« Paie-t-on trop d’impôts en France ? L’instrument à utiliser pour répondre est le taux des prélèvements obligatoires. Il mesure le pourcentage de la richesse créée par le pays en une année, et qui part en recettes fiscales. Ces recettes incluent tous les prélèvements obligatoires, sans exception : aussi bien les impôts que les cotisations sociales. On voit alors que, comparé à d’autres pays similaires en prospérité et en peuplement, la France a bien une pression fiscale plus élevée. Avec 45,2% de la richesse produite par tout le pays en un an, cette pression est similaire à celle de l’Italie (44%), mais plus haute que celle de l’Allemagne (36,4%) ou du Royaume-Uni (32,5%) [OCDE, Recettes fiscales (% du PIB), données de 2013].
Cependant, en réalité toute une partie de ces recettes fiscales n’est pas dépensée par l’Etat : c’est de l’argent qui repart directement dans les poches des habitants sous forme d’aides sociales de toutes sortes. Ainsi, contrairement aux fonds que les pouvoirs publics dépensent pour financer des administrations, payer des fonctionnaires ou encore entretenir écoles et hôpitaux, cet argent-là ne fait que transiter par les caisses publiques pour retourner à la population. En toute rigueur, il faut donc le soustraire du calcul pour pouvoir véritablement comparer la pression fiscale entre les pays. Or, le niveau d’aides sociales versées aux habitants est significativement plus élevé en France que chez ses voisins comparables : 19,2% de la richesse produite par le pays en un an, contre seulement 10,7% au Royaume-Uni. Une fois la soustraction faite pour ne prendre en compte que l’argent réellement capté par les pouvoirs publics afin de financer leurs dépenses, la France, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni arrivent tous les quatre autour de 22-26% de la richesse annuelle produite par le pays.
Il est donc faux de prétendre que l’Etat français serait un goinfre fiscal : une fois ôté du calcul l’argent dont il ne se sert pas lui-même et qu’il ne fait que redistribuer, la pression fiscale qu’il applique à l’économie n’a rien d’anormal.
La fiscalité française est-elle confiscatoire ? Est-elle anti-riches ? Si l’on compare nos principaux prélèvements obligatoires à ceux de puissances économiques similaires, là encore la réponse est non.
L’impôt français sur le revenu des ménages capte 8,6% de la richesse produite par le pays en une année. Alors que la France nous est sans cesse dépeinte comme un ogre fiscal par rapport au Etats plus raisonnables que seraient le Royaume-Uni et l’Allemagne, la captation est légèrement plus lourde qu’en France dans ces deux pays : 9% outre-Manche ; presque 10% outre-Rhin [OCDE, Impôt sur le revenu des personnes physiques (% du PIB), données de 2015].
Même verdict pour l’impôt sur les sociétés. Captant 2,11% de la richesse annuelle produite par le pays, il est en fait un peu plus léger en France qu’au Royaume-Uni (2,45%). Ce constat est à contre-pied des idées reçues ambiantes, qui opposent en permanence une fiscalité française forcément prédatrice à une fiscalité britannique forcément plus douce. La captation est par ailleurs largement plus élevée au Japon (4,6%), pays que personne ne songerait pourtant à qualifier d’économie socialiste.
Même verdict pour l’imposition du patrimoine. Elle est incessamment vouée au gémonies dans notre débat public : par exemple en accusant l’impôt de solidarité sur la fortune d’être, selon l’éditorialiste François Lenglet sur RTL, un « impôt stupide » qui provoque « l’exil » des « grandes fortunes ». En réalité, la fiscalité française du patrimoine capte 4,065% de la richesse annuelle produite par le pays : c’est-à-dire exactement le même niveau que le Royaume-Uni de Margaret Thatcher et de Tony Blair, peu suspects d’avoir pratiqué une politique fiscale anti-riches [OCDE, Impôt sur les bénéfices des sociétés (% du PIB), données de 2015].
Même verdict pour l’imposition sur les biens et services, notamment la TVA. Elle prélève en France 11,1% de la richesse produite par le pays en une année. Ce niveau est en réalité similaire à celui de l’Allemagne (10,6%), du Royaume-Uni (10,7%) ou encore de l’Italie (11,7%) [OCDE, Impôt sur les biens et services (% du PIB), données de 2015].
Somme toute, les cotisations sociales sont la seule catégorie des grands prélèvements obligatoires dans laquelle la France se situe significativement plus haut que les économies de prospérité et de taille similaires. Elles prélèvent en effet presque 17% de la richesse annuelle produite par le pays, contre 14% en Allemagne, 13% en Italie, et même 6% au Royaume-Uni [OCDE, Cotisations de sécurité sociale (% du PIB), données de 2015].
La raison est simple : c’est grâce à cela que notre pays peut pratiquer une redistribution des richesses significativement plus forte que les puissances économiques qui lui sont comparables. Pour autant, avec seulement 3 points d’écart entre la France et l’Allemagne, objectivement il n’y a pas matière à considérer que le niveau français de cotisations sociales serait anormal ou sidérant. C’est plutôt le Royaume-Uni qui est anormalement bas par rapport au économies qui lui sont comparables. (…)
L’idée selon laquelle à cause de prélèvements obligatoires trop élevés en France les entreprises n’ont plus d’argent pour faire des investissements ne résiste pas non plus à l’examen.
De fait, le vrai problème est aujourd’hui le prélèvement excessif de dividendes par les actionnaires des grandes firmes françaises. En 2016, selon la firme financière Henderson Global Investors, ils ont ainsi capté plus de 50 milliards d’euros de dividendes, soit une augmentation de presque 12% par rapport à ce qu’ils avaient déjà prélevé l’année précédente. Avec respectivement 5,5 milliards, 5,9 milliards et 6,6 milliards d’euros ponctionnés, la firme médiatique Vivendi, la firme pétrolière Total et la firme pharmaceutique Sanofi sont les cas les plus édifiants, suivis de près par les firmes financières BNP Paribas et Société Générale. (…)
C’est donc bel et bien l’accroissement immense des dividendes captés par l’actionnariat, sans justification par un surcroît équivalent de prospérité économique, qui empêche les entreprises d’investir beaucoup plus ; et non pas les niveau des salaires, des cotisations sociales ou des impôts, puisqu’ils stagnent.
L’affirmation selon laquelle les riches feraient sortir leur argent de France, voire s’exileraient physiquement, parce que l’on paie trop d’impôts dans notre pays est fausse : c’est ce que démontre l’affaire SwissLeaks. (…)
Or, parmi les principaux pays-sources de cet immense système de désertion fiscale, l’on trouve aussi bien des Etats comme la France et l’Italie, où la pression fiscale dépasse 40% de la richesse annuelle produite par le pays, que d’autres comme les Etats-Unis d’Amérique et la Suisse, où elle est proche de seulement 25% [ICIJ (2016), SwissLeaks Top Countries by money, 2015]. Ce n’est donc pas le niveau de la pression fiscale qui est décisif dans le choix de devenir un déserteur fiscal. Ce qui est déterminant, c’est tout simplement le choix que fait chaque personne fortunée d’accepter son devoir de contribuer, via l’impôt, à la bonne marche du pays qui lui a permis de créer ou de garder sa fortune ; ou au contraire de devenir un déserteur fiscal par calcul strictement individualiste. »