En politique comme en acoustique, il y a la hi-fi (high fidelity) : là où un appareillage hi-fi tend à restituer un son très proche du signal d’origine en se fondant sur les caractéristiques de l’oreille humaine (perception d’une plage de fréquences de 20 Hz à 20k Hz), un mouvement politique hi-fi émet des idées et des propositions en utilisant le plus large spectre de concepts perceptibles par une intelligence humaine (non limitée par un abrutissement prolongé devant un écran de télévision). Le Parti de Gauche entre à mon avis dans cette catégorie.
Mais il y a aussi des appareillages lo-fi (low fidelity) ne restituant que partiellement les fréquences sonores, avec des effets de saturation ou de distorsion dans certaines fréquences. De même, en politique, il existe des partis lo-fi qui crachouillent en boucle des idées monophoniques (voire monomaniaques), soit par pauvreté de leur appareillage théorique, soit par usure dans la pratique, soit encore par volonté délibérée de toucher les esprits les plus simples ou de ne stimuler que les plus bas instincts. La liste des partis lo-fi qui ont parasité et parasitent encore la vie politique serait trop longue à établir. Aussi n’évoquerons-nous que le cas d’un parti lo-fi justement nommé LO (il paraît que cela signifie Lutte Ouvrière) – d’après le nom de son journal – et que nous serons donc tentés d’appeler affectueusement lo-LO.
L’Union Communiste (trotskyste) – le vrai nom de LO – se donne pour but de créer un parti communiste vraiment révolutionnaire apte à conduire la classe ouvrière vers un renversement armé de « l’Etat bourgeois ». Intention louable, mais puisque cela fait plus de 70 ans que cette fraction trotskyste échoue à constituer le parti communiste de ses rêves, de même (malgré ses tentatives d’entrisme dans les syndicats) qu’à mobiliser et armer la classe ouvrière, on peut mesurer le caractère borné et décidément lo-fi de son message. Dans le contexte actuel, il tend à devenir selon les cas vraiment inaudible, simplement risible, voire carrément contre-révolutionnaire dès lors qu’il s’oppose à toute conquête sociale qui n’aurait pas été obtenue par les armes.
Ainsi, à l’heure où, à la faveur d’une prise de conscience mondiale des contradictions les plus insupportables du capitalisme, s’opèrent partout des convergences entre les mouvements sociaux, « l’autre gauche », les luttes pour les libertés, les indignations, alors que des forces comme Syriza ou le Front de Gauche commencent à inquiéter l’oligarchie austéritaire en Europe, lo-LO concentre son tir (en parfaite synchronisation d’ailleurs avec un Jean-Marc Ayrault ou un Michel Sapin !) sur… nul autre que Jean-Luc Mélenchon.
Sur le site du journal Lutte Ouvrière, un certain Paul Sorel (version lo-fi de Georges Sorel ?) accuse en effet Mélenchon de se voir déjà « premier ministre de Hollande ». Dans cet article à paraître le 24 août, Sorel donne une retranscription très lo-fi du vacarme médiatique le plus débile. Le « ton » de Mélenchon est qualifié de « tonitruant », comme sur n’importe quel organe de presse possédé par Dassault, Lagardère ou Bouygues (dans la presse que lo-LO qualifie habituellement de bourgeoise, Mélenchon « vocifère » ou « éructe » forcément). Car bien évidemment, en version lo-fi, seul le « ton » passe, pas le fond. Pour Sorel, Mélenchon n’énonce que « quelques formules à l’emporte-pièce » derrière lesquelles il y a une « réalité » que lo-LO semble cerner mais dont on ne saura rien puisque le commentaire ne s’intéressera à rien d’autre, justement, qu’à la forme. Décidément outillé lo-fi, Sorel n’a donc probablement pas perçu l’argumentation solidement construite de Mélenchon dans ses critiques contre la politique menée depuis 100 jours par Hollande et Ayrault, argumentation qui reste dans le droit fil de ce qu’il énonçait déjà dans ses longs discours durant la campagne de la présidentielle puis des législatives. Mais c’est le problème quand on recrache du son hi-fi sur du vieux matériel lo-fi : il y a de la perte.
De tout l’entretien accordé à France-Inter le 20 août par Mélenchon, Sorel ne retient qu’une question du journaliste Bruno Duvic : « L’opposition, vous êtes dedans ? » Certes, ce pauvre Duvic n’est pas Albert Londres, mais parmi toutes les (mauvaises) questions qu’il a (mal) posées, Sorel ne retient donc que la plus crétine de toutes, celle-là même que la presse « bourgeoise » s’obstine à poser et re-poser à Mélenchon qui y a déjà pourtant répondu maintes fois, et qui doit encore répéter : « Non, l’opposition, c’est la droite ; nous, nous sommes autonomes, nous jugeons ce que nous croyons bon pour le pays ». Mais il faut croire que la notion explicite d’autonomie conquérante (l’objectif non dissimulé du Front de Gauche étant bien de ravir à terme le leadership à gauche et le pouvoir au PS) reste trop hi-fi pour lo-LO comme pour la presse « bourgeoise » : elle doit se situer dans des fréquences conceptuelles décidément trop difficiles à capter.
En outre, Sorel semble ébahi par les propos de Mélenchon lorsque celui-ci a le front (de gauche) de constater que Hollande a été élu pour 5 ans et que « c’est lui qui a le pouvoir de nommer le Premier ministre ». C’est pourtant la stricte réalité constitutionnelle de ce pays, Mélenchon qui milite depuis des lustres pour une VIe République n’étant d’ailleurs pas le plus suspect qui soit d’être favorable au présidentialisme de la Ve République. Et lorsque Mélenchon prophétise qu’Hollande sera contraint de changer de cap, Sorel, toujours bouché à l’émeri, précise que c’est en « se gardant bien de préciser quel cap » : sauf qu’il est on ne peut plus clair dans l’interview que le « cap » dénoncé par Mélenchon est celui de la soumission à l’Europe austéritaire, l’autre « cap » préconisé par lui-même étant donc au contraire celui qui est exposé depuis des mois dans le programme du Front de Gauche, programme que son candidat n’a eu de cesse d’énoncer et d’expliquer durant toute la campagne avec le succès que l’on sait (assemblées citoyennes dans tout le pays, des milliers de personnes rassemblées dans les meetings et 11% des voix obtenues à la présidentielle malgré la pression du vote utile).
L’analyse (désormais bien connue) de Mélenchon est la suivante : les politiques austéritaires mènent à la catastrophe ; le président français, bien que social-libéral convaincu, sera tôt ou tard confronté à l’échec de sa propre doctrine, et s’il ne veut pas être balayé par la tempête avec son pédalo, il sera obligé, donc, de « changer de cap » (la qualité de « brave homme » que lui reconnaît Mélenchon ne saurait l’empêcher de sombrer, le moment venu, s’il s’obstine dans la voie sociale-libérale). Dès lors, « il ne sera pas crédible s’il reprend comme Premier ministre l’un des sociaux-libéraux qui pullulent dans son parti. » Cela tombe effectivement sous le sens, et le dire n’équivaut pas à un acte de candidature personnelle, tant il est vrai qu’Hollande peut trouver facilement dans son propre parti des Montebourg, Hamon ou Lienemann qui pourraient prétendre au poste si le social-libéralisme n’était soudain plus à l’ordre du jour et qui offriraient de bien meilleures garanties de docilité que Mélenchon au point où il en est rendu à présent. L’ex-candidat du Front de Gauche estime, il est vrai, que lui et les siens étaient mieux préparés à gouverner que le PS, et il est évident que Mélenchon se considère lui-même comme compétent pour diriger l’Etat ou le gouvernement et appliquer ainsi le programme du Front de Gauche. On peut donc en conclure qu’en cas de changement de majorité (dans 5 ans ou plus tôt si Hollande était amené, « tempête » oblige, à dissoudre l’assemblée), Mélenchon serait prêt à aller en personne à Matignon pour y appliquer son programme (peu importe à vrai dire qui se trouverait alors à l’Elysée : entre 1997 et 2002, ce n’est pas tant Chirac qui a lié les mains de Jospin que sa propre pusillanimité). Que Mélenchon soit prêt, le moment venu, à aller à Matignon, ne devrait pas être une découverte, même pour Sorel, qui pourtant comprend encore tout de travers : « C’est donc l’objectif du bouillant Mélenchon : s’installer à Matignon sous les ordres de Hollande, qui serait un brave homme, aveuglé par son entourage ». Au moment même où Mélenchon accuse sévèrement Hollande de n’avoir tenu aucun compte des propositions du Front de Gauche (sans lequel il n’aurait pu être élu), et critique durement sa soumission à l’oligarchie financière, lo-LO laisse donc entendre que Mélenchon serait prêt à prendre la place d’Ayrault au premier coup de sifflet d’Hollande, sans doute pour faire la même politique d’austérité et avec la même majorité PS. Le mot est même lâché : Mélenchon n’aurait donc pour ambition que de servir « les bourgeois ».
Il faut dire que pour lo-LO, Mélenchon aura beau prôner la révolution citoyenne, et même la mettre en pratique (si jamais il accède un jour au pouvoir), il sera toujours marqué du sceau de l’infâmie car, pour les trotskystes purs et durs de LO, l’ancien trotskyste Mélenchon est coupable d’un crime impardonnable : le « réformisme ». Si jamais on a la possibilité de conquérir un jour le pouvoir sans effusion de sang, grâce à la conjonction des luttes sociales et d’une victoire électorale (qui n’est plus complètement improbable depuis l’émergence du Front de Gauche), si jamais on a la possibilité de rendre le pouvoir au peuple (institutionnellement, économiquement, socialement) par une réforme profonde de l’Etat et de la propriété (l’application du programme « l’Humain d’abord » n’en serait d’ailleurs qu’une première étape), alors lo-LO boudera encore parce que le prolétariat n’aura pas abattu l’Etat bourgeois par les armes. On serait en train de faire la révolution sous leur nez que les militants de LO ne s’en rendraient même pas compte, occupés qu’ils sont (jusqu’à la fin des temps ?) à armer le prolétariat qu’ils n’ont jamais réussi à mobiliser avec des armes qu’ils n’ont jamais eues. A chaque fois que j’ai une discussion avec un militant de LO, je finis par demander « où sont les armes ? », et je vois bien qu’il est gêné parce que ce n’est sans doute pas lui qui a les clés du local et qu’il n’y a peut-être rien d’autre dans le local qu’un vieux tas de tracts. C’est con, sinon on aurait pris le Palais d’Hiver ensemble puis on se serait foutu sur la gueule à Kronstadt, comme dans le bon vieux temps.
Nous, au Front de Gauche, nous allons continuer à faire feu de tout bois, et poursuivre la révolution citoyenne par les urnes, par les luttes, par l’éducation, et par tous les moyens appropriés au contexte, sans plus de violence que nécessaire. Beaucoup de militants d’organisations de gauche ou d’extrême-gauche nous ont déjà rejoints et nous rejoignent encore. Dans le Front de Gauche, et particulièrement au Parti de Gauche, se retrouvent des gens venus du PS, du PC, d’EELV, du NPA, ou même (j’en suis la preuve) de l’anarchisme, ainsi que des milieux associatifs ou syndicaux. On voit même arriver (et ce n’est pas le moins encourageant) des gens qui n’avaient jamais milité auparavant. Nous savons que dans les luttes, nous aurons parfois à nous retrouver aux côtés de militants de LO. Et même si selon nous, leur stratégie mène à l’autisme politique, nous n’oublions pas qui est notre véritable ennemi : le Capital. A titre personnel, je ne peux toutefois qu’inviter LO à se mettre enfin à la hi-fi, parce que je dois l’avouer, ma pauvre lo-LO, des fois, tu me brouilles un peu l’écoute.