“Je pense que nous assistons aujourd’hui à un nouvel épisode dans la lutte déjà ancienne que se livrent les politiciens et les journalistes pour apparaître comme les véritables représentants du peuple. En diffusant en boucle les propos des manifestants affirmant leur refus d’être “récupérés” par les syndicats et les partis, les chaînes d’information en continu ont mené leur propre combat pour écarter les corps intermédiaires et pour s’installer comme les porte-parole légitimes des mouvements populaires. Le fait que des journalistes aient endossé publiquement un gilet jaune avant la manifestation du 17 novembre illustre bien cette stratégie ; laquelle a été confirmée par les propos entendus sur les chaînes d’information en continu présentant ce conflit social comme un “mouvement inédit de la majorité silencieuse”. Nous avons là une illustration parfaite du rôle que jouent les médias audiovisuels dans la “démocratie du public” (…).
Pourtant, ils sont confrontés eux aussi à la crise que traverse aujourd’hui notre système de représentation. (…) Le soutien qu’ils ont apporté aux Gilets jaunes leur a permis de “booster” fortement l’Audimat. (…)
Froce est de constater, en effet, que c’est la violence des manifestations qui s’est imposée rapidement comme l’événement le plus spectaculaire, donc le plus important du point de vue de l’Audimat. Pour garder leur public en haleine, les chaînes d’information en continu sont dans l’obligation, en effet, de présenter constamment un spectacle,c e qui incite les journalistes à privilégier les incidents et la violence. DDu coup, les Gilets jaunes se sont sentis trahis par les médias qui les avaient soutenus au départ. (…) Leur situation a été d’autant plus inconfortable qu’ils ont souvent été pris entre deux feux, non seulement confrontés à l’hostilité de Gilets jaunes, mais aussi victimes de la répression policière.”
Gérard Noiriel, Les Gilets jaunes à la lumière de l’histoire,
dialogue avec Nicolas Truong, Le Monde / Editions de l’aube, 2019