qu’on, y a qu’à » par Oncle Bernard dans un journal satirique, c’est sans doute bien plus pertinent.

Il faut dire que ce brave Oncle Bernard souffre visiblement d’un syndrome fort répandu chez ses confrères journalistes : le nombrilisme. Il a compris, lui, que l’austérité menait l’Europe à sa perte, et cela lui permet par exemple d’animer le spectacle radiophonique sur France Inter en donnant courtoisement la réplique au très libéral Dominique Seux, par ailleurs rédacteur en chef des Echos. Mais qu’un Mélenchon fasse le même constat et en tire des conséquences politiques concrètes, voilà qui dépasse l’entendement du médiacrate contemplatif qu’est décidément devenu Bernard Maris. Triste destin pour un soixante-huitard grand lecteur de Guy Debord ! Dans sa charge anti-Mélenchon, il ne manque d’ailleurs pas — quelle ironie ! — de citer aussi Baudrillard : « Et ceci est la fatalité du politique actuel, que partout celui qui mise sur le spectacle périra par le spectacle », et de conclure : « Gaffe au spectacle, Jean-Luc, gaffe… » Mais qui donc, cher Oncle Nanard, mise vraiment sur le spectacle : le médiacrate qui travaille au spectacle de la fin du monde ou le politique qui travaille à la fin du monde du spectacle ?

Bernard Maris n’est malheureusement pas le premier gauchiste à finir en contestataire professionnel au service du spectacle, et il ne sera pas le dernier. On peut même admettre que son rôle d’économiste antilibéral de service sur les plateaux télé et radio puisse contribuer à apporter tout de même un autre son de cloche là où la doxa néolibérale règne habituellement sans partage. Mais hélas Bernard Maris va plus loin et dévoile ses vraies batteries lorsqu’à propos de Hollande, il écrit :

« Que lui demander de plus qu’un cheminement social-démocrate et une récupération lente, patiente du pouvoir sur la finance ? (…) Ayant choisi d’être normal pour une fonction anormale dans un pays d’anormaux, François Hollande n’a pas pris le chemin le plus facile. (…) François Hollande parle son propre langage, et c’est tant mieux. »

Et aussi :

« Lutter contre la finance par le Grand Soir ? Nuit du 4 août des créanciers, nos modernes aristos ? Quelle serait la marge de manoeuvre du Premier ministre Mélenchon, à part faire une politique généreuse de la mer — et c’est déjà beaucoup ? Sur quel pétrole s’appuirait-il pour mener une politique autonome, à la Chavez ? Langue au chat. »

Ainsi donc Bernard Maris, qui n’a sans doute toujours pas lu le programme du Front de Gauche, fait comme si Mélenchon n’avait jamais expliqué comment il comptait justement dégager des « marges de manoeuvre ». Tout cela est trop loin de son nombril pour avoir à ses yeux une quelconque réalité. Mais surtout il fait l’aveu de son propre renoncement et de son ralliement — malgré son image d’économiste keynésien de gauche — au credo néolibéral : TINA (There Is No Alternative). Pas d’alternative, pas de « marges de manoeuvre » pour faire une autre politique que celle que mène ce brave François Hollande en bon « social-démocrate » qu’il n’est d’ailleurs même plus (d’où le terme plus adéquat de « solférinien » employé désormais par le Parti de Gauche) : une « récupération lente, patiente du pouvoir sur la finance », tellement lente et patiente qu’elle passe par une soumission totale (sans aucune renégociation) au pouvoir de la finance, par une mise au pas du parlement au service du Medef, par une renonciation à presque toutes les mesures de gauche symboliques pourtant rares que le candidat Hollande avait promises (droit de vote des étrangers, amnistie sociale…). « Ne jamais parler avec une voix déguisée », a le culot de recommander Bernard Maris, conseiller général de la Banque de France (depuis sa nomination par le président solférinien du sénat le 21 décembre 2011), pas tant déçu que ça du hollandisme, avec la voix d’Oncle Bernard, virulent anarcho-écologiste pro-situ, déçu du mélenchonisme (dont il n’a entendu parler peut-être que par son compère de France Inter Dominique Seux ?). Parole de ventriloque assis qui n’a pas dû donner de la voix (même déguisée) dans une manif depuis belle lurette.

* Charlie Hebdo n’archivant pas l’intégralité de ses anciens articles sur internet, et l’auteur de ce billet ne conservant pas les quelques exemplaires papier qui lui passent sous la main (et n’ayant pas le loisir d’aller retrouver ses sources ailleurs que dans sa mémoire), le lecteur scrupuleux ou méfiant est invité à faire lui-même les vérifications d’usage en allant consulter les éditoriaux de Bernard Maris d’avril 2013 et des premiers mois de l’année 2012 et à nous transmettre le résultat de ses recherches.

Le Canard enchaîné caquette avec les chiens de garde

Le week-end dernier, lors du congrès du Parti de Gauche, François Delapierre et Jean-Luc Mélenchon ont déclenché les foudres de l’ex-presse et du Parti Solférinien pour avoir osé affirmer que le ministre Pierre Moscovici, ne pensant plus « en français » mais « dans la langue de la finance internationale » faisait partie des « 17 salopards » qui se sont donnés pour mission de rançonner le peuple chypriote. Sous prétexte d’une mauvaise retranscription de l’AFP qui avait oublié le « en » de « en français », les chiens de garde du PPA (Parti de la Presse et de l’Argent) comme Jean Quatremer ou Jean-Michel Apathie ont aussitôt aboyé, suivis par le gratin du Parti Solférinien (Désir, Attali…), relayés ensuite par les réseaux antisociaux et les prospectus publicitaires qui portent encore étrangement le nom de journaux (Libération, Le Point, etc.). De « relents des années 30 » en « propos dignes de Gringoire », tout ce beau monde tenait désormais de quoi salir Mélenchon de l’accusation suprême : celle d’antisémitisme.

Quelle ne fut pas ma surprise de constater pas plus tard qu’hier qu’un célèbre « journal satirique paraissant le mercredi » faisait lui aussi partie de la meute. En première page du numéro du 27 mars 2013, dans un article signé J.-M. Th., soit Jean-Michel Thénard, Le Canard enchaîné aboit en effet comme un vulgaire Quatremer :

« Non, Jean-Luc Mélenchon n’est pas antisémite. La preuve, il ne savait pas que Pierre Moscovici était juif. Ce n’est pas parce qu’il a fréquenté pendant trente ans les dirigeants du PS qu’il est tenu de connaître la religion de tous ses membres, nom de Dieu ! »

Les lecteurs habitués aux antiphrases du Canard auront compris que Thénard ne croit pas du tout que Mélenchon ait pu ignorer que Moscovici fût juif, et qu’il n’y a donc finalement pour lui pas de preuve que Méluche ne soit pas antisémite. CQFD. Sous l’humour pas drôle, la diffamation de bas étage. Monsieur Thénard serait-il le genre de mec qui passe son temps à se demander quelle est la religion ou l’origine communautaire de chacun de ses collègues ? De même qu’Harlem Désir a fait tout seul l’amalgame entre « juif » et « finance internationale » pour pouvoir calomnier Mélenchon, Thénard ne fait que projeter sur les autres ses propres obsessions. Pour ma part, si on m’avait posé la question, je crois que j’aurais répondu bêtement sans réfléchir que Moscovici était peut-être corse, ou d’origine italienne. Et je dois avouer que parmi mes camarades de comité du PG, je sais juste que l’un est catholique et deux autres musulmans (encore que je ne sache pas s’ils sont vraiment pratiquants), mais que je ne sais pas du tout si les autres sont juifs, athées, bouddhistes, protestants, agnostiques… Car tout simplement, dans un parti politique de gauche et laïque, la religion en tant que pratique personnelle privée, n’est pas un sujet fréquent de conversation. Pour tout dire, on s’en fout, de la religion des uns et des autres.

J.-M. Th. compare ensuite la version tronquée de l’AFP et la vraie phrase de Mélenchon pour ironiser sur la « nuance » :

« Dans un cas, ça frise l’antisémitisme. Dans l’autre c’est politiquement correct. »

La suite de l’article laisse entendre qu’en fait, ça friserait plutôt dans tous les cas l’antisémitisme :

« C’est le paradoxe, avec le patron [sic] du Front de gauche : plus il cannonne les socialistes, plus il faut peser au millimètre ses propos. Une préposition oubliée dans une de ses phrases et voilà l’ancien ministre de Jospin qui passe de l’extrême gauche à l’extrême droite. Plus il est simpliste, moins les choses sont simples. C’est dire s’il faut le prendre désormais avec des pincettes. »

Harlem Désir lui-même n’aurait pas rêvé plus fielleuse insinuation. Pourtant, n’importe quel esprit sensé peut voir que même sans la préposition « en », la phrase de Mélenchon n’avait rien d’antisémite : un Moscovici « qui ne pense pas français, qui pense finance internationale », cela aurait simplement désigné le fait que Moscovici ne défend pas les intérêts du peuple français mais ceux de la finance internationale, ce qui est objectivement le cas dès lors que sa politique est dictée par les marchés, et on peut en dire assurément autant d’un Cahuzac ou d’un Cazeneuve qui ne sont peut-être pas juifs, eux (je l’espère pour ma démonstration — sinon, remplacez par un autre Solférinien parpaillot ou catho certifié). Contrairement à ce qu’assène Thénard, Mélenchon, qui n’est déjà pas d’extrême gauche (pour la vraie extrême gauche, il n’est qu’un vil réformiste), ne passe donc en rien à l’extrême droite par simple oubli d’une préposition. Son discours n’est pas « simpliste » : il est clair. Et s’il faut prendre quelque chose « avec des pincettes », désormais, ce n’est certainement pas Mélenchon mais bien plutôt Le Canard enchaîné thénardié.

« Le paradoxe est révélateur de cette dérive qui amène le Franc-Comtois à jouer sur les marges avec un vocabulaire qui emprunte de moins en moins à la gauche. Et de plus en plus ailleurs. Il braconne, Mélenchon. Et il déconne. »

Et voilà comment le palmipède qui nargua naguère de Gaulle et fit bouffer ses diamants à Giscard devient un organe de la propagande solférinienne, qui n’a eu de cesse depuis la candidature de Mélenchon à la présidentielle de le comparer à Lepen. Si critiquer la finance internationale est emprunter au vocabulaire de l’extrême droite, alors il n’y a tout simplement plus de gauche. Ou être de gauche, c’est être d’extrême-droite, donc soyons centristes libéraux. C’est sans doute ce que veut montrer notre canard de garde.

Plus loin, Thénard en remet une couche contre Delapierre, cette fois, accusé lui aussi de déconner avec sa phrase sur les « 17 salopards ». Il faut croire que Thénard, ancien de Libé et ami de Carla Bruni, selon le blog Lucky, n’est pas cinéphile, ou bien qu’il aime rançonner les Chypriotes. Lui qui accuse Mélenchon de « parler con » peut désormais être rangé dans la catégorie des connards enchaînés.

 

Homophobie partout, égalité nulle part

Mardi 12 février 2013, l’Assemblée Nationale votait à une large majorité le texte relatif au « mariage pour tous », qui devrait autoriser les personnes de même sexe à se marier. A moins d’un coup de théâtre au sénat ou au conseil constitutionnel, l’affaire est donc classée. Encore que… Malgré la détermination, la dignité et l’éloquence de Christiane Taubira, les hésitations de François Hollande ainsi que les cafouillages gouvernementaux auront permis au débat de s’éterniser, laissant la droite réactionnaire la plus bête du monde tenir le haut du pavé. Du coup, l’accès à la PMA pour tous et l’encadrement de la GPA sont repoussés sine die, malgré le courage de la députée Marie-George Buffet qui s’est retrouvée bien isolée, même au sein de son propre groupe. La réelle avancée en terme d’égalité des droits que constitue le mariage pour tous reste donc bien limitée. Ce qui est encore plus inquiétant, c’est que ces trop longs mois de débat auront permis à l’homophobie la plus ignoble de s’exprimer ouvertement, y compris dans les rangs de la gauche, sous prétexte notamment que le mariage « homo » n’intéresserait pas le peuple et ne serait qu’une « diversion » pour faire oublier les « vraies » questions, c’est-à-dire les questions sociales. S’il est vrai qu’on peut suspecter à bon droit le gouvernement PS de préférer mettre l’accent sur les questions sociétales qui ne coûtent rien plutôt que sur sa trop évidente reddition à l’ordre austéritaire, force est de constater que ce gouvernement aura été très timoré même sur le terrain des moeurs, et que ce débat-là n’aura en rien masqué l’ampleur du désastre social dans lequel la soumission aux marchés plonge le pays. D’ailleurs, le jour-même de l’adoption de la loi sur le mariage pour tous par l’Assemblée nationale, les écoles étaient bloquées par une grève massive, et nombre d’ouvriers étaient en lutte contre les plans sociaux (Goodyear, Florange, Sanofi), preuve s’il en était besoin qu’une mobilisation ne se fait jamais au détriment d’une autre, mais qu’au contraire la lutte pour l’égalité ne peut que se renforcer d’être menée de front sur tous les aspects. Mais certains ne veulent décidément pas le comprendre…

L’homophobie tendance trostkarde

Un exemple révélateur est Ilan Simon. Militant trotskyste de l’ARS-combat (qui l’a désavoué par la suite, mais qui avait déjà procédé à des amalgames foireux entre adoption, PMA, et marchandisation), il est allé jusqu’à envoyer une lettre de soutien à l’extrémiste de droite Frigide Barjot. Sous couvert de références à Freud, Marx, Lénine et Trotsky, il s’y montre parfaitement réactionnaire, citant par exemple sans rire le texte confus de son groupuscule :

« (…) Il faut affirmer, face aux furies d’un égalitarisme caricatural et borné, que ce n’est pas être homophobe que de poser la question, à notre tour, de l’impact psychologique et affectif sur l’enfant élevé par un couple homosexuel. Car si la famille a toujours évolué, il n’y a jamais eu à notre connaissance de familles constituées de membres d’un seul et même sexe. D’autre part, nous ne pouvons ignorer les nombreuses études qui ont démontré l’impact négatif de l’absence du père sur le développement de l’enfant. »

Pourtant, poser cette « question » est bel et bien homophobe. Car quoi que puissent en penser Ilan Simon et l’ARS-Combat, les enfants de couples homosexuels existent déjà. Pourquoi Ilan Simon et son parti ne se posent-ils pas plutôt la question de « l’impact psychologique » que peut avoir sur des enfants élevés par un couple homosexuel le fait qu’un de ses parents ne puisse être reconnu comme tel ? La posture révolutionnaire masque ici bien mal le paternalisme et l’homophobie.

C’est arrivé près de chez nous

Plus inquiétant encore, ce livre de Stella Magliani-Belkacem et Félix Boggio Ewanjé-Epée : Les féministes blanches et l’empire (voir le texte intégral du chapitre V diffusé par Rue 89). Inquiétant par la thèse qu’il véhicule, mais aussi et surtout parce que publié aux éditions La Fabrique d’Eric Hazan (qu’on a connu mieux inspiré), dont Stella Magliani-Belkacem est secrétaire d’édition (elle était même intervenue à l’université d’été du Front de Gauche en 2012 pour s’exprimer sur « l’anti-racisme et le mutliculturalisme »). Dans une interview donnée à Robin d’Angelo pour Street Press et reprise sur Rue 89, les deux auteurs s’opposent selon l’interviewer à « un discours d’inscription des droits sexuels qui institutionnalise l’homosexualité telle qu’elle est définie en Occident », dénonçant « la tentative de faire de l’homosexualité une identité universelle qui serait partagée par tous les peuples et toutes les populations ». Le livre est dédicacé à Houria Bouteldja, du Parti des Indigènes de la République (PIR), et même si Stella Magliani-Belkacem a cru bon ensuite de préciser qu’elle avait été mal lue et qu’elle n’était pas membre de ce mouvement, la convergence d’idées est notable, particulièrement dans la tentative commune (et s’appuyant sur les mêmes références, par exemple à Joseph Massad) d’opposer « identité homosexuelle » occidentale et pratiques homo-érotiques dans le monde arabo-musulman précolonial. Soit dit en passant, cela donne surtout envie de leur répondre : « ah ouais, et alors ? »

Extrait du livre :

« Comme dans le cas du féminisme, la réaction contemporaine n’a eu de cesse ces dernières années de faire des non-Blancs la première menace contre les « homosexuels ». Du « jeune de banlieue » viriliste et macho jusqu’aux musulmans « intégristes », les hommes noirs et arabes, mais aussi les cultures non occidentales – en particulier islamique – sont représentés comme une force majeure de la domination hétérosexiste contemporaine. Comme on l’a souvent rappelé, cette manœuvre n’est là que pour dédouaner la France blanche de son homophobie, de sa lesbophobie et de sa transphobie structurelles, inscrites dans la législation, les dispositifs scolaires et médicaux ou encore les politiques d’accès aux soins. »

Il y a là (comme souvent chez les Indigènes de la République) une forme de pensée paranoïaque qui ne veut comprendre le monde que par l’unique prisme de l’impérialisme, du colonialisme, du racisme ou de l’islamophobie. La revendication d’étendre le droit au mariage aux couples homosexuels, pourtant, pointait bien une discrimination inscrite dans la législation française et non dans des moeurs orientales ou exotiques en vigueur outre-périphérique. Les organisations et les partis qui ont porté cette revendication et ont obtenu son inscription dans la loi par l’Assemblée nationale dépassent de loin le cadre du seul mouvement LGBT, et cette revendication ne nuit décidément en rien au monde arabo-musulman ni aux pratiques qui s’y dérouleraient de préférence en secret. S’il est vrai que la lutte contre l’homophobie en banlieue ou dans certains pays musulmans peut très bien être récupérée par des islamophobes patentés (FN, « identitaires »… prêts à récupérer jusqu’à l’idée de laïcité), cela ne signifie pas que toute dénonciation de l’homophobie en banlieue ou en terre d’Islam soit condamnée à prendre un caractère islamophobe. L’homophobie et la misogynie sont de tristes réalités de certains quartiers (qui n’en ont pas non plus le monopole) : la femme non-voilée se promenant seule ou l’homme soupçonnable d’être un pédé y reçoivent aisément insultes ou crachats, si ce n’est pire. Ce n’est pas parce qu’un jeune « non-blanc » de banlieue est victime de racisme qu’il est immunisé lui-même contre cette autre forme de racisme qu’est la haine des homosexuels (ou des femmes). Ce racisme-là, même émanant d’une victime, n’est pas plus acceptable qu’un autre. Etre soi-même méprisé comme « non-blanc » peut pousser à mépriser d’autres victimes, à commencer par le « pédé », fût-il lui même « non-blanc ». Et le cas échéant, on peut toujours trouver plus efféminé que soi. Au pire, il reste toujours les Roms, les clodos ou les putes. La réalité du racisme n’excuse pas l’homophobie qu’il peut amplifier. Il faut lutter contre les deux. L’esprit du capitalisme a-t-il à ce point contaminé les consciences que les défenseurs d’une cause aient forcément à la situer en concurrence avec toute autre ? Dénoncer des pratiques homophobes à tel endroit (par exemple dans les « quartiers ») ne revient pourtant pas à les accepter ailleurs (par exemple dans les campagnes bien franchouillardes) ni à minimiser les autres formes de violence sociale, religieuse ou raciale, en France ou dans le monde. Il faut lutter contre toutes les formes de racisme et de domination sociale, chaque lutte enrichissant l’autre, aucune ne se faisant au détriment des autres, toutes étant constitutives de l’émancipation humaine.

L’homophobie justifiée par « l’impérialisme gay »

Les auteurs du livre Les féministes blanches et l’empire posent que « la binarité homosexuel/hétérosexuel » serait une invention de l’occident imposée par la colonisation au monde arabe. En cela, ils rejoignent tout à fait la pensée de celle à qui ils ont dédicacé leur ouvrage, même s’ils ne se revendiquent pas de son parti (le PIR). Houria Bouteldja ne s’y est d’ailleurs pas trompée, puisqu’elle a cru bon, suite à la polémique déclenchée par l’article de Robin d’Angelo, de revenir le 12 février 2013 sur ce sujet et sur les propos qu’elle avait tenus le 6 novembre 2012 sur France 3.  Selon elle, la question du « mariage gay » ne concerne pas les populations des « quartiers », que par un raccourci assez osé, elle assimile à des « non-blancs » (il n’y aurait donc pas de prolétariat blanc dans les « quartiers » ?) :

« Ça ne signifie pas qu’il n’y a pas de pratiques homosexuelles dans les quartiers, ça signifie qu’elle n’est pas prioritaire et qu’on a d’autres choses beaucoup plus importantes et urgentes. »

A ce compte, les homosexuels blancs qui ne constituent pas le fond de commerce d’Houria Bouteldja pourraient parfaitement lui rétorquer que pour eux, la question de l’égalité dans l’accès au logement ou à l’emploi pour les « non-blancs » hétérosexuels des quartiers populaires n’est pas une priorité, quand bien même ces populations auraient très secrètement des pratiques homo-érotiques. Ils seraient alors accusés à juste titre de racisme et d’hétérophobie. Qu’on parle de droit au mariage ou de droit à l’emploi et au logement, il s’agit bien d’un seul et même problème absolument prioritaire : celui de l’égalité des droits. Il est certes terrible que le frileux gouvernement PS ne s’attaque pas à toutes les discriminations, mais Houria Bouteldja devrait comprendre que ce n’est pas le « mariage gay » qui empêche les Arabes d’accéder aux emplois, et que ce n’est pas en critiquant le « mariage gay » (ou en disant à la télé, en plein débat sur ce sujet : « là où je suis, parce que je n’ai pas un avis universel, là où je suis, je dis, cette question ne me concerne pas ») qu’elle fera avancer la cause des « indigènes » discriminés.

Et Houria Bouteldja d’ajouter :

« La seconde chose, c’est que je ne crois pas à l’universalité de l’identité politique homosexuelle. C’est-à-dire que je fais la distinction entre le fait qu’il peut y avoir des pratiques homosexuelles effectivement dans les quartiers ou ailleurs mais que ça ne se manifeste pas par une revendication identitaire politique. Celle-ci n’est pas universelle. Et moi je fais un peu ce reproche là au débat politique français, il considère, dans les milieux homosexuels, majoritairement, et c’est ce qu’on appelle homonationalisme et que je préfère appeler homoracialisme qui consiste à considérer que lorsqu’on est homosexuel, on doit faire son coming out et les revendications qui vont avec. »

Inversion tout à fait spécieuse du problème évoqué par Johan Cadirot, administrateur du Refuge – « une association qui loge les victimes d’homophobie » – qui affirmait qu’il n’y a pas « moins d’homos » dans les cités, mais qu’ils « sont plus cachés et dans le déni. » Avec une grande malhonnêteté intellectuelle, Houria Bouteldja tente d’en conclure que « l’enjeu est donc bien de convaincre des non-Blancs qu’ils doivent s’identifier comme homosexuels », et que « c’est un choix qui s’inscrit dans le militantisme homosexuel hégémonique : c’est le choix entre la fierté et la honte, le placard ou le coming out. » En réalité, Johan Cadirot dénonçait à juste le titre le fait que des homosexuels sont obligés de se cacher ou de se mentir à eux-mêmes sous peine de se faire exclure ou casser la gueule (voire pire). Il ne disait en rien que tous les homosexuels ou les adeptes de pratiques homo-érotiques devraient faire obligatoirement un quelconque coming out. C’est un faux procès qui vise à faire passer un défenseur des opprimés pour un oppresseur, et par là-même les victimes pour des bourreaux. Il existe peut-être des intégristes gays qui veulent imposer un mode de vie gay à tout homosexuel (ou à tout adepte de pratiques homo-érotiques), de même qu’il existe des intégristes religieux qui veulent imposer leur lecture de la religion à tout être humain. Mais ce n’est absolument pas ce qui est en jeu avec le mariage pour tous, puisqu’il s’agit — mais Houria Bouteldja fait mine de ne pas le comprendre — d’un droit et non d’une obligation. Le mariage pour tous n’impose aucune norme aux homosexuels, ni aux hétérosexuels, ni aux hétérosexuels adeptes de pratiques homo-érotiques, ni mêmes aux personnes arabo-musulmanes décolonisées ne se reconnaissant pas ou plus dans la dichotomie hétéro/homo imposée par l’impérialisme occidental petit-bourgeois. Le mariage pour tous permet juste aux couples homosexuels qui le souhaitent de bénéficier des mêmes droits que les couples hétérosexuels. Il supprime une discrimination. Il n’impose aucun usage. Il ne fonde aucune « identité politique homosexuelle » universelle. Il élargit juste le champ d’application du principe universel d’égalité des droits. C’est bien le même principe universel qui doit bénéficier aux « indigènes ». Car, comme le dit un flic dans l’excellent film « La parade » de Srđan Dragojević : « si on donne les droits de l’homme aux pédés, faudra les donner à tout le monde ».

 

Comme enivrée de sa propre phraséologie, Houria Bouteldja assène plus loin :

« La promotion de l’homosexualité comme identité politique produit des dégâts tant sur le vécu des homosexuels dont la vie peut-être mise en danger que sur les rapports sociaux surtout quand la protection due aux minorités sexuelles devient une exigence politique et éthique internationale à l’aune de laquelle se mesure la maturité civilisationnelle des nations néo-colonisées. Il serait temps, une bonne fois pour toute, de comprendre que l’impérialisme – sous toutes ses formes – ensauvage l’indigène : à l’internationale gay, les sociétés du sud répondent par une sécrétion de haine contre les homosexuels là où elle n’existait pas ou par un regain d’homophobie là où elle existait déjà, au féminisme impérialiste, elles répondent par un durcissement du patriarcat et par une recrudescence des violences faites aux femmes, à l’humanisme blanc et droit de l’hommiste, elles répondent par un rejet de l’universalisme blanc, à toutes les formes d’ingérence commises par l’Occident et qu’il serait fastidieux d’énumérer ici, elles répondent par une hostilité grandissante. (…)

C’est pourquoi, de façon analogue, les quartiers populaires répondent à l’homoracialisme par un virilisme identitaire et…toujours plus d’homophobie. »

De façon proprement délirante, Houria Bouteldja aura donc assimilé la simple revendication de l’égalité des droits pour les homosexuels à la promotion de l’homosexualité comme identité politique, laquelle serait par nature impérialiste (puisqu’occidentale) et donc logiquement rejetée par les « indigènes », conduits par là même à l’homophobie. Dans cette fausse logique, le responsable de l’homophobie n’est donc pas l’homophobe mais l’homosexuel. A ce jeu, on peut aller loin : le responsable des violences conjugales, ce n’est pas le mari violent mais la femme, le responsable de l’antisémitisme, ce n’est pas l’antisémite mais le juif, le responsable du colonialisme, ce n’est pas le colon mais l’indigène… quoique cette dernière proposition risque tout de même de déplaire un peu aux « Indigènes de la République ». En nommant « homoracialisme » la volonté des homosexuels de jouir des mêmes droits que les hétérosexuels, elle ne fait que projeter sur une autre communauté que la sienne (et aussi peu définie que la sienne) le racialisme qu’elle promeut elle-même dans son combat pour les « indigènes ». Houria Bouteldja a choisi par calcul politique de soutenir l’homophobie dans son camp plutôt que l’égalité des droits, quitte à heurter les « blancs » de gauche. Se faisant, elle se place en dehors de la gauche républicaine et enferme les siens dans un racialisme qui n’est que le reflet de celui du colonialisme qu’elle prétend combattre, les condamnant finalement à ne jamais se décoloniser vraiment, à rester à tout jamais des « indigènes ». C’est stupide et dangereux.

 

Crise, doléances, et révolution

Dans L’argent sans foi ni loi, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot montrent à quel point le règne de l’oligarchie financière est contraire à l’idéal républicain. Les deux sociologues y citent « ce que nous disait en 1802 le troisième président des Etats-Unis, Thomas Jefferson, que l’on ne peut pas considérer comme ayant été un dangereux révolutionnaire » :

« Je pense que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés que des armées entières prêtes au combat. Si le peuple américain permet un jour que des banques privées contrôlent sa monnaie, les banques et toutes les institutions qui fleuriront autour des banques priveront les gens de toute possession, d’abord par l’inflation, ensuite par la récession, jusqu’au jour où les enfants se réveilleront sans maison et sans toit sur la terre que leurs parents ont conquise. »

Transposé au monde — et à la France — des années 1970 à nos jours, ce constat est troublant. Il dépeint assez bien le coup d’Etat financier qui s’est opéré à la faveur de la crise des années 1970 et de la dérégulation qui l’a suivie jusqu’à l’asservissement actuel des Etats aux politiques austéritaires qui ruinent les peuples. Ce coup d’Etat s’est opéré discrètement et progressivement. Mais à mesure qu’une caste accapare les richesses de façon de plus en plus ostensible au mépris de l’intérêt général, les citoyens peu à peu dépouillés de leurs droits économiques et sociaux commencent à mieux comprendre ce qui se joue.

Profitons-en pour oser un autre parallèle historique.

« Je lis attentivement les cahiers que dressèrent les trois ordres avant de se réunir en 1789 ; je dis les trois ordres, ceux de la noblesse et du clergé, aussi bien que celui du tiers. Je vois qu’ici on demande le changement d’une loi, là d’un usage, et j’en tiens note. Je continue ainsi jusqu’au bout de cet immense travail, et, quand je viens à réunir ensemble tous ces voeux particuliers, je m’aperçois avec une sorte de terreur que ce qu’on réclame est l’abolition simultanée et systématique de toutes les lois et de tous les usages ayant cours dans le pays ; je vois sur le champ qu’il va s’agir d’une des plus vastes et des plus dangereuses révolutions qui aient jamais paru dans le monde. »

Ce constat effrayé d’Alexis de Tocqueville est cité avec malice par Eric Hazan dans Une histoire de la Révolution française. Il montre à quel point la société française de 1788-1789 était mûre pour la grande Révolution. Et aujourd’hui, où en est-on ? Crise économique, incapacité du pouvoir à sortir de la spirale de la dette faute d’être capable de faire obstacle à la rapacité de l’oligarchie, ressentiment du peuple : les similitudes sont frappantes, et remarquées d’ailleurs avec effroi par ceux-là mêmes qui ont de trop voyants privilèges à défendre. Ainsi, en 2012, le peuple accablé par l’austérité put entendre l’actrice Catherine Deneuve rétorquer à son collègue Torreton, qui critiquait le cynisme fiscal de son autre collègue Depardieu : « Qu’auriez-vous fait en 1789 ? Mon corps en tremble encore ! » Ce fut aussi pour la patronne du Medef l’occasion de renchérir en affirmant : « On est en train de recréer un climat de guerre civile, qui s’apparente à 1789 » (la même Laurence Parisot avait d’ailleurs déjà vu en Mélenchon « l’héritier d’une forme de terreur » lors de la campagne présidentielle). Ce fut ensuite Alain Afflelou qui sentit lui aussi le souffle de la guillotine contre sa nuque de riche marchand de binocles : « fiscalité injuste et confiscatoire (…) On est en train de faire une guerre de tranchées, de revenir en 1789 : il faut arrêter de dire que les chefs d’entreprises sont des voleurs, des voyous, des gens malhonnêtes. »

Le peuple n’a même pas encore sorti les piques contre les vils accapareurs que la classe ultra-privilégiée commence à trembler. C’est une bonne nouvelle, car jusqu’à présent, la peur était l’apanage des gueux craignant pour leur emploi. Mais le carcan qui enserrait les consciences des dominés commence à craquer, et ceux qui ont beaucoup à perdre le sentent, apparemment.

Un autre livre paru fin 2012 ne saurait les rassurer. Laurent Maffeïs et Alexis Corbière clament en effet « Robespierre, reviens ! » dans un ouvrage qui remet en cause l’opprobre jetée sur l’Incorruptible depuis la réaction thermidorienne. En nous rappelant le rôle de Robespierre dans la création de la République et dans l’émergence de la question sociale, ces deux camarades (du PG) montrent a contrario à quel point la contre-révolution a fini par triompher insidieusement. Il est temps de réhabiliter — et par conséquent de réactiver — le processus révolutionnaire qui donne toujours des sueurs froides à l’aristocratie d’aujourd’hui (la prolifération de véritables dynasties dans les grandes entreprises voire dans le show business vient confirmer ce que Bourdieu avait déjà montré avec La noblesse d’Etat : une nouvelle aristocratie exerce bel et bien de plus en plus visiblement sa domination sur une République vidée de son contenu révolutionnaire).

L’année 2013 et celles qui suivront auront-elles un parfum de 1789 voire 1792 ? Une chose est sûre : le peuple qui souffre sous le règne de l’argent fou a nombre de doléances. Il lui reste à les écrire et à en tirer les bonnes conclusions. Les assemblées citoyennes du Front de Gauche pourraient y contribuer. Camarades, ce n’est donc pas le moment de glander, et encore moins de désespérer.

Bibliographie :

Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, L’argent sans foi ni loi, Textuel, 2012
Eric Hazan, Une histoire de la révolution française, La Fabrique, 2012
Alexis Corbière et Laurent Maffeïs, Robespierre, reviens !, éd. Bruno Leprince, 2012
Pierre Bourdieu, La noblesse d’Etat, Les éditions de minuit, 1989
Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, 1856

Merci pour le rapport de force

Arnaud Montebourg, l’ex-chantre de la démondialisation, a eu beau dire, l’Etat ne nationalisera pas Florange, même pas provisoirement, et laissera donc Mittal continuer à mentir et à spéculer avec Goldman Sachs sur le dos des ouvriers. L’ex-presse a promptement glosé sur l’humiliation subie par Montebourg, publiquement désavoué par son premier ministre, si bien que celui-ci a dû, avec d’autres hiérarques sociaux-libéraux, vanter après coup le rôle du ministre de la désindustrialisation dans cette affaire. Selon le JDD :

« “On a été durs aussi”, nous raconte Ayrault, qui reconnaît que l’idée de nationalisation “a pesé dans le bras de fer. C’est une solution ultime. Un rapport de force a été créé et Arnaud Montebourg a joué son rôle.” »

La référence au « rapport de force » devient dès lors un élément de langage qui sera répété en boucle par les communicants et autres ministres sociaux-libéraux, tel Michel Sapin dans Le Figaro :

« L’intervention du ministre du Redressement productif, qui a menacé de démissionner avant de se raviser, a été “plus qu’utile” car “c’est lui qui a permis que se construise un rapport de force”, a expliqué Sapin pour qui “c’est parce qu’il y avait un rapport de force que au bout du compte il y a eu un résultat différent de celui que ArcelorMittal avait l’intention de mettre en oeuvre.” »

Hollande, Ayrault — et Montebourg lui-même — étaient-ils réellement prêts à recourir à la nationalisation ou s’agissait-il d’un bluff ? Mittal a-t-il réellement fait la moindre concession, lui qui n’a de toutes façons respecté jusqu’ici aucun de ses engagements ? Montebourg est-il le dindon de la farce ou a-t-il servi d’épouvantail ? A-t-il vraiment menacé de démissionner ? A-t-il été « carbonisé » par le premier ministre ? Sert-il d’alibi volontariste à un gouvernement capitulard ou permet-il de faire reculer ne serait-ce qu’un tout petit peu la domination de la finance sur l’industrie ? Autant de questions plus ou moins pertinentes qui agitent évidemment l’ex-presse, laquelle, se faisant, a négligé de remarquer un fait pourtant tout à fait important : depuis la conversion du PS à la religion du marché, on n’avait pas si souvent entendu un hiérarque socialiste — et encore moins un premier ministre — invoquer publiquement le concept de « rapport de force ». Les salariés de Florange auront certes bien du mal à avaler l’idée que le rapport de force ait été favorable à l’Etat dans le cas qui les concerne. Et nul ne saurait leur reprocher de se sentir trahis et abandonnés après que Montebourg leur a fait miroiter l’hypothèse de la nationalisation. Mais quelles que soient les intentions réelles de ce gouvernement social-libéral austéritaire, une chose est sûre : il vient d’employer un langage qui n’était plus, jusqu’ici, employé que par « l’autre gauche ». En termes gramsciens, on peut dire que c’est déjà, en cela, un coup porté à l’hégémonie culturelle de la bourgeoisie oligarchique qui avait si bien réussi à faire disparaître du langage courant des termes comme « rapport de force » ou « lutte des classes ». On sait depuis Orwell que la novlangue imposée par les dominants permet justement de dissimuler aux dominés la réalité de la domination elle-même, et d’empêcher ainsi la prise de conscience qui permettrait au peuple de renverser la situation. La renaissance du vocabulaire de la révolution est donc le préalable à la possibilité-même de la révolution.

Il reste donc à prendre Ayrault au mot : oui, la société est bien organisée par des rapports de force, et de même que le gouvernement prétend peser face à la finance en agitant son Montebourg, chaque parti, chaque syndicat, chaque collectif de lutte, chaque groupement de citoyens, peut légitimement revendiquer lui aussi le rapport de force pour faire valoir ses intérêts. Qui osera encore prétendre que les grévistes prennent les usagers « en otage », que les habitants de Notre-Dame des Landes doivent accepter qu’un inutile Ayraultport les spolie, que les citoyens doivent se résigner à l’austérité à perpétuité ? La lutte est légitime, et c’est celui qui a le plus gros Montebourg qui l’emporte. C’est le premier ministre lui-même qui l’a dit. Et avec la mobilisation continue du Front de Gauche et des syndicats (80000 personnes manifestant contre l’Europe austéritaire le 30 septembre dernier), avec le programme « L’humain d’abord », avec le contre-budget du PG, avec la possibilité d’une majorité alternative sur les bases de l’écosocialisme, le peuple a à sa disposition des instruments bien plus efficaces que ce pauvre Montebourg pour faire en sorte que ce rapport de force lui devienne enfin favorable.

Le rapport de force est donc officiellement de retour dans le champ politique le plus large. Et bientôt, sera-ce le retour de la lutte des classes et de la révolution ? Merci Monsieur Ayrault.

Comment j’ai adhéré au PG : le témoignage de Psychonada

En ce 27 octobre 2012, le Parti de Gauche lance une grande campagne d’adhésion. Nous relayons ici le témoignage du musicien Psychonada.

De la musique libre au Parti de Gauche

Le 14 mars 2012, je mettais en ligne sur le site du label « In cauda venenum » le morceau « Je re-Mélenchon » (parodie du « Louxor j’adore » de Philippe Katerine), que j’avais enregistré sous le nom de Psychonada. J’en faisais aussitôt l’annonce sur le forum du site de musique libre « Dogmazic« , où j’avais mes habitudes, grâce à quoi le morceau fut rediffusé dès le 15 mars par un internaute, sur le blog Mezamashidokei, à partir duquel il fut relayé sur les réseaux Twitter et Facebook. Un autre internaute mit en ligne le 17 mars une vidéo illustrant le morceau (vue plus de 260000 fois sur Youtube et quelques milliers de fois sur d’autres plateformes). Le lendemain eut lieu à Paris la marche jusqu’à la Bastille pour la VIe République. Par la suite, le morceau seul ou la vidéo ont été relayés par différents blogs et même par les grands médias (sites internet de la presse, France-Inter, Canal +). Mais ceux-ci se sont contentés d’accompagner le buzz sans jamais prendre le temps d’enquêter vraiment sur l’auteur de ce détournement ni sur ses intentions. Ils se sont contentés de copier/coller le lien de la musique ou de la vidéo, rigolant, au mieux, du jeu de mots potache, se demandant, au pire, si c’était de l’art ou du Mélenchon. Pour la plupart, néanmoins, le clip était évidemment « un clip du Front de Gauche ». Le Parisien, lui, me voyait « adepte du militantisme en musique », formule aussitôt recopiée par Le lab d’Europe 1 (à moins que ce ne soit Le Parisien qui ait copié sur Le Lab). Pascale Clark, sur France-Inter, investiga quant à elle du côté de Philippe Katerine, l’auteur du morceau original, pour savoir ce qu’il pensait de ce détournement. Il faut dire que Katerine était l’invité central de son émission et qu’il eût été sans doute dommage de ne pas le faire réagir au sujet du morceau qui avait déjà fait se poiler son collègue Patrick Cohen quelques jours plus tôt. Mais pas un mot sur le pourquoi et le comment de cette parodie.

Pourtant, je n’étais en réalité ni « adepte du militantisme en musique » (tout au plus ai-je parfois produit quelques musiques engagées) ni même, à l’époque, militant du Front de Gauche. Certes, je n’étais pas complètement étranger à l’action politique : m’étant toujours senti foncièrement de gauche, j’avais été proche de milieux libertaires antifascistes et j’avais participé en électron libre à de nombreux mouvements sociaux ainsi qu’à quelques initiatives à vocation subversive. Mais je n’avais jamais été membre d’un parti. A vrai dire, j’avais même encore une image assez péjorative des militants, que j’imaginais bornés, sectaires et sans humour (peut-être un héritage des années de lycée durant lesquelles j’avais pu côtoyer quelques militants de Lutte Ouvrière ?). En cela, j’étais sans doute aussi tributaire de la ringardisation de l’engagement collectif qui a si bien fait les affaires du capitalisme néo-libéral depuis les années 80. Il faut dire aussi qu’entre la trahison sociale-démocrate, le stalinisme pépère, le gauchisme stérile et l’écologie fade, je ne my retrouvais pas. S’il m’arrivait bien de voter pour les uns ou les autres, n’étant pas adepte non plus de « l’abstention révolutionnaire » chère à mes copains anars, il ne me serait pas venu à l’idée de militer. J’avais bien sûr voté « non » à l’Europe des marchés en 2005, ressenti le besoin d’une unité de la gauche anti-libérale en 2007, et trouvé intéressante la constitution de listes « Front de Gauche » en 2009. J’avais lu avec intérêt le livre Qu’ils s’en aillent tous ! de Mélenchon en 2010, même si son image d’ancien apparatchik du PS et son côté républicain tsoin-tsoin n’avaient rien pour me séduire a priori. Mais mon engagement n’allait pas plus loin.

Seulement voilà : de plus en plus lassé de l’individualisme indécrottable auquel je me heurtais notamment dans mes activités musicales (particulièrement au sein du mouvement informe de la « musique libre », trop imperméable à mon goût à la notion d’intérêt général, et englué dans des querelles byzantines sur les clauses des licences de libre diffusion), je me sentais de plus en plus en résonance avec les thèses développées par Mélenchon dès le tout début de la campagne des présidentielles. Par ses discours, il redonnait de la dignité à un mouvement ouvrier devenu honteux de lui-même et il réhabilitait l’action politique. Je lus donc le programme « L’humain d’abord » et commençai à suivre, notamment par internet, les meetings du Front de Gauche. Au cours de l’année 2011, j’en étais devenu un sympathisant et un électeur très probable, au point de m’inquiéter vaguement de l’obstacle que pourrait peut-être constituer le nom-même du candidat dans le cirque médiatique : « Mélenchon », c’est un nom dont les sonorités collent un peu à la bouche ; malgré l’étymologie hispanique, il a aussi un côté franchouillard « cornichon-saucisson » qui, associé à une longue carrière de sénateur, évoque plus les banquets de la IIIème République que l’avènement d’une VIème. Je me disais donc qu’il y avait peut-être un contre-pied humoristique à prendre. Je fus marqué aussi de la façon dont les médias dominants s’efforçaient de discréditer systématiquement le candidat du Front de Gauche en l’accusant de populisme et en le comparant à Georges Marchais, manière d’en faire à la fois un épouvantail et un clown. Et je trouvai habile de sa part de reprendre à son compte ces références pour en dégager le contenu subversif et le retourner à l’envoyeur.

Je ne sais plus quand m’est venue l’idée du jeu de mots entre « je remets le son » et « je re-mélenchon » (je ne suis sans doute pas le seul à l’avoir eue, d’ailleurs). Je connaissais et j’aimais bien le tube de Katerine dont j’appréciais le second degré et l’efficacité musicale due à un riff sobre et à une mélodie accrocheuse. A force de me trotter dans la tête, cette idée qui aurait pu aussi bien rester lettre morte s’est concrétisée : puisque j’étais en train de finir par ailleurs un album, je pouvais poursuivre sur ma lancée et m’offrir du même coup une récréation en enregistrant une parodie de « Louxor j’adore » transformée en hymne à Mélenchon. Le morceau de Katerine étant lui-même simple dans sa structure et son arrangement, je choisis de rester dans la même veine, le faisant juste sonner un peu plus rock (peut-être parce que je trouvais que Mélenchon avait un côté punk ?) en remplaçant le synthé par de la guitare et la boîte à rythme par de la batterie. Ce faisant, j’avais l’impression de faire une bonne blague potache qui ferait rire les copains et, peut-être, les quelques auditeurs de l’album à venir, mais je ne pensais pas participer véritablement à la campagne du Front de Gauche. Je n’avais donc absolument pas prévu que le morceau, une fois mis en ligne, se répandrait comme il l’a fait sur internet, et serait considéré comme un acte militant.

Je pris conscience, peu à peu, d’être embarqué par un élan émancipateur qui me dépassait mais dont j’étais pleinement partie prenante néanmoins. Les discours de campagne s’enchaînaient, regonflant d’espoir le peuple de gauche jusqu’ici si divisé, résigné et vaincu. Nous étions de plus en plus nombreux et de plus en plus conscients de notre force. Ma propre histoire politique, pourtant bien distincte de celle de Mélenchon et de ses alliés du PCF, convergeait tout naturellement vers ce moment particulier de l’Histoire que Mélenchon, parmi les candidats en lice, semblait être le seul à avoir compris. La Bastille était effectivement à reprendre, et le moment était venu de dépasser certains clivages obsolètes pour y parvenir. Une synthèse pouvait s’effectuer, au point où nous en étions, entre République et socialisme, mais aussi entre la tradition communiste et la culture libertaire, entre la gauche sociale et l’écologie, entre l’exigence intellectuelle et le souci du peuple, entre le réformisme institutionnel et la nécessaire révolution.

Je n’avais pas attendu les consignes pour laisser à ma parodie « citoyenne » la possibilité de contribuer à la campagne du Front de Gauche. Et, comme en écho, Mélenchon lui-même, dans un spontanéisme inattendu pour un ancien hiérarque du PS, affirmait de meetings en meetings que la consigne était de ne pas attendre les consignes. J’en arrivai donc naturellement à me considérer comme membre de ce Front de Gauche si prometteur. Il ne me restait plus qu’à franchir le cap de l’adhésion. Parmi toutes les organisations membres du FdG, celle qui me semblait avoir eu le rôle le plus moteur dans ce processus, et qui incarnait le mieux la synthèse entre écologie, socialisme et république, était le Parti de Gauche. J’adhérai donc au PG entre les deux tours de la présidentielle, déçu comme bien d’autres d’un score en-deça de nos récentes espérances, mais tout de même convaincu que l’essor de « l’autre gauche » ne faisait que commencer en France. Je rejoignis donc le comité Aubervilliers-Pantin et proposai mes services musicaux à la Télé de Gauche. Je suis à présent un de ces militants tant moqués par les tenants de l’individualisme, et je peux attester que, si je suis heureux de m’acquitter des tâches ordinaires dévolues au militant de base, je ne suis pas pour autant devenu un soldat aveugle au service d’un homme providentiel. Le PG n’est pas du tout, contrairement à ce que laissent entendre certains médias, la garde rapprochée d’un chef autoritaire. C’est au contraire un tout jeune parti au sein duquel chaque membre a une grande liberté d’action et de ton.

A l’heure où une prétendue gauche impose en France l’austérité à perpétuité et se soumet aux diktats des marchés, du patronat et de la technocratie européenne, il est temps de prendre parti.

A bas l’austérité ! Non à la résignation ! Organisez-vous ! Rejoignez le Parti de Gauche !

 

Quand Mélenchon refonde la gauche

En l’espace de quelques minutes d’un discours tenu à la fête de l’Humanité, Jean-Luc Mélenchon, expliquant l’air de rien que la révolution est « nécessairement permanente et continue », s’est permis de refonder philosophiquement la gauche en établissant des liens raisonnés entre l’humanisme, le communisme, le socialisme, l’écologie politique, le féminisme, la laïcité, la république et la démocratie. Voici une transcription écrite d’un extrait de ce discours dont la vidéo intégrale peut être vue à la fin du présent billet.

« (…) Est en train de naître dans la conscience collective des travailleurs l’impératif écologique comme un des moyens non seulement de répondre à leurs propres difficultés mais à celles de l’humanité toute entière, ce qui signifie que les travailleurs et la classe ouvrière se présentent non seulement comme la classe d’intérêt général quand elle défend les outils de production contre le parasitisme du capitalisme, mais aussi lorsqu’elle défend l’écosystème commun, en proposant de nouvelles manières de produire et de nouvelles productions.

C’est ce qui me permet de vous dire que dorénavant, nous sommes les artisans d’une doctrine nouvelle dont les prémisses ont été rassemblées dans nos batailles (…). C’est que notre Front de Gauche s’approprie une doctrine nouvelle que je résumerai par un mot : l’écosocialisme.

Je voudrais faire le lien entre ce mot et l’adjectif qui est à côté du mot « révolution ». Il y a un mot : « citoyenne ». Pourquoi camarades, est-elle dite « citoyenne » ? Je vais — pour certains, ce sera une répétition, pour d’autres, ils découvriront ce raisonnement — vous montrer en quelques mots l’assemblage des éléments du coeur de la doctrine écosocialiste. L’écologie politique nous a permis de comprendre ce que des fois nous n’avions pas vu dans nos propres textes, peut-être parce que nos textes étaient écrits à une époque où les problèmes étaient moins brûlants, peut-être parce que lorsque Karl Marx décrit la nature comme le corps inorganique de l’homme, lorsqu’il affirme que le capitalisme est une force qui épuise l’homme et la nature, nous ne faisions pas assez attention à la profondeur de ce que cette phrase voulait dire, compte tenu du fait qu’au moment où elle a été rédigée, au fond, l’industrie était naissante et concentrée dans très peu de pays dans le monde, et les logiques du productivisme ne s’appliquaient qu’à une part fort restreinte de l’activité humaine. Mais dorénavant, nous pouvons mieux en comprendre toute la profondeur. L’écologie politique nous a appris qu’il n’y a qu’un seul écosystème compatible avec la vie humaine. Nous ne défendons pas la planète. La planète continuera avec ou sans nous. Nous ne défendons pas la vie. La vie continuera avec ou sans nous les êtres humains. Et vous pouvez imaginer que la belle planète bleue continuera à tourner dans l’espace infini et sans signification avec pour seuls occupants des cafards et des fourmis [NDLR : et Marie-Noëlle Linemann]. Ça ne perturbera en rien les équilibres qui se jouent entre les corps célestes et la trame particulière de l’espace-temps. Nous défendons l’éco-système qui rend notre vie et nos querelles possibles. Par conséquent, s’il n’y a qu’un seul écosystème compatible avec la vie humaine, cela signifie qu’il y a un intérêt général humain. Réfléchissez à cette idée. Elle est déflagratrice. Elle passe comme un coup de tonnerre, comme un éclair dans le ciel. Elle est de la même importance que lorsque fut dit pour la première fois qu’il y avait des droits individuels de la personne, qu’une personne n’était pas un objet dans la société, qu’elle n’était pas simplement un attribut du totem fondateur ; aussi extraordinaire que lorsqu’on a établi qu’une aptitude biologique n’était pas un destin, que ce n’est pas parce que le corps des femmes leur permet d’engendrer des enfants que pour autant leur identité est confondue avec cet engendrement. C’est une idée révolutionnaire. Pas seulement pour les femmes, mais pour les êtres humains tous autant qu’ils sont, qui découvrent tout d’un coup qu’ils existent par leur conscience indépendamment de leur corps, indépendamment de leur conditionnement, indépendamment de toutes les matrices qui les constituent, et qui leur permet de s’élever à cette part de l’humanité absolue, radicalement humaine, qui est dans la gratuité du don de soi aux autres. (…)

Il n’y a qu’un seul écosystème qui rend la vie humaine possible, donc il y a un intérêt général humain. Et s’il y a un intérêt général humain, il est plus important que les intérêts particuliers et il a des droits antérieurs aux intérêts particuliers. Alors, deux doctrines, deux doctrines politiques, sont ausitôt refondées, objectivées. Elles cessent d’être une utopie comme une autre. La première, c’est le communisme, car l’écologie politique, en décrétant qu’il n’y a qu’un seul écosystème compatible avec la vie humaine dit donc qu’il y a des biens communs à tous les êtres humains et qui ne peuvent pas être utilisés en particulier les uns contre les autres. L’écologie politique refonde le communisme et l’intuition qu’il porte, et nous oblige à penser l’importance des biens communs de l’humanité autour desquels notre action doit s’organiser pour construire une conscience politique d’un type nouveau, qui n’est pas seulement la conscience de classe, mais qui est la conscience d’appartenir à l’humanité universelle comme à un tout. Donc s’il y a un intérêt général, que le communisme est refondé, le socialisme l’est aussi, car cet intérêt général ne peut pas être discerné vraiment et complètement autrement que librement. Vous ne pouvez pas dire ce qui est bon pour tous si vous êtes dominés, si vous avez peur de le dire, si vous êtes hors d’état de le dire. Par conséquent, l’exigence de la définition en commun d’un intérêt général humain exige l’égalité et la similitude entre ceux qui ont à prendre les décisions qui sont à prendre. L’égalité devient une nécessité : de l’intelligence, du collectif, l’éducation, la santé, toutes les questions qui nous permettent d’être en état de contribuer au bien commun. Voilà comment toutes nos doctrines sont refondées par l’écologie politique. Pas sous la forme d’un mille-feuilles, comme le font d’aucuns : une petite couche de socialisme, une petite couche d’écologie, et enfin une petite couche de république, et on touille tout ça… Et voyez mes ailes : je suis un oiseau. Voyez mes pattes : je suis un rat. Et regardez le tout : je suis une chauve-souris. Non, c’est une doctrine cohérente. Mais vous en voyez immédiatement surgir le coeur. C’est que bien sûr cet intérêt général qui doit être défini librement doit donc, dans l’arène où il se définit, être libéré de toutes les contraintes qui dominent les consciences, et notamment le poids des vérités révélées. C’est pourquoi toutes nos institutions sont nécessairement laïques, non pas pour faire offense à la foi, mais pour permettre que la discussion puisse avoir lieu sur la base d’arguments qui s’opposent les uns aux autres, et où, à la fin, on tranche par un vote qui ne forme pas autre chose qu’une décision, pas une conviction. Quand vous avez voté, vous vous inclinez devant la décision prise mais vous ne changez pas d’avis forcément. Voilà comment ces choses s’emboîtent. Et c’est là que surgît le concept républicain. Car ce qui est demandé à chacun, ce n’est pas de dire ce qui est bon pour lui, ou pour elle, c’est de dire ce qui est bon pour tous. Si l’enjeu de la discussion révolutionnaire est de dire ce qui est bon pour tous, nous sommes obligés de nous arracher tous à nos humus, à nos déterminations, aux injonctions qui nous sont faites par notre situation particulière, pour penser le bien commun. Alors, quel est cet état particulier, quel est le nom que l’on donne à ce moment où l’on cesse d’être seulement préoccupé de soi pour être préoccupé de tous ? Et bien cela porte un nom : dans des institutions libres, c’est le citoyen, camarades. C’est pourquoi notre révolution est citoyenne. Elle est citoyenne parce qu’elle nous indique que son objectif est le bien commun, et non pas le bien particulier. Elle est citoyenne parce qu’elle nous indique que le moyen pour parvenir à ce bien commun, c’est la démocratie politique et la république.

Et au passage, ça nous permet, compte tenu de la profondeur même de l’analyse qui nous conduit à ces conclusions de dire que, pour nous, la liberté et la démocratie, le pluralisme politique, ce n’est pas une concession que nous faisons au capitalisme, ça n’est pas quelque chose dont nous voulons bien entendre parler comme une espèce de moindre mal. Non, c’est la condition même de l’existence de la révolution citoyenne. Nous en avons besoin, de la liberté. Nous avons besoin de points de vue contraires qui s’expriment dans la société pour construire cette conscience civique. (…) »


J.-L. Mélenchon – Discours Fête de l'Huma par lepartidegauche

Adresse aux camarades qui veulent bouder la manifestation du 30 septembre 2012

A l’appel du Front de Gauche, mais aussi d’autres partis, organisations, syndicats et associations, une manifestation unitaire aura lieu le 30 septembre 2012 à Paris (départ 13h30 place de la Nation) contre le TSCG (le traité « Merkozy » qui impose à toute l’Europe l’austérité et la soumission à la finance). Si certaines organisations appellent à manifester simplement « contre » le traité, le Front de Gauche, lui, exige un referendum qui pourrait permettre au peuple, comme en 2005, de se prononcer (le Front de Gauche, dans une telle éventualité, militerait bien évidemment pour le « non »).

Bien que cette manifestation soit l’occasion d’un très large rassemblement de la gauche, certains arguments sont émis ça et là par des camarades sensibles aux sirènes sociales-démocrates ou gauchistes pour en contester le bien fondé ou l’utilité. Il convient d’examiner ces arguments et d’y répondre.

1) Le candidat Hollande avait promis de « renégocier » ce traité. Selon les dirigeants du PS et les ministres du gouvernement Ayrault, il aurait respecté cette promesse, et il n’y aurait donc pas matière à s’opposer à l’adoption du traité par le parlement. Interrogé le 26 août par BFMTV, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, et naguère chantre éphémère de la « démondialisation » et du protectionnisme européen, a estimé qu’il est « impossible de voter contre » le traité budgétaire européen qui sera soumis au Parlement en octobre, car il constitue « un progrès considérable » dans « le combat pour la croissance » en Europe. Il a argué notamment de l’ajout d’ « un paquet croissance de 120 milliards d’euros » pour « rééquilibrer les mesures de rétablissement des comptes publics ». Or, même un élu EELV comme Jacques Boutault reconnaît que « François Hollande n’a fait que rajouter, en annexe, un pacte de croissance de 120 milliards d’euros, dont 60 milliards redéployés à partir de fonds déjà votés et 60 autres milliards de nouveaux prêts qui restent à trouver. Mais une annexe n’est pas une renégociation et ne remet pas en cause la logique du traité dont le cœur consiste à renforcer les contraintes budgétaires des Etats en leur interdisant – sous peine d’amende –  un déficit structurel supérieur à 0,5% de leur PIB. » Le traité élaboré par Merkel et Sarkozy n’a donc pas le moins du monde été renégocié. Il fait toujours passer les Etats de la zone euro sous la dictature austéritaire de la Commission européenne et de la BCE.

2) Dans ce qui reste de l’aile gauche du PS, des voix s’élèvent malgré tout contre la ratification du TSCG. Ainsi, la sénatrice Marie-Noëlle Linemann a déclaré qu’elle voterait contre. Mais elle n’envisage pas pour autant de participer à la manifestation du 30 septembre, sous prétexte de ne pas « tendre les deux pôles de la gauche, une qui gère et une qui proteste ». En fait, cette déclaration montre bien, ce qui est assez triste, que seule son appartenance au PS empêche Marie-Noëlle Linemann de se joindre à cette manifestation. Car la tension n’est d’ores et déjà plus entre deux pôles de gauche, mais entre un gouvernement de capitulation appliquant l’austérité de droite d’un côté, et de l’autre « la gauche qui proteste », certes, mais qui est tout à fait prête à « gérer » munie d’un vrai programme de gauche : « L’humain d’abord« . Les militants de l’aile gauche du PS qui n’ont pas encore rallié l’aile droite en échange de postes sont désormais ultra-minoritaires au sein de leur parti, soigneusement verrouillé par Hollande, Ayrault et Aubry. Ils n’ont plus la moindre chance d’y faire valoir une autre ligne que celle qui a valu en Grèce à Papandréou le succès que l’on sait. La seule attitude cohérente pour les membres du PS qui se considèrent encore de gauche est de rejoindre la manifestation unitaire du 30 septembre.

3) En 2005, le peuple français avait voté « non » lors du referendum sur la constitution européenne. Pourtant, les principales clauses de cette constitution sont passées tout de même avec le traité de Lisbonne ratifié sous la présidence de Sarkozy. Du coup, nombre de citoyens se demandent quelle serait l’utilité d’un referendum aujourd’hui, partant du principe qu’un « non » du peuple n’aurait pas plus de chance d’être respecté en 2012 qu’en 2005. Certains même trouvent inutile de manifester pour exiger un referendum car, Hollande étant décidé à faire ratifier le texte par le Parlement (où il dispose de la majorité dans les deux chambres), il n’y aurait aucune chance pour qu’il cède à la pression de la rue. C’est un raisonnement défaitiste qui ne peut pousser qu’à la passivité du peuple, et c’est précisément sur cela que misent le gouvernement, la Commission européenne et les marchés. Le non-respect du vote populaire de 2005 est effectivement un déni de démocratie, ainsi que la casse des retraites en 2010 malgré les milliers de personnes qui ont manifesté pendant des mois pour s’y opposer. Mais c’est justement pourquoi il faut continuer à établir le rapport de force pour obtenir aujourd’hui ou demain ce que nous n’avons pas réussi à obtenir hier. C’est aussi la prise de conscience de ce déni de démocratie qui a permis d’obtenir en 2012 la courte défaite de Sarkozy et la percée des idées défendues par le Front de Gauche dans l’opinion. Il faut enfoncer encore le clou. Même si nous sommes des milliers dans la rue, nous n’obtiendrons peut-être pas satisfaction cette fois-ci, mais nous montrerons notre force et nos idées progresseront encore auprès du peuple au fur et à mesure que l’incapacité de Hollande d’apporter le moindre remède à la crise apparaîtra au grand jour. Et si nous sommes des centaines de milliers puis peut-être des millions, nous deviendrons incontournables et montrerons l’exemple aux autres peuples européens. Si le traité est malgré tout ratifié, il n’aura aucune légitimité et nous n’en serons que mieux fondés à réclamer son abrogation. Si au contraire nous renonçons à nous battre sous prétexte que le combat est perdu d’avance, nous sommes sûrs de réaliser nous-mêmes la prophétie de nos défaites. « Camarades, vous ne savez jamais quel sera le destin d’une lutte, et celui qui la préfigure à l’avance n’est pas des nôtres ! » affirmait avec force Jean-Luc Mélenchon lors de la dernière fête de l’Humanité.

4) D’après certains militants gardiens auto-proclamés de la pureté révolutionnaire, tels ceux de LO, la lutte contre le TSCG serait celle « qui gêne le moins le gouvernement : les premiers visés sont l’Europe et Merkel, et l’attention des travailleurs est ainsi détournée vers un faux combat ». On peut s’étonner que des militants qui se disent internationalistes ne voient pas que le combat contre l’austérité en Europe voulue notamment par les rentiers allemands est un combat pour les travailleurs français mais aussi pour les travailleurs allemands, grecs, italiens, espagnols, portugais, etc. LO, fidèle à sa stratégie de dénigrement systématique du Front de Gauche, ne recule devant aucune falsification pour faire croire que le combat du Front de Gauche n’est pas un combat social, et serait même un combat nationaliste, ce qui est un contre-sens et une calomnie (sans doute destinée à faire l’amalgame entre ce front-là et le FN). Le TSCG est bel et bien un instrument qui permettra une domination renforcée du Capital. Il est de l’intérêt de tous les travailleurs européens de lutter contre. C’est un vrai combat. Et ceux qui, comme LO, croient qu’un tel combat se mène au détriment des autres se comportent en spectateurs passifs d’un inepte zapping politique et social : ils confondent la lutte et leur canapé devant la télé. La manifestation du 30 septembre, contrairement à ce qu’affirme LO, ne se fera pas « au lieu de proposer aux travailleurs des objectifs pour défendre leur emploi et leur salaire ». Lors de la fête de l’Huma, Jean-Luc Mélenchon rappelait encore : « il faut le travail politique de conscientisation, d’élévation du niveau de la conscience, qui ne s’est jamais acquis autrement que par la discussion, le débat, l’éducation politique, et par la lutte, la lutte, la lutte ! Ne rien lâcher, ne rien céder ! Usine par usine, école par école, entreprise par entreprise ! Ne laissez pas une seule usine être vidée de ses machines, ne laissez pas une seule salle de classe être fermée ! » Non seulement le TSCG aura bien évidemment des conséquences désastreuses sur l’emploi et les salaires, mais surtout la lutte contre le TSCG n’empêche en rien de lutter sur d’autres fronts, par exemple auprès des salariés de Pétroplus ou de Sodimédical et partout ailleurs dans les entreprises, petites ou grandes, ou dans les services publics ; par exemple en réclamant le vote par le parlement de la loi interdisant les licenciements boursiers déjà proposée en février 2012 au sénat par un sénateur communiste et rejetée de justesse malgré le vote favorable des socialistes qui ont dû oublier depuis qu’ils avaient un jour eu tant d’audace… Les militants du Front de Gauche sont présents aussi dans les mouvements sociaux, à travers leurs syndicats notamment. Manifester contre le traité n’empêche en rien les autres luttes. Ce traité, LO prétend que « c’est un chiffon de papier car aucun gouvernement n’a attendu ce traité pour imposer l’austérité aux travailleurs et ce n’est pas ce traité qui oblige les patrons à licencier, à bloquer les salaires et à aggraver l’exploitation ». Mais ce « chiffon de papier » va pourtant bien permettre aux patrons de continuer leur sale besogne dans un cadre qui leur sera encore plus favorable, et les travailleurs encore plus affaiblis et fragilisés seront les principales victimes de ce coup d’Etat. Une fois encore, LO et ceux qui sont sur la même ligne adoptent la stratégie du pire, attendant que le prolétariat réagisse enfin lorsqu’il n’en pourra vraiment plus. On voit pourtant en Grèce qui profite de la ruine du pays et du désespoir : les néo-nazis.

Le peuple de gauche composé de l’ensemble des travailleurs conscientisés n’a aucun intérêt à la passivité et au pourrissement. Il ne se renforcera qu’au fil des luttes, rassemblant un nombre toujours plus large de participants conscients de leurs intérêts de classe. La manifestation unitaire du 30 septembre contre le TSCG en est une étape.

Où sont les armes ?

Depuis quelque temps, des militants de LO, des anarchistes purs et durs, des révolutionnaires convaincus, me bassinent avec la révolution armée par opposition au réformisme tiède qui serait celui du Front de Gauche.

De mon côté, je veux bien que le prolétariat en armes abolisse le capitalisme et détruise l’Etat bourgeois, encore que je préfère autant que possible éviter le bain de sang. Mais quand je vois ces braves révolutionnaires mépriser toutes les revendications sociales du front de Gauche et toute tentative de s’emparer du pouvoir par les urnes, j’ai envie de leur demander : « où sont les armes ? »

J’attends toujours la réponse. Pour patienter, j’ai décidé de continuer à oeuvrer au sein du Front de Gauche, histoire de ne pas rester les bras ballants. Les armes finiront peut-être par arriver.

Aux armes, etc.
Aux armes, etc.
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