Mélenchon : pas vraiment un nom de vainqueur. Confusion possible pour le public non-averti avec le Jean-Paul Huchon qui a fait du conseil régional d’Ile-de-France son gros polochon.
Ex-trotskard de l’OCI, Jean-Luc Mélenchon a fait carrière au sein du PS, et fut longtemps conseiller général et sénateur, ce qui fait tout de même plus rad-soc de la IIIe République que bolchevik au couteau entre les dents. Et pourtant, il ose, le Jean-Luc : campagne pour le « non » au referendum de 2005, scission avec le PS pour former un nouveau parti, le Parti de Gauche, en 2009 (certes, il ne s’est pas foulé pour le nom, qu’il a piqué au parti allemand Die Linke), attaques gonflées contre la médiocrité journalistique (voir la scène du nouveau film de Pierre Carles, Fin de concession, dans laquelle notre Méluche se paie la tronche de l’inepte David Pujadas)…
Avec le Front de Gauche, il a réalisé l’exploit de vampiriser les dernières forces du cadavérique PC français, se permettant même le luxe de griller la vedette au NPA de Besancenot lors des derniers scrutins (élections européennes et régionales de 2009 et 2010). Déjà vieux routier de la politique, il a su devenir un bon « client » des télés et radios, grâce à ses qualités d’orateur, sans doute, mais peut-être aussi en cultivant un côté grognon qui laisse espérer aux journaleux la petite phrase truculente, la provoc bien sentie, voire le dérapage bien beauf susceptibles de faire grimper l’audience. De quoi donner le frisson à des media qui rêvent sans doute un peu perversement, aussi, de se faire martyriser par le ronchon Mélenchon.
Peut-être grisé par son nouveau statut d’icône populiste auprès des media valets de l’ordre national-sarkozyste, Jean-Luc Mélenchon a sorti en 2010 un de ces bouquins que tout politicien ambitieux se doit d’écrire ou de faire écrire pour alimenter le « buzz » (comme disent les crétins), c’est-à-dire pour exister médiatiquement. Le tribun du Parti de Gauche y prône une « révolution citoyenne ». Aïe ! Accoler deux termes aussi galvaudés, dévoyés, salis, usés, abîmés, vidés que ces deux-là pour former un nouveau slogan politique ne présage rien de folichon, même recyclés par Mélenchon chonchon. Et l’on imagine plus facilement notre Jean-Luc national animer des fins de banquet en Essonne que revêtir les habits d’Evo Morales ou d’Hugo Chavez, dont il se réclame. Du coup, son mouvement apparaîtra certainement plus « citoyen » que « révolutionnaire », ce qui ne serait pas sans rappeler le précédent peu ragoûtant d’un autre ex-socialiste qui avait lui aussi tenté en son temps la scission : cette vieille ganache de Chevènement. Tout ça pour ça ?
Pourtant, force est de constater que cet ouvrage intitulé « Qu’ils s’en aillent tous ! » (mais pour aller où ?) se laisse lire, sa brièveté offrant même la possibilité d’en faire le tour rapidement en quelques séjours prolongés en lieu d’aisance. Et finalement, la lecture en est plutôt revigorante, malgré quelques flonflons de Mélenchon sur la « refondation républicaine » qui colleraient plutôt des boutons à ceux que les ors de la République rendent facilement bougons. Là encore, on serait tenté de dire : « Chevènement, sors de ce corps ! ». Le ressuscité de Belfort, en effet, avait lui aussi naguère fait le coup de la « refondation », fricotant un temps avec des exclus du PC (« refondateurs », eux aussi, naturellement) histoire de se positionner à la gauche du PS. Et lui aussi avait fait du souverainisme anti-européen son fond de commerce.
Mais revenons à notre Méluche. On passera sur son anti-américanisme tout de même pas loin d’être primaire et sur cette incitation ridicule faite aux Français à « être les meilleurs des meilleurs » (et pourquoi pas les meilleurs des meilleurs des meilleurs ?). On sourira de l’idée d’une annexion de la Wallonie par la France (et pourquoi pas le contraire ?). On s’étonnera de la hargne avec laquelle il vitupère contre le petit nombre de députés français au Parlement européen face au nombre de députés allemands (pourtant, ce nombre n’est-il pas proportionnel au nombre d’habitants qui est plus élevé en Allemagne qu’en France ?)…
Mais il faut aussi reconnaître que Mélenchon tape juste sur bien des points et propose des mesures authentiquement de gauche : partage des richesses, développement de coopératives, planification écologique… Il assène aussi des chiffres qui donnent le vertige, notamment lorsqu’il mesure en SMIC les salaires des PDG de multinationales. On apprend ainsi que « Carlos Ghosn, patron de Renault-Nissan, a empoché 770 ans de SMIC cette année soit 9,24 millions d’euros. Il a licencié 6000 personnes depuis 2008. » Ou encore : « Gérard Mestrallet a sûrement dû déplorer à chaudes larmes les 31% de pertes de GDF-Suez. Mais son salaire a quand même été augmenté du même pourcentage ». Si notre Hugo Chavez de l’Essonne ne va pas jusqu’à préconiser explicitement une re-nationalisation de ces entreprises, il propose tout de même de fixer un revenu maximum limité à 20 fois le revenu minimum. Sans être révolutionnaire, l’idée, qui vient des syndicats, est à la fois audacieuse et imparable.
Certes, les alternatifs, communistes, trostkystes, libertaires, et autres habitués de la radicalité révolutionnaire ne se contenteront pas si facilement des gesticulations d’un ancien bureaucrate du PS si rompu aux roueries électorales. Mais face à la chape de plomb qui pèse sur toute tentative d’insurrection, et dans les conditions objectives d’un présidentialisme verrouillé, on se plait à rêver qu’un homme de gauche, fût-il un Mélenchon, soit en mesure de conquérir le pouvoir, et de gouverner à gauche. Contester sans jamais chercher à conquérir le pouvoir ou conquérir le pouvoir par le centre pour finir à droite : tel était l’éternel dilemme de la gauche. Or le PG, renforcé par le Front de gauche et dirigé par un Mélenchon devenu charismatique, pourrait forcer le PS à lorgner sur sa gauche, voire, à terme, le déborder électoralement. Cut the crap ? Hmm… il n’est pas interdit de rêver.
Bibliographie :
Jean-Luc Mélenchon, Qu’ils s’en aillent tous !, Flammarion, 2010