“Sur le plan politique, ce qu’il faut surtout retenir des mutations qui se sont produites depuis les années 1980, c’est le décalage croissant entre la mondialisation des échanges économiques, culturels, sportifs et l’ancrage toujours national de l’espace politique, en dépit de l’intégration européenne. La compétition qui oppose les politiciens entre eux pour la conquête du pouvoir d’Etat les oblige tous à parler au nom des Français, en prenant leur défense contre les menaces extérieures censées peser sur eux.
C’est parce que l’Etat national est toujours le cadre fondamental de notre vie politique que le “problème de l’immigration”, né à la fin du XIXe siècle, est resté un argument majeur de la droite et de l’extrême-droite. Ce qui frappe l’historien qui s’est penché sérieusement sur cette question, c’est le caractère répétitif de ces débats, même si le vocabulaire et les groupes montrés du doigt ont changé, en fonction de l’actualité. L’antisémitisme ayant débouché sur le génocide des juifs, au moment du nazisme, il ne pouvait plus être un argument efficace pour alimenter le fonds de commerce de la droite nationaliste. Avec l’effondrement du communisme, il fut de plus en plus difficile de faire croire aux Français que la nation était menacée par des Bolcheviks obéissant aux ordres du Kremlin.
En 1978-1979, la révolution iranienne inaugura une ère nouvelle qui permit aux nationalistes de remplacer le communisme par l’islamisme. les attentats perpétrés par des terroristes se réclamant de l’islam contribuèrent fortement à accréditer leurs discours dans l’opinion. Cette tendance fut confortée par le fait que, dans les cités de banlieue, les formes anciennes d’encadrement des classes populaires s’effondrèrent, ne laissant souvent aux musulmans que la religion comme planche de salut.”
Gérard Noiriel, Le venin dans la plume,
Edouard Drumont, Eric Zemmour et la part sombre de la République,
La Découverte, 2019