Selon Le Canard enchaîné du 25 mai 2011, le petit président de l’ex-République se réjouissait en secret des déboires de DSK, convaincu qu’ainsi la gauche ne pourrait plus l’attaquer sur le terrain de la morale. Mais la droite ayant aussi désormais en ses rangs un suspect d’agression sexuelle, on peut dire que finalement, Sarko l’a eu dans le Tron.
De la putification (2) : Arrêtez les kahneries !
Dominique Strauss-Kahn, ex-probable candidat à la présidence de l’ex-République française, a démissionné du FMI, et son inculpation par l’injustice américaine pour agression sexuelle et tentative de viol à l’encontre d’une femme de chambre a été confirmée jeudi 20 mai 2011.
Est-il coupable ?
La réponse est oui. Comme le souligne Jean-Luc Mélenchon sur son blog, Dominique Strauss-Kahn a déjà fait des millions de victimes « avérées et prouvées » : les Grecs. En effet, le FMI, sous la direction de DSK, a imposé à la Grèce ruinée depuis le krach de 2008 une cure d’austérité et des privatisations qui ont poussé le peuple grec à faire huit grèves générales. « En un an, l’économie grecque a reculé de 7,4 %. Un recul sans équivalent dans le monde ! (…) Ce qui est incroyable c’est la cupidité des banksters. Ils ont d’abord ruiné le pays, ils continuent à l’étrangler avec des taux usuraires », dit encore Mélenchon. Il faut évidemment préciser que DSK n’est pas le seul coupable. Il a pour complices Angela Merkel, Nicolas Sarkozy et tant d’autres « chefs d’Etat » qui ne sont que les valets du capitalisme financier et qui ont, eux aussi, du sang sur les mains. Combien de vies brisées ? Combien de suicides ? Qui rendra justice au peuple grec et aux autres peuples victimes des mesures d’ajustement et des restructurations imposées par le FMI ? « Justice is done« , a proclamé Barak Obama après l’exécution sommaire de Ben Laden, présumé responsable des attentats du 11 septembre 2001. Les Grecs dont on viole sans vergogne les droits économiques et sociaux doivent-ils réclamer pour les coupables avérés de leur ruine le même type de châtiment ? Ironie du sort : DSK est en taule au moment où Jean-Marc Rouillan en sort. Justice is done ? Allons, encore un peu d’audace, monsieur Obama !
Coupable, Dominique Strauss-Kahn l’est aussi à l’égard des Palestiniens, victimes des exactions d’un Etat ségrégationniste auquel il a toujours apporté un soutien inconditionnel Il est même entré en politique précisément dans ce but, si l’on en croit ce qu’il affirmait en février 1991 dans le n°35 de la revue Passages :
« Je considère que tout Juif de la diaspora, et donc c’est vrai en France, doit partout où il le peut apporter son aide à Israël. C’est pour ça d’ailleurs qu’il est important que les Juifs prennent des responsabilités politiques. Tout le monde ne pense pas la même chose dans la Communauté juive, mais je crois que c’est nécessaire. Car, on ne peut pas à la fois se plaindre qu’un pays comme la France, par exemple, ait dans le passé et peut-être encore aujourd’hui, une politique par trop pro-arabe et ne pas essayer de l’infléchir par des individus qui pensent différemment en leur permettant de prendre le plus grand nombre de responsabilités. En somme, dans mes fonctions et dans ma vie de tous les jours, au travers de l’ensemble de mes actions, j’essaie de faire en sorte que ma modeste pierre soit apportée à la construction de la terre d’Israël. »
Combien de morts la construction d’Israël si chère au coeur de DSK a-t-elle causés ? A l’évidence, il ne sera jamais jugé pour cela.
Dominique Strauss-Kahn est-il pour autant coupable de crimes sexuels ? Il reste « présumé innocent », jusqu’à preuve du contraire, bien sûr, et si sa culpabilité n’a plus besoin d’être démontrée dans le domaine politique, la procédure de droit commun, elle, ne fait que commencer aux Etats-Unis. Ajoutons que nul homme, fût-il un authentique pervers sexuel et un criminel, ne mérite d’être humilié publiquement devant les caméras du monde entier ni de subir l’inhumanité barbare du système carcéral américain (ni même du système carcéral français, qui ne vaut pas mieux). Il n’est pas juridiquement prouvé que DSK ait violé une ou plusieurs femmes, ni même qu’il en ait harcelé sexuellement. A la faveur des derniers évènements, surgissent dans les médias des témoignages qui laisseraient entendre que Dominique Strauss-Kahn « aime les femmes » au point de les draguer très « lourdement », voire pire, si l’on en croit Tristane Banon, Piroska Nagy ou Aurélie Filippetti (« il frôle souvent le harcèlement », disait déjà Jean Quatremer en 2007). Dès lors, ce qui est en cause, au-delà du fait divers, et au-delà aussi de l’éventuelle hyperactivité sexuelle de DSK qui ne regarde que lui et ses partenaires tant que tout le monde est consentant, c’est la mise en évidence à travers le cas DSK d’une persistance de la phallocratie malgré la « révolution sexuelle », l’égalité des droits et la parité entre les hommes et les femmes inscrites dans la loi française.
Non, Dominique Strauss-Kahn n’est pas un séducteur ! Comme le souligne le Collectif Les mots sont importants, « une grande partie [des femmes sollicitées par DSK] ne sont sans doute pas ‘séduites’ par cet homme ». Comme le dit par ailleurs Mélenchon, « aimer les femmes » et « les violer » sont « deux attitudes qui n’ont pas de lien ». Sa réputation de gros lourd ne fait donc pas de DSK automatiquement un violeur (Mélenchon le souligne pour montrer que ceux qui connaissaient la réputation de DSK ne pouvaient pas se douter qu’il finirait accusé de viol). Mais un homme qui drague « lourdement » et systématiquement les femmes n’est pas un homme qui « aime » les femmes. C’est le plus souvent un homme inquiet de sa propre identité sexuelle et qui cherche à se rassurer par la preuve de virilité que lui procurent la possession et la soumission d’une variété importante de femmes, comme si toutes étaient irrévocablement destinées à succomber à son pouvoir de « séduction » (ou plus prosaïquement à son pouvoir d’achat, à son pouvoir politique et à sa position hiérarchique). Un tel homme éprouve donc de grandes difficultés à avoir avec des femmes des relations non-sexuelles, comme par exemple des relations de travail. Il ne les voit que comme objets de son désir et non comme sujets. Tel un vulgaire Caubère, il paie pour qu’elles fassent semblant de le désirer, ou tel un gros beauf, il siffle avec obscénité la passante inconnue ou encore colle une main au cul de la femme dont il pense qu’elle n’osera pas lui mettre une grande tarte dans sa gueule de con — à moins qu’il ne soit décidément con au point de penser que cela lui fait plaisir, le comble étant qu’il existe effectivement des connes qui se sentent flattées d’être ainsi traitées comme des putes. Pour peu qu’en plus, le phallocrate s’appuie sur une vraie position de pouvoir et d’autorité (chef, patron, ministre, président, directeur du FMI…), il attirera à lui une foule de dindes candidates à la putification qui le conforteront dans sa pathologie sous l’oeil goguenard et envieux de ses congénères machos. A ce stade, même celle qui refuse de s’offrir ou de se vendre pourra être forcée de céder en silence au chantage et aux pressions. C’est dans ce cas seulement que la justice parle de « harcèlement » (puni en France d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende, mais encore faut-il que la victime soit en mesure de prouver les faits, ce qui n’est pas simple). Nul besoin au demeurant d’être directeur du FMI ou président de l’ex-République pour être en position de harceleur. Combien de petits chefaillons exercent encore impunément leur « droit » de cuissage ? Combien de petits caïds obtiennent par la peur ce que leur seul pouvoir de séduction ne leur aurait jamais permis d’obtenir ? Et combien de losers qui n’obtiennent jamais rien mais insultent et injurient les femmes qui ont le malheur de croiser leur chemin et de ne pas succomber illico à leur charme latin ?
Le phallocrate type agit le plus souvent sous le coup d’une pulsion liée à une homosexualité refoulée ou à un complexe engendré par la petite taille de son pénis (l’affirmation peut sembler gratuite faute d’études statistiques fiables, mais c’est une hypothèse cohérente que chacun pourra s’amuser à vérifier par quelques investigations dans son entourage). Pour éviter les passages à l’acte violents et empêcher la nuisance du machisme au quotidien, il faudrait que ces comportements soient reconnus comme pathologiques (ne soient donc plus légitimés ni même excusés culturellement) et sujets de la réprobation générale voire de soins médicaux. Un homme directeur d’une importante institution internationale, et promis peut-être à occuper un jour la plus haute fonction de son propre pays, qui succomberait à une pulsion de viol alors que les feux de l’actualité sont braqués sur lui, serait à coup sûr un grand malade. Il n’est pas certain cependant que 70 ans de prison constituent une efficace thérapie ni une réelle aide aux victimes.
Dans les chefs d’inculpation contre DSK comme dans les témoignages sur sa conduite passée, on peut observer une conjonction assez flagrante de la domination masculine et de la domination de classe. La victime présumée de l’agression de New York est une femme mais aussi une femme de chambre. Simple « troussage de domestique » donc, comme s’en est gaussé avec élégance un autre grand Kahn (voir l’article d’ACRIMED qui retranscrit les propos de Jean-François Kahn sur France Culture). Et cette femme de chambre serait une travailleuse immigrée d’origine africaine, position fragile s’il en est dans les sociétés occidentales. On a lu aussi ça et là que DSK draguait très lourdement les femmes journalistes, des jeunes militantes du PS… dans tous les cas, plutôt des femmes en position sociale ou hiérarchique inférieure, donc. A ce jour, en tout cas, personne n’a mentionné d’éventuelles tentatives insistantes de Srauss-Kahn pour se taper Danielle Mitterrand ou Bernadette Chirac, par exemple, alors qu’il est avéré qu’il a déjà été en contact avec elles. Aucune révélation non plus du côté de Margaret Thatcher ou Angela Merkel (les documents laissés par feu Mère Thérésa ne mentionnent jamais DSK non plus). Il semblerait donc que ce qui attire le plus DSK chez les femmes ne soit pas forcément leur pouvoir, leur force, leur expérience de la vie ou leur position élevée. On voit à travers l’exemple des penchants prêtés à DSK que la phallocratie traditionnelle qui avait été battue en brèche par le féminisme (du moins dans les classes moyennes, les élites et le prolétariat ayant somme toute peu évolué sur le plan des moeurs) est toujours vivace, et même re-légitimée par la putification qui s’exprime de plus en plus ouvertement dans la mode ou le monde du spectacle (avec par exemple la résurgence du strip-tease dit « burlesque« ). Si l’affaire DSK, par son impact, est sidérante, elle n’est qu’une péripétie qui ne remet pas en cause le fait que beaucoup de femmes considèrent aujourd’hui qu’il faut séduire, voire se déshabiller, voire coucher pour « réussir », qu’en se soumettant volontairement à la domination masculine, elles exerceront en fait le « vrai pouvoir » (ce qui n’est évidemment qu’une chimère). Dans cette étape de putification, le capitalisme transforme les corps en marchandises et les sentiments en transactions. L’amour et la sexualité se voient privés de la douceur de l’égalité et réduits à la violence des rapports de domination dans lesquels les cocus comme les violés sont toujours les plus faibles et les plus démunis : femmes, homosexuels, transsexuels, handicapés, immigrés, ouvriers, malades, vieillards, enfants… La misogynie, l’homophobie, la xénophobie, le racisme, le mépris de classe réifient le vivant et sont les vecteurs du processus de putification que connaît à présent le capitalisme mondialisé.
Il est hélas à craindre que l’affaire DSK ne freine en rien ce processus. Mais c’est loin d’être une préoccupation pour le toujours comique Parti ex-Socialiste français, déboussolé d’avoir perdu son homme providentiel, alors que celui-ci n’était même pas encore officiellement candidat à la candidature (quel cirque que ces primaires !). Pour un parti qui proclamait naguère « ni Dieu ni César ni tribun », c’est cocasse. On peut donc conclure par quelques mots gentils adressés au PS :
Bande de glands, vous avez dans vos rangs une kyrielle de bouffons de droite qui ont les mêmes idées que Strauss-Kahn et parmi lesquels vous pouvez même dégotter sans chercher bien loin quelques queutards fous qui ne vous dépayseront pas trop. Alors ne vous mettez pas la rate au court-bouillon sous prétexte que Strauss-Kahn est hors-jeu. N’importe quelle endive moite fera bien votre affaire. Même une femme, à vrai dire. Du moment qu’il s’agit de battre Sarkozy pour mener à sa place la même politique antisociale que lui. Sous l’égide du FMI, bien sûr. Et comme dit Jack Lang, « il n’y a pas mort d’homme », donc on s’en fout.
Confiscations
Selon Le Figaro (Beaumarchais, si tu savais… ), le bouclier fiscal aurait coûté 591 millions d’euros à l’Etat en 2010.
Selon La Tribune, le ministre de l’Education-pour-les-riches-et-la-prison-pour-les-pauvres prévoit de fermer 1.500 classes dans le primaire à la rentrée 2011 et de supprimer ce faisant 16.000 postes alors même que le nombre d’élèves est en augmentation. « Ce sont pas moins de 65.000 postes d’enseignants qui auront disparu en cinq ans ». Et de citer le petit président de l’ex-République : « compte tenu des déficits, des problèmes que nous avons, on ne peut pas faire le choix à la fois d’augmenter sans cesse le nombre et en même temps d’augmenter la rémunération des statuts ». Les intéressés peinent sans doute, soit dit en passant, à déceler une quelconque augmentation de leur rémunération.
Que pouvons-nous en conclure ?
1) La lecture de l’ex-presse d’ultra-droite néolibérale conservatrice équivaut à un bon bourrage de crâne, certes, mais aussi à un vrai lavage d’estomac. Dans notre ex-République nationale-sarkozyste, l’ex-presse ne se lit plus, elle se vomit jusqu’à la bile.
2) Avec les 591 millions d’euros rendus par l’Etat à ses petits protégés, on aurait pu payer 16.000 profs toute une année 3.078 euros par mois, soit un peu plus que le salaire mensuel net d’un prof certifié à l’échelon maximum d’avancement après 30 ans de carrière (3.026 euros). On mesure donc un peu mieux à quoi auront servi précisément ces 16.000 suppressions de postes, ce que n’ont évidemment remarqué ni La Tribune ni Le Figaro. Ce dernier précise néanmoins :
« Les 925 ménages ayant des revenus supérieurs à 44.980 euros par an et un patrimoine supérieur à 16,5 millions ont capté 60 % du coût du bouclier. Le fisc leur a remboursé en moyenne 381.000 euros. Sans bouclier, leur impôt aurait été confiscatoire. Voilà pourquoi la fin du bouclier ira de pair avec un allégement de l’ISF. »
On sait donc très précisément à quoi servira l’allègement de l’ISF : à éviter que l’impôt de ces gros cochons ne leur paraisse « confiscatoire ».
Et on sait très précisément comment sera financé cet allègement : en confisquant encore des milliers de postes à l’Education nationale en particulier, et à la Fonction publique en général.
Cut the crap !
De la putification (1)
Le 14 avril 2011, le comédien Philippe Caubère réagissait dans l’ex-Libération (torchon passé de Sartre à Demorand) à l’annonce d’un projet de loi visant à « pénaliser » les « clients de prostituées ».
On peut certes débattre du bien-fondé d’une criminalisation de la misère sexuelle qui s’inscrit peut-être dans l’indéniable criminalisation de la misère tout court orchestrée depuis des années par le petit président de l’ex-République. N’oublions pas que lorsqu’il n’était que ministre de l’Intérieur, l’agité s’était déjà penché sur les intérieurs des prostituées en inventant le délit de « racolage passif ». Mais Caubère ne se contente pas de dénoncer la pénalisation de la misère dans le cadre national-sarkozyste. Se présentant comme « acteur, féministe, marié et client de prostituées », il profite de sa tribune libre pour faire l’éloge de la prostitution.
« Marié pour la deuxième fois, très proche encore et toujours de ma première femme, m’autorisant depuis toujours, amantes, amoureuses ou petites amies (avec tous les ennuis que ça implique…), acceptant naturellemment la réciproque (et les ennuis… etc), je ne représente pas vraiment le prototype du mec frustré, sexuellement ou sentimentalement. Je n’ai pourtant jamais cessé depuis l’âge de 24 ou 25 ans d’avoir des relations -et des rapports- avec des personnes se prostituant. Serait-ce que je serais doté -ou affligé- d’une sorte de libido hors-normes? Je ne le crois pas (hélas, pourrais-je rajouter…). »
Cumulant des relations avec femme(s) officielle(s), « amantes, amoureuses ou petites amies », mais aussi prostituées, il pense donc ne pas être le « prototype du mec frustré sexuellement ou sentimentalement » et ne croit pas que sa « libido » soit « hors-normes ». Cut the crap ! Personne n’avait demandé à Philippe Caubère d’établir une « norme » des pratiques sexuelles masculines, mais s’il faut absolument être normatif, il apparaît que la libido de Monsieur Caubère est peut-être un peu plus « hors-normes », tout de même, que ce qu’il croit. En effet, d’après une enquête CSF pour l’INSERM de 2007, le nombre moyen de partenaires au cours d’une vie était de 11,6 pour les hommes en 2006 (4,8 étant le nombre médian). 18,1% des hommes (donc moins d’un sur cinq) auraient eu recours au moins une fois dans leur vie à la prostitution (3,1% y auraient eu recours dans les 5 dernières années). Il s’agit bien évidemment de chiffres sujets à caution puisque fondés sur les déclarations d’un échantillon de la population. Mais puisque Monsieur Caubère invoque la norme dans son plaidoyer pour la prostitution, on peut tout de même lui rétorquer qu’il apparaît comme nettement plus érotomane que la moyenne de ses concitoyens, qui ne cumulent pas, eux, simultanément femmes, amantes, petites copines et putes.
Se prétendant dans la norme alors qu’il est tout de même un peu a-normal — ou plutôt (faussement) modestement über-normal — Philippe Caubère, en coquet queutard pas « frustré », affirme aussi :
« En revanche je sais que ce que je trouve avec une prostituée est une chose unique, que je ne trouverai jamais avec aucune autre personne, dans aucune relation dite ‘normale’. »
Et d’exposer ensuite au lecteur captivé tout le mal qu’il pense de la « dictature » exercée sur lui par une femme : sa propre mère. Que l’attitude de sa mère par rapport à la sexualité ait influé sur le comportement sexuel de Philippe Caubère est une possibilité, mais en quoi cela l’autorise-t-il à faire de son goût pour les relations multiples, notamment avec des prostituées, une norme collective légitime ? Sa mère était coincée du cul, donc il va aux putes. Admettons. Mais la névrose de la mère de Monsieur Caubère justifie-t-elle à elle seule le phénomène de la prostitution dans le monde ? La prostitution, dans sa globalité, est enfantée par la domination masculine et l’économie capitaliste. Le « client », quelles que soient ses raisons, se fait donc le complice du capitalisme phallocrate dans ce qu’il a de plus inhumain : aller aux putes ne fait certainement pas d’un homme un féministe !
Tardant à expliquer quelle « chose unique » il trouve dans les relations tarifées, Philippe Caubère inflige ensuite au lecteur une longue digression confuse sur la « violence des femmes » qui lui sert à dénigrer les « féministes de gauche » (y en a-t-il donc de droite ?). « Toutes des putes sauf Maman » dit l’adage phallocrate. On se demande si pour Monsieur Caubère, ce n’est pas l’inverse : « toutes comme Maman sauf les putes », ce qui permettrait de comprendre un peu mieux ce qu’il trouve de si unique chez les prostituées. Du coup, les « féministes de gauche » qui condamnent le commerce des corps le condamnent, ce pauvre Philippe, à ne pouvoir coucher qu’avec Maman. On comprend mieux sa colère. Et comme Philippe Caubère se situe modestement dans une « norme » élargie à son propre cas (il l’a annoncé dès le début), il se pose en victime d’une « nouvelle chasse à courre dont l’homme est le gibier », en compagnie d’autres célébrités comme « Julian Assange, Bertrand Cantat ou Roman Polanski ». Ainsi, ce brave Caubère met dans le même sac un client de prostituées (lui-même), un homme accusé d’avoir contraint une jeune fille à un rapport sexuel sans préservatif, mais niant les faits et considéré comme innocent jusqu’à preuve du contraire (Assange), un homme condamné pour le meurtre de sa compagne et ayant purgé sa peine (Cantat), un homme poursuivi pour un viol sur mineure qu’il a reconnu mais dont la victime a retiré sa plainte (Polanski). Autant de cas très différents pénalement et moralement, mais à partir desquels Caubère veut montrer que l’homme en général serait victime d’une cabale féministe qui viserait à le transformer en délinquant sexuel avéré ou potentiel, signant ainsi la victoire posthume d’une mère castratrice et le retour à un ordre moral pré-soixante-huitard. Le fantôme de sa mère, les « féministes de gauche », Roselyne Bachelot et autres « obsédées » sans nul doute mal baisées, voudraient ainsi entraver la légitime jouissance masculine, c’est-à-dire, puisqu’il n’est pas « hors-normes » le légitime désir de Philippe Caubère de continuer à aller aux putes sans se faire emmerder (il ne dit pas en revanche si Bertrand Cantat devrait pouvoir continuer à tuer ses compagnes, si Roman Polanski doit pouvoir violer d’autres mineures ou si Julian Assange, si tant est qu’il l’ait fait, devrait contraindre d’autres femmes à baiser sans capote). Cut the crap !
« Seule la relation sexuelle avec une personne qui demande de l’argent pour cela peut se prétendre et s’affirmer comme réellement gratuite. »
Philippe Caubère, par ce sophisme sidérant, dévoile enfin ce qu’il y a de si « unique » dans la relation sexuelle tarifée : c’est la seule qui soit réellement « gratuite » ! Qu’est-ce à dire ? Qu’en payant une prostituée, il économise paradoxalement le « sentiment », la « souffrance », le « désespoir » que peuvent procurer des relations dites « normales« , du moins c’est sans doute ainsi que le petit Philippe a dû commencer à voir les choses avec la première femme de sa vie (sa mère), qui lui a visiblement coûté très cher affectivement. Devenu grand, Philippe est donc bien décidé à économiser ses forces affectives, quitte à payer pour cela.
« Le ou la prostitué(e) ne fait que dévoiler et assumer le rapport d’argent et de commerce tapi sous n’importe quel rapport amoureux ou sexuel, – du dîner offert à la personne qu’on drague, ou qu’elle se fait offrir, jusqu’à -bien pire et plus banalisée- l’estimation de la situation sociale et financière de celle, homme ou femme, prétendant au coït ou au mariage. La prostituée -ou la personne qui décide de se livrer pour un moment à la prostitution- nous libère de ce chantage, de ce non dit, nous en délivre. On peut -enfin !- baiser gratuit. »
Philippe, pauvre Philippe, crois-tu donc qu’une femme à qui tu as offert des fleurs ou un dîner a forcément envie de baiser avec toi ? Une pute coûte peut-être plus cher que des fleurs, mais la pute ne dit pas « non », du coup, tu as tout de même l’impression d’économiser. Ne serais-tu pas un peu radin et un peu beauf, en fait ? Ne vois-tu pas qu’en mettant sur le même plan les offrandes et les attentions données en gage d’affection (tout simplement pour faire plaisir à l’autre, et peut-être ainsi séduire ou entretenir la flamme), « l’estimation de la situation sociale et financière » (héritage désuet de l’époque des mariages arrangés), et le fric que tu donnes à une pute (pour qu’elle te laisse utiliser son corps en vue de ta seule jouissance), tu transformes tout rapport sexuel ou amoureux en vulgaire transaction commerciale ? De quel « chantage », de quel « non dit » te délivre donc la prostituée ? Elle te délivre de l’humain. Elle te délivre de la complexité de la relation à l’autre, du risque de discordance entre son désir et le tien, et de la frustration qui peut en découler. Elle te donne l’illusion qu’il te suffit de payer pour évacuer de l’équation sexuelle la volonté propre de l’autre. Tu la paies pour qu’elle te donne du plaisir, et qu’elle fasse comme si elle en avait envie, comme si elle n’aspirait pas en réalité à autre chose, comme si elle n’existait que pour satisfaire ton désir à toi. Mais lorsque tu confies au lecteur de Libé ou au télé-spectateur des talk-shows sur le plateau desquels tu fais aussi du racolage pour tes spectacles que tu es un « client » régulier depuis des années de « prostituées » qui font ce métier « par choix », tu te gardes bien d’assumer un éventuel recours à des esclaves sexuelles, par exemple originaires de pays de l’est ou de pays africains. As-tu vraiment toujours été si sélectif et soucieux de savoir si la pute que tu payais était en pleine possession de son libre-arbitre ? Ou as-tu tout simplement aujourd’hui les moyens de puiser dans un cheptel de meilleure qualité (hygiène garantie, dents saines, épilation soignée, cheveu soyeux, peau nette, haleine fraîche, niveau culturel satisfaisant pour éventuelles conversations post-coïtales ou en cas de panne… à moins que tes goûts n’aillent à l’opposé, vers le sale et le sordide, mais on ne peut faire que des suppositions car tu ne nous en dis rien) ?
Le terme de « prostituée » ne fait pas la différence entre l’escort-girl de luxe qui exerce peut-être « par choix » (encore pourrait-on gloser sur les raisons profondes d’un tel « choix ») et la pute toxo qui taille des pipes pour payer ses doses et rapporter du fric à son proxo. De même, le terme de « client » ne fait pas la différence entre un acteur narcissique aux besoins sexuels peut-être un peu hors-normes, par exemple, et un travailleur immigré séparé de sa famille comme de son environnement culturel, et dont la vie sexuelle ordinaire risque, elle, d’être nettement en-dessous des normes. Mais tout cela est peut-être un peu trop complexe pour Philippe Caubère qui paie justement pour que les choses soient plus simples.
Voici enfin une autre définition caubérienne de la « chose unique » qu’il ne trouve qu’avec des prostituées :
« (…) un bonheur simple, court, éphémère comme un orgasme, oui, mais aussi comme ce bref sentiment de liberté qui, le temps d’un instant, nous émeut, nous encourage en plein milieu de ce fleuve de soumission, d’esclavage, de servitude, qu’il nous faut chaque jour traverser, où chaque jour qui se lève nous retrouve à moitié noyés. »
Après la prostitution qui seule, permettrait de « baiser gratuit », Philippe Caubère ne recule pas devant l’image d’une prostitution qui libère « le temps d’un instant », de la « soumission », de « l’esclavage » et de la « servitude » ! Il parle bien sûr de son « orgasme » à lui, de son « sentiment de liberté » à lui, de son émotion à lui… Qu’en pense l’autre, la pute ? Il ne le dit pas (et comment le saurait-il puisque ce qui rend cette relation si unique à ses yeux est précisément de faire l’économie de la subjectivité de l’autre ?). Même si elle se prostitue par choix (ce qui est sans doute assez rare), ses goûts la portent-ils vraiment, elle qui est peut-être plus jeune que Monsieur Caubère, vers les hommes de plus de soixante ans ? A moins qu’il ne fréquente que des prostituées elles aussi soixantenaires (mais il n’a pas précisé l’âge moyen de ses professionnelles préférées) ? A partir de quel tarif le client peut-il faire abstraction avec bonne conscience du dégoût qu’il inspire peut-être (mais cette éventualité n’est peut-être pas venue à l’esprit du comédien habitué aux applaudissements) ?
Après la prostitution qui seule permet de « baiser gratuit », après la prostitution qui libère de la « servitude », Philippe Caubère assène enfin un dernier pied-de-nez : lui-même, en tant qu’acteur, est une pute. C’est donc que ce n’est pas bien grave, et que c’est même très beau, comme est sans doute très belle pour lui l’inhumaine tauromachie dont il est un aficionado (on espère juste pour les prostituées qu’il fréquente que son plaisir n’implique pas de leur faire subir les mêmes souffrances que celles endurées par les taureaux dans les arènes).
« (…) j’en suis une : sur la scène, la mienne, celle du théâtre (à une époque ce fut aussi celle de la rue), moi aussi je fais jouir. Avec mon corps, avec ma voix, avec mes mots ; et même avec ma vie. »
Comédien ou pute, c’est donc la même chose. Spectateur d’un spectacle de Caubère ou client d’une prostituée, c’est pareil. Philippe donne de son « corps », et même de sa « vie », c’est lui qui le dit. Ainsi donc, il faut que cela se sache, tout spectateur muni de son ticket d’entrée peut se présenter devant Philippe avec un tube de vaseline et un préservatif : Philippe est là pour « faire jouir », et après tout, entre le client et la pute, c’est tout de même généralement plutôt le client, s’il met le prix, qui choisit son mode de jouissance, non ?
« Moi, Philippe Caubère, acteur, féministe, marié et «client de prostituées» », titrait l’article de Libé. « Lui, Philippe Caubère, vieux beauf phallocrate qui va aux putes et qui aime voir souffrir les bovidés », serions-nous tentés de rectifier. Il ne suffit pas d’appartenir à la génération de mai 68 et des années soixante-dix pour être « féministe ». La vie sexuelle de Monsieur Caubère est de peu d’intérêt en tant que sujet de débat public, et le fait qu’il ait besoin de recourir aux « services » de prostituées ne fait pas de lui un criminel. Par son intervention, il croit peut-être sincèrement défendre l’amour libre contre l’ordre moral. Mais en réalité, ses propos contribuent à une remise en question plus globale des avancées féministes et à la putification de la société, qui n’est qu’un aspect du capitalisme moderne dans sa marche effrénée vers une marchandisation totale du vivant. Nous reviendrons sur cette question dans de prochains billets.
Demandons le protectorat tunisien
La Tunisie fit longtemps partie de l’empire colonial français en tant que protectorat. En 2011, le peuple tunisien a chassé le tyran Ben Ali et son clan, ouvrant la voie pour d’autres révolutions, particulièrement dans le monde arabe.
Mais en France, c’est toujours une oligarchie qui confisque pouvoir et richesse. Le petit président de l’ex-République, ridicule et vulgaire jusqu’à l’outrance, n’est lui-même qu’un des membres prétentieux de cette clique si bien dépeinte par les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot dans leur livre Le président des riches, paru fin 2010. Les deux auteurs y démontrent que cette oligarchie mène avec patience et opiniâtreté une véritable guerre de classe, pratiquant pour elle-même un très efficace « collectivisme pratique » tandis qu’elle pille les ressources du pays.
Pendant ce temps, la loi LOPPSI 2 votée par le parlement, introduit précisément dans le droit français ce que les Tunisiens viennent d’abolir chez eux : atteinte aux libertés individuelles, fichage et vidéo-surveillance généralisés, criminalisation de la marginalité et de la misère, répression policière… (il est néanmoins toujours temps de signer la pétition qui demande l’abrogation de cette loi inique).
La France s’est crue autrefois autorisée, parfois au nom même des « droits de l’homme », à porter « le fardeau de l’homme blanc » (métaphore raciste par Kipling du colonialisme). Aujourd’hui, la France rance de l’ex-République nationale-sarkozyste doit être mise hors d’état de nuire. Pour cela, le peuple français, qui n’a pas réussi en octobre-novembre 2010 à se libérer du joug d’une oligarchie amie de longue date des Ben Ali, Moubarak et autres pourvoyeurs de jets privés pour ministres en vacances, aurait intérêt à demander la protection d’un pays libéré : la Tunisie, par exemple.
L’ex-République française sous protectorat tunisien pourrait conserver, comme autrefois la Tunisie sous protectorat français, une relative autonomie avec un président fantoche et quelques institutions indigènes (le petit président actuel qui s’est rendu coupable d’atteinte à l’indépendance de la justice en attaquant les magistrats privés par lui-même de moyens à propos d’un fait divers à Pornic ne pourrait évidemment rester à ce poste, et serait invité à retourner en vacances chez le roi du Maroc Mohammed VI qui l’a déjà hébergé gentiment à quatre reprises). La politique étrangère française serait directement sous tutelle tunisienne, afin d’éviter l’indignité et l’incompétence de l’actuelle ministre Michèle Alliot-Marie (celle-là même qui voulait faire bénéficier le dictateur Ben Ali du savoir-faire français en matière de répression policière et qui a menti au sujet de ses liens avec le milliardaire Aziz Miled, proche de Ben Ali). La police et l’armée devraient également dépendre directement du pouvoir tunisien, tant il est vrai que les actuels ministres français ont disqualifié durablement la fonction qu’ils exercent : l’un, Brice Hortefeux a été condamné en première instance en 2010 pour injures raciales et pour non-respect de la présomption d’innocence ; l’autre, Alain Juppé, a été condamné en 2004 pour faits de prise illégale d’intérêts.
En attendant la mise en place de ce protectorat, nous ne saurions trop recommander à l’électorat lepéniste et aux ministres auvergnats amateurs de blagues racistes de se montrer dorénavant très affables envers les immigrés tunisiens qui travaillent en France. On n’est jamais trop aimable avec son protecteur, et les éventuelles expulsions ne se feront peut-être pas par jets privés.
Bibliographie :
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Le président des riches (Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy), La Découverte, 2010.
Printemps précoce en Tunisie
« La dictature de la transparence » : cut the crap !
« Parfois, la transparence est une forme de totalitarisme » affirmait Brice Hortefeux (ministre condamné en première instance pour injures raciales) le 30 novembre 2010 à propos des notes diplomatiques américaines divulguées par Wikileaks.
« Wikileaks : la dictature de la transparence » titrait Elisabeth Roudinesco, historienne psychorigide, pour Libération, le 2 décembre 2010.
« Internet, c’est la STASI en pire » assenait le 4 décembre Catherine Nay, employée du marchand d’armes Lagardère, dénonçant au passage « la tyrannie de la transparence » (on imagine aisément, à coup sûr, ce que la transparence pourrait coûter à des entreprises comme celle de Lagardère).
Trop de transparence est « dangereux pour la démocratie » renchérissait le 6 décembre le politicien ultra-libéral réactionnaire Mario Vargas Llosa en allant chercher son hochet (un quelconque prix Nobel) à Stockholm.
Cherchez l’intrus.
Les mêmes qui applaudissaient sans doute autrefois la « Glasnost » de Gorbatchev parce qu’elle fissurait l’opacité du totalitarisme stalinien se font donc à présent les défenseurs indignés du secret d’Etat et la transparence est devenue l’ennemie de la démocratie. C’est cocasse.
Passons sur les cris effarouchés des vieilles badernes de la droite réactionnaire pour nous attarder un moment sur la prose roudinesque.
Le déballage par le site WikiLeaks de milliers de courriers, mails et échanges qui auraient dû demeurer secrets jusqu’à l’ouverture des archives par des historiens pose, une fois de plus, le problème de la transparence.
Pourquoi diable ces documents auraient-ils dû demeurer secrets ? Pourquoi attendre l’ouverture des archives ? Et pourquoi dès lors en réserver l’usage aux seuls historiens ? Parce que c’est ainsi que l’Etat l’entend, qu’il soit américain ou français ? En quoi le problème de la transparence se pose-t-il « une fois de plus » ? Quand donc la transparence de l’Etat a-t-elle été un « problème » ? En l’espace d’une phrase, Elisabeth Roudinesco fait du secret d’Etat un absolu moralement indépassable, évitant ainsi toute réflexion sur la nature réelle des Etats qui pratiquent si allègrement le secret et n’ont jamais, mais alors jamais, été transparents en quoi que ce soit (en tout cas pas de leur plein gré).
Depuis qu’Internet a acquis un pouvoir de divulguer tout et n’importe quoi, des pirates surdoués peuvent se prendre pour les nouveaux Robin des bois d’un altermondialisme pour le moins suspect, consistant à faire croire à leurs internautes que tous les Etats du monde auraient organisé un vaste complot visant à asservir les pauvres citoyens.
Qui est « Internet« ? Qu’est-ce que « l’altermondialisme« des pirates surdoués a de « suspect » ? Et suspect de quoi ? Voilà rangés dans un fourre-tout indéterminé les usagers d’internet, les altermondialistes et les théoriciens du complot. Mais que dire de ceux qui voient des théories du complot partout ?
Ces derniers seraient ainsi les victimes inconscientes d’une puissance obscure et antidémocratique fondée sur le règne du crime et de la corruption. Telle est en tout cas l’idée fixe de cet étrange hacker australien – Julian Assange -, qui se croit un bienfaiteur de l’humanité alors même qu’il est pourchassé – peut-être à tort – par la justice suédoise dans le cadre d’une enquête pour suspicion de viol et d’agression sexuelle. Au point qu’il se cache quelque part en Grande-Bretagne et ne communique plus avec le reste du monde qu’à l’aide d’une messagerie cryptée. «Il est mon fils et je l’aime», a déclaré sa mère à la chaîne australienne ABC.
Elisabeth Roudinesco, dans le début de son article, n’aura donc pas dit un mot de la tartufferie diplomatique et du cynisme des Etats mis en lumière par Wikileaks. Mais elle aura lourdement insisté sur les accusations qui pèsent sur son fondateur en se couvrant d’un « peut-être à tort » bien faux-cul avec un art consommé de l’insinuation. Et de sauter du coq à l’âne en évoquant la mère de Julian Assange. Elle se gaussera ensuite du « hacker » qui « a pu occuper sur la Toile tantôt la place d’un héros planétaire et tantôt celle d’un suspect adoré de sa maman ». Quand le sage montre la lune, Roudinesco regarde sa mère.
Passons sur les roudinesqueries suivantes (Assange critiqué par plus « extrémiste » que lui), mais arrêtons-nous tout de même sur cette phrase sublime :
[Le processus de déballage] révèle d’une part que les gouvernants sont victimes de la même dictature de la transparence que celle qui affecte la vie privée des citoyens – et que seule la loi peut protéger -, et que, de l’autre, les médias sont devenus aussi puissants qu’eux dans la gestion des affaires du monde.
Dans un exercice de confusionnisme assez ahurissant, Elisabeth Roudinesco met donc sur le même plan le dévoilement des mensonges diplomatiques par Wikileaks et les atteintes à la vie privée des citoyens, qui, contrairement à ce qu’elle affirme, sont rarement empêchées par la loi dès lors qu’elles sont le fait du pouvoir économique ou de ses valets politiques. Il existe même des lois qui permettent aux Etats de violer l’intimité des citoyens, de les surveiller, de les ficher. Ces lois ne sont pas celles de la Chine pseudo-populaire ou de l’ex-fausse Union des fausses Républiques faussement Socialistes et pas du tout Soviétiques. Ce sont celles des Etats-Unis, de la France, et de la plupart des pays dits démocratiques, qui vidéo-surveillent le quidam, hadopisent les disques durs, épluchent les « fadettes », écoutent les conversations, contrôlent les papiers, relèvent les empreintes, prélèvent l’ADN, recoupent les données… tandis que le plus grand secret reste de rigueur à la tête de l’Etat et surtout à la tête des entreprises. Ne voient de la transparence dans les rouages du pouvoir que ceux qui, à force d’être dans le secret grâce à leur connivence avec les seigneuries ou à leur appartenance à celles-ci ont oublié à quel point le simple citoyen, lui, est maintenu dans l’ignorance ou aveuglé par les lumières du Spectacle.
A cet égard, pour rétablir l’équilibre entre la nécessité du secret, sans quoi aucun Etat de droit ne saurait exister, et la nécessité d’une certaine rigueur de l’information, il faudra bien trouver une parade à la sottise infantile des nouveaux dictateurs de la transparence.
Après s’être moqué du fils à sa maman qui pousse le ridicule jusqu’à être aimé de sa mère alors même qu’il est « suspect« , Roudinesco a beau jeu de pointer une « sottise » forcément « infantile » et d’opérer un retournement sémantique pour le moins osé : sont démocratiques les « Etats de droit » qui mentent aux peuples et bafouent l’intimité des citoyens, et sont des dictateurs ceux qui démasquent les mensonges.
Avoir été disciple de Lacan ou Deleuze pour finir par dire la même chose qu’Hortefeux, voilà qui est assez triste.
Actions « multiformes » : cut the crap !
Mardi 23 novembre 2010 : enterrement du mouvement social pour la défense des retraites trahi comme de coutume par ses propres représentants. Les syndicats (CGT, CFDT, UNSA, FSU et Solidaires) appellent à une journée « d’actions diversifiées » ou « multiformes », façon de bien signifier au bon peuple qu’il n’est plus question de grèves, de blocages ou même de manifestations. Mais FO (le syndicat qui appelle toujours à la grève générale après la bataille et s’allie au groupe Casino pour contester à la CNT, syndicat anarchiste, le droit de désigner des représentants de section syndicale) y voit fort justement une « stratégie d’oubli ou de diversion » (sans proposer autre chose), tandis que la CFTC et la CFE-CGC estiment que l’heure n’est plus aux manifestations mais à « de nouveaux modes d’action » (sans dire lesquels : bouderie devant la photocopieuse, stand-in devant la machine à café … ?). Cut the crap !
Cette fois, promis, on arrête de prendre la France nationale-sarkozyste en otage. Plutôt aller, par exemple, faire une gentille chaîne humaine autour de la bourse, que personne ne pensera, évidemment, à incendier. Si seulement ce mouvement s’était fédéré dès le départ en coordinations de travailleurs déterminés, au lieu de se laisser guider par tous ces guignols multiformes ! Cela dit sans vouloir décourager quiconque de participer à de telles actions qui valent tout de même mieux que rien : même multiforme et exténué, un mouvement populaire a toujours une chance, aussi infime soit-elle, de déborder du cadre strictement inoffensif destiné à en canaliser l’énergie vers l’égout social.
Certes l’ex-presse peut enfin se féliciter d’avoir applaudi d’avance la mort du mouvement, mais les vrais responsables de la casse des retraites, ainsi que leurs valets et leurs complices, auront toutefois du mal à fêter l’évènement dans l’ambiance feutrée du « Siècle » où ils ont coutume de se réunir une fois par mois. En effet, Pierre Carles et ses amis, dans la foulée du film Fin de concession, ont décidé de perturber systématiquement ce rendez-vous mondain des connivences et collusions diverses autant que multiformes entre le Capital, les politicards et l’ex-presse. Nous reproduisons ci-dessous le contenu de leur tract (c’est pas du multiforme, ça, peut-être ?) :
L’ÉLITE EST ADROITE, MAIS LE PEUPLE EST À GAUCHETous au dîner du Siècle pour un pique-nique collectif !
Depuis 1944, les élites politiques, économiques et médiatiques de ce pays se retrouvent au sein du Siècle, club huppé qui organise une fois par mois un somptueux dîner où s’empiffrent patrons, élus et journalistes : David Pujadas, Patrick Devedjian, Rachida Dati, PPDA, Laurent Joffrin, Nicole Notat, Laurent Fabius, François Fillon, Lionel Jospin, Louis Schweitzer, Louis Gallois, Maurice Lévy, Elisabeth Guigou, Guillaume Pépy, Michel Field, Emmanuel Chain, Franz-Olivier Giesbert, Luc Ferry, Jacques Attali, Martine Aubry, Thierry Breton, Michel Bon, Arlette Chabot, Claude Bébéar, Michèle Cotta, Michel Pébereau, Jean-François Copé, Jean-Marie Colombani, Jean-Pierre Raffarin, Ernest-Antoine Seillière, Corinne Lepage, Nicolas Sarkozy ou Claude Allègre, pour ne citer qu’eux (ils sont plus de 550). Depuis 2008, Le Siècle est présidé par Denis Kessler, PDG du groupe d’assurances SCOR et ancien vice-président du MEDEF.
C’est un lieu de sociabilité incestueuse entre rentiers du CAC 40 et responsables de l’information, patrons qui plastronnent et « socialistes » qui capitulent, décideurs sarkozystes et courtisans de presse ; un de ces lieux où se préparent en toute discrétion et entre gens de bonne compagnie les contre-réformes libérales qui seront ensuite votées par les « représentants du peuple » et promues dans les médias qui mentent.
Le 27 octobre 2010 est une date à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire du club : pour la première fois, le petit peuple est venu se mêler à ses agapes. Par la mise en place d’un cordon sanitaire autour de l’Automobile Club de France, siège du gueuleton princier, une petite centaine de sans-culottes culottés a tenté d’empêcher la prise en otage de la crème journalistique par les banquiers, les patrons et les politiques.
La mission humanitaire qui consiste à sauver les journalistes d’eux-mêmes va évidemment se poursuivre. Les gueux sont donc appelés à se rassembler chaque 4e mercredi du mois devant l’Automobile Club de France, sis dans les murs de l’Hôtel Crillon place de la Concorde, en face de l’Assemblée nationale, dont le prétendu pouvoir est ridiculisé par de telles réunions.
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Prochain rendez-vous :
mercredi 24 novembre 2010 à partir de 19h30 et jusqu’à 21h, sur le trottoir devant l’Hôtel Crillon, Place de la Concorde, Paris. Cette fois-ci, nous dînerons nous aussi sur place : n’hésitez pas à apporter boissons, charcuterie, gâteaux ! (Mais merci de venir sans drapeaux)
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Collectif Fini les Concessions — C.F.C.-B.A.P. — Branche Armée… de Patience
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Faire la ronde devant la bourse mardi avec quelques syndicats co-gestionnaires de la crise, perturber la digestion des élites adroites mercredi avec le CFC-BAP (pour imprimer le tract, il suffit de le télécharger en pdf), faire la grève générale la semaine des quatre jeudis avec FO… voilà une semaine multiforme. Et demain, la multiformitude sera le genre humain.
Le retour de Néanderthal
Dans Le Point (10/11/2010), magazine de droite appartenant à François Pinault, patron de droite, et dirigé par Franz-Olivier Giesbert, guignol de droite (pris en flagrant délit de cabotinage et de mensonge dans le film Fin de concession de Pierre Carles), Claude Allègre, Néanderthalien de droite (jadis grand dégraisseur de mammouth), fait un long et flagorneur éloge du petit président de droite de l’ex-République. Il y soutient, notamment, le passage en force de la loi sur le recul de l’âge de la retraite :
Fallait-il faire cette réforme ? Oui. Fallait-il la faire si vite ? Oui encore, sinon nos caisses de retraites, alors en quasi-faillite, auraient été obligées de baisser les pensions. Les personnes âgées le savent très bien !
Allègre, qui a longtemps prétendu être de gauche, reprend donc à son compte le vocabulaire mensonger de la droite réactionnaire, en appelant « réforme » cette contre-réforme. Il ment également en prétendant que les caisses de retraite sont en « quasi-faillite » et que sans cette contre-réforme, « elles auraient été obligées de baisser les pensions ». Obligées par qui ? Si d’aventure les dépenses devaient être supérieures aux recettes, ce qui n’est pas le cas, l’Etat n’aurait nulle obligation de diminuer les dépenses et aurait en revanche toute autorité pour augmenter lesdites recettes, en allant chercher l’argent là où il se trouve (la taxation des flux financiers est une possibilité parmi d’autres).
Une « personne âgée », à coup sûr, est d’accord avec Claude Allègre : c’est Claude Allègre lui-même, âgé déjà de 73 ans. Quant aux autres « personnes agées », gobent-elles les mensonges de cet homme de Néanderthal ? Rien n’est moins sûr.
Alors que nous allons vers une espérance de vie qui dépassera bientôt 90 ans, peut-on continuer de s’arrêter de travailler à 60 ans ? Le simple bon sens nous dit que ce n’est pas possible.
Est-ce le même « simple bon sens » qui faisait dire en 1976 à Claude Allèqre que la Soufrière allait exploser, contre l’avis du vulcanologue Haroun Tazieff (la région fut évacuée pour rien : c’est bien Tazieff, qui s’était rendu, lui, sur le site, qui avait raison) ?
Est-ce le même « simple bon sens » qui a fait dire pendant des années à Claude Allègre que le réchauffement climatique n’était pas lié au CO2 issu des activités humaines ? Thèse qu’il a fini par abandonner le 28 octobre 2010, après tant d’élucubrations médiatiques sur le sujet, lorsque l’Académie des sciences, dont il est membre, a rendu un rapport affirmant le contraire. Le ridicule ne tue pas, et notre Néanderthalien a donc survécu. Mais il est tout de même étonnant que l’ex-presse donne encore si facilement tribune libre à un tel « expert ».
Est-ce le « simple bon sens » qui faisait dire à Allègre le 21 février 1999 sur TF1 qu’une boule de pétanque et une balle de tennis chutaient à la même vitesse, négligeant dans sa démonstration le paramètre du frottement de l’air, évidemment différent pour chacun des deux objets ?
Est-ce le « simple bon sens » qui poussa Allègre à annoncer en septembre 1997 que le taux d’absentéisme des enseignants était de 12%, ce qui était bien supérieur à la réalité (entre 5 et 8%) ?
Est-ce le « simple bon-sens » qui l’entraîna à dénoncer le désamiantage de la fac de Jussieu le 19 octobre 1996 (déjà dans Le Point) ? Rappelons que l’amiante y a été la cause avérée de 22 morts.
Cut the crap !
Claude Allègre, qui est né en 1937, est un vivant plaidoyer pour la retraite à 60 ans : ce vieux monsieur qui raconte décidément n’importe quoi aurait dû la prendre il y a 13 ans, sa retraite. Par exemple, lorsqu’il dit que nous allons vers une espérance de vie qui dépassera « bientôt » 90 ans, il montre qu’il ne sait plus compter et qu’il prend ses désirs d’immortalité pour la réalité (à moins qu’il ne mente uniquement pour décrocher une récompense de la part de son nouveau maître Sarkozy ?).
En effet, l’espérance de vie en France était de 70,2 ans en 1960, et de 81,5 ans en 2008 (d’après les chiffres de la Banque mondiale), ce qui représente un gain de 11,3 ans en 48 ans. En admettant que l’espérance de vie continue à progresser au même rythme durant les années à venir, l’espérance de vie en France atteindrait donc 90 ans en 2044 ! Est-ce vraiment « bientôt » ?
D’ailleurs, est-il bien raisonnable de miser sur une poursuite sans effet de seuil de l’augmentation de l’espérance de vie tandis qu’on recule l’âge de la retraite, au risque d’accentuer la mortalité de toute une catégorie de la population ? Un ouvrier du bâtiment travaillant toujours à 62 ans, par exemple, a-t-il beaucoup de chances d’être encore vivant le jour de son départ en retraite ? Qu’en dit le « simple bon-sens » ?
Au demeurant, il est spécieux de parler ainsi d’espérance de vie, l’important étant évidemment l’espérance de vie en bonne santé. Selon l’INSEE, elle était de 64,2 ans pour les femmes et de 63,1 ans pour les hommes en 2007, celle des femmes ayant d’ailleurs légèrement baissé entre 2005 et 2007. La contre-réforme nationale-sarkozyste défendue si allègrement par notre si sourcilleux Néanderthalien va donc priver de nombreux Français de la jouissance d’une retraite en bonne santé (surtout ceux d’entre eux qui devront attendre l’âge de 67 ans pour pouvoir prétendre à une pension décente). Qu’en dit le « simple bon sens » ? Une chose est sûre, Claude Allègre, lui, n’a pas trop de souci à se faire pour ses vieux jours. En tant qu’universitaire, directeur de l’Institut de physique du globe de Paris de 1976 à 1986, député européen de 1989 à 1994, conseiller régional du Languedoc-Roussillon en 1992, président du conseil d’administration du Bureau de recherches géologiques et minières de 1992 à 1997 (où son train de vie fit scandale), ministre de l’Education nationale de 1997 à 2000, membre du conseil d’administration du groupe IPSOS en 2002, titulaire de diverses médailles et breloques, auteur de bestsellers de supermarchés… il ne connaîtra jamais le sort de ces millions de Français qui, après une courte vie d’un labeur pénible qu’ils n’ont pas choisi, mourront dans la misère avant même d’être à la retraite. En revanche, il n’a visiblement pas échappé au risque de sénilité et d’incontinence verbale.