Storytelling antimélenchoniste de trotskystes sourds comme LO

Contrairement au NPA, qui avait rejoint dignement (sur ses propres mots d’ordre) la marche citoyenne du 5 mai 2013 à Bastille, Lutte Ouvrière refuse systématiquement de militer aux côtés du Front de Gauche contre l’austérité et la dictature de la finance, pourtant imposées aux travailleurs (que LO prétend défendre) par la bourgeoisie (que LO prétend combattre). Au nom d’une stratégie présentée comme révolutionnaire (opposée au vilain réformisme), LO a donc choisi de rester en dehors de cet élan populaire de résistance inédit sous un gouvernement solférinien. C’est son droit, et fort heureusement, l’absence des forces militantes de LO n’a pas empêché la manifestation d’être un succès. Mais les attaques récurrentes du groupuscule trotskyste contre le Front de Gauche placent décidément les camarades de LO en position de tireurs dans le dos.

Nathalie Arthaud, la porte-parole de LO, a ainsi déclaré le 19 mai 2013, lors de la fête de son parti, que, une fois au gouvernement, « Jean-Luc Mélenchon serait une marionnette et un pantin comme les autres. Il ne pourrait rien faire face aux Mittal qui détiennent  le pouvoir… » Pourtant, le Front de Gauche avait exigé la nationalisation du site de Florange et Mélenchon n’avait pas eu de mots assez durs contre Mittal, affirmant qu’il n’était pas le bienvenu. Mais Nathalie Arthaud ne l’avait peut-être pas bien entendu. Un problème de surdité ? Il est vrai que pour LO, les mots de Mélenchon ne comptent pas, puisque « le mur de l’argent, la bourgeoisie et le grand patronat, ça ne se combat pas avec des mots ». Belle affirmation constituée de… 19 mots, 0 arme et 0 action concrète. Le 20 mars dernier, Jean-Luc Mélenchon était pourtant venu donner un coup de main aux grévistes de PSA à Aulnay. Il leur avait remis des chèques de soutien et avait pris la défense de Jean-Pierre Mercier, délégué CGT, attaqué par Montebourg pour son appartenance à LO. La camarade Arthaud n’a-t-elle pas discuté avec le camarade Mercier ? Ou bien est-elle vraiment sourde ?

Un autre membre de LO, qui n’est pas avare de « mots » sut Twitter sous le nom de @recriweb, expliquait aussi le 16 avril dernier sur son tumblr [edit : il ne faisait en fait que recopier une prose de LO dont il assure n’être pas lui-même l’auteur] :

« L’écœurement envers la politique de Hollande s’ajoute à la déception laissée par Mitterrand puis par Jospin. Tout cela contribue à la désorientation de la classe ouvrière et à la démoralisation de ses militants. »

Les manifestations de masse initiées par le Front de Gauche sont précisément de nature à enrayer cette « démoralisation », chaque démonstration de force réussie contribuant à remotiver les militants et à faire prendre conscience à la classe ouvrière de sa propre force. C’est en tout cas très clairement la stratégie prônée par Mélenchon. La marche du 5 mai, ainsi que les répliques à venir début juin, permettent aussi de réorienter l’écoeurement légitime envers la politique de Hollande vers un désir de résistance et de nouvelles revendications (comme celle d’une démocratie sociale dans le cadre d’une sixième République) plutôt que vers le désespoir et la démoralisation qui poussent à l’abstention ou au vote FN. Mais l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb ne voit rien de tout cela. Il s’en tient au storytelling véhiculé par les médias, nouveaux chiens de garde du capitalisme, brodant autour de l’histoire personnelle d’un Mélenchon qui serait le sombre héros d’une cynique guerre pour le pouvoir, digne des séries Dallas ou Game of thrones.

« Mélenchon avance de plus en plus un pied dans l’opposition, alors que le PCF, pensant à ses maires et à ses conseillers municipaux élus sur des listes d’union avec le PS, freine des deux pieds. »

Pour ceux qui n’auraient pas compris, le camarade @recriweb en remet une couche dans un autre article du 19 mai 2013 [edit : en fait, un copié/collé d’un article dont il affirme n’être pas non plus l’auteur] :

« La stratégie de Mélenchon est guidée par sa carrière. Il se pose en rival de Hollande et a intérêt à creuser, du haut de son verbe “cru et dru”, l’opposition avec la direction du PS. Le PCF, lui, tient à préserver les positions dans les niveaux intermédiaires de l’Etat (municipalités, conseils généraux, etc.) qu’il occupe, en général, en alliance avec le PS. La direction du PCF n’a pas envie de tirer les marrons du feu pour le seul Mélenchon. D’autant moins que ce sont ses militants qui font le gros du travail. »

L’auteur(e) du texte recopié par @recriweb, décidément adepte de la communication narrative, nous raconte là une histoire palpitante : celle d’une rivalité personnelle entre Hollande et Mélenchon. Je ne sais pas ce que notre camarade trotskyste penserait si ce procédé de storytelling était utilisé pour évoquer par exemple la « rivalité » entre Trotsky et Staline : apporterait-elle selon lui un éclairage suffisant pour analyser l’opposition idéologique entre ces deux personnages ? Le (ou la) camarade de LO est-il (ou elle) à ce point resté(e) sourd(e) à ce qui différencie politiquement Mélenchon de Hollande qu’il lui faille envisager celle-ci sous l’angle de la presse à sensations, avec un niveau d’analyse politique proche de zéro ? La vraie raison de leur opposition est que l’un, Hollande, défend de plus en plus ouvertement les intérêts des marchés, de la finance et de la bourgeoisie oligarchique, tandis que l’autre, Mélenchon, défend les intérêts du peuple, en s’appuyant sur les forces de la classe ouvrière conscientisée et de la petite bourgeoisie intellectuelle. Mais cette raison est inaudible pour l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb puisque, dans l’histoire qu’il (ou elle) nous raconte, Mélenchon s’est vu attribuer sans autre forme de procès le rôle de démagogue valet de la bourgeoisie.

Notre militant(e) de LO semble découvrir aussi que le PCF et le PG n’ont pas tout à fait le même passé, ni le même poids électoral, ni forcément les mêmes intérêts pour les prochaines élections municipales. Quel scoop ! Aurait-il (ou elle) un peu plus tendu l’oreille qu’il (ou elle) aurait entendu que le Front de Gauche n’est pas un parti ni une confédération mais un front composé de plusieurs partis et structures, ainsi d’ailleurs que d’électrons libres, rassemblés certes sur un programme et une stratégie, mais ayant aussi leurs propres intérêts.

A propos de la stratégie spécifique au PCF pour les municipales de 2014, l’analyse de l’auteur(e) du texte recopié par @reciweb ne s’élève pas, là non plus, au-dessus du storytelling médiatique de bas étage, et passe donc à côté de l’essentiel : si localement, le PCF a effectivement besoin de maintenir l’alliance avec le PS pour espérer sauver quelques sièges de maires et de conseillers municipaux, les militants communistes sont dans leur grande majorité partisans d’une opposition radicale à la politique d’austérité menée par Hollande, laquelle se répercute bien évidemment à l’échelle locale. L’auteur(e) du texte recopié par @recriweb le saurait s’il (ou elle) militait aux côtés des militants du PCF comme nous, militants du PG, le faisons au sein du Front de Gauche. Cela lui éviterait aussi de dire que les militants du PCF « font le gros du travail » : ils font leur part, ce qui est certes admirable, essentiel et indispensable, mais les militants du PG, particulièrement actifs (parmi lesquels beaucoup de jeunes), ainsi que ceux des autres composantes du Front de Gauche, mais aussi les non-encartés, ne sont pas en reste. Beaucoup de militants et même de cadres du PCF sont partisans de la constitution de listes autonomes du Front de Gauche aux municipales, et ceux-là même qui sont tentés par une alliance de circonstance avec le PS pour sauver les meubles localement savent aussi que leurs alliés solfériniens leur feront défaut à la première occasion. Nos camarades du PCF se souviennent par exemple comment le PS leur a planté des couteaux dans le dos en Seine-Saint-Denis et dans toutes les anciennes banlieues rouges, faisant tomber les uns après les autres les bastions communistes dans les années 1990 et 2000. Dans certaines municipalités, le choix du PCF pour les municipales est donc cornélien : perdre dignement avec le Front de Gauche des positions indispensables à la survie — notamment financière — du parti, mais aussi à la défense sur le plan local des travailleurs, ou sauver quelques sièges par une alliance contre-nature avec un PS méprisant et plombé par la politique antisociale du gouvernement. Personne à gauche ne devrait se gausser du dilemme dans lequel se retrouve le PCF. Le ton des responsables communistes à l’égard du gouvernement est donc moins cru et moins dru que celui de Mélenchon car, bien évidemment, ils ont beaucoup plus à perdre que le PG dans un affrontement brutal avec les Solfériniens. Pourquoi s’en étonner ? La position du PCF restera délicate tant qu’il aura encore des bastions à sauver et tant que le Front de Gauche n’aura pas ravi au parti solférinien le leadership à gauche. Si la bascule s’opère par exemple à la faveur des prochaines élections européennes, alors le PCF aura enfin plus à gagner qu’à perdre dans une opposition claire et nette au PS. Pour dire les choses autrement, nous vivons à la fois la continuation inexorable de la décomposition de la puissance municipale du PCF et l’essor nouveau d’un Front de Gauche qui n’a pas encore réussi à traduire sa force de proposition en conquêtes électorales. Mais une chose est sûre : le PCF n’a aucune chance de survivre durablement ni d’imposer une politique favorable aux travailleurs en s’alliant nationalement avec le PS ou en mettant fin brusquement au Front de Gauche. Pas question non plus de cautionner la politique austéritaire et antisociale du gouvernement actuel. Cela, les communistes le savent, et ils le disent, avec leurs propres mots, à qui veut l’entendre. Mais l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb, sourd(e) comme LO, ne veut sans doute pas l’entendre. Il préfère raconter, à l’unisson des nouveaux chiens de garde du capital, la torride histoire d’un « je t’aime moi non plus » entre le PCF et Mélenchon, traquant dans les propos des responsables communistes la moindre nuance ou différence de ton, sur des questions aussi essentielles que par exemple celle du « coup de balai » : l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb, dont la surdité semble sélective, a bien entendu par exemple que Pierre Laurent et d’autres cadres du PCF avaient tiqué sur cette expression, mais il n’a pas vu les nombreux militants communistes venus le 5 mai munis de balais. Dans son article du 19 mai, le (ou la) militant(e) de LO voit aussi dans l’appel du PCF à « un vaste débat populaire qui convergera le 16 juin vers des assises nationales pour une refondation sociale et démocratique de la République » un moyen de faire de la marche du 5 mai initiée par Mélenchon une « simple étape ». Dans ce roman psychologique, le PCF, vexé, s’emploierait donc à minimiser l’appel de Mélenchon… en l’amplifiant et en le prolongeant ! L’histoire racontée par les médiacrates et par l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb devient décidément une farce. Et pendant ce temps, LO ne voit pas que PCF comme PG, avec le Front de Gauche, s’emploient à susciter et à entretenir l’élan populaire sans lequel aucune remise en cause de l’ordre établi n’est possible.

Maîtrisant décidément aussi bien le Mélenchon-bashing qu’un éditocrate de la presse bourgeoise, LO aborde aussi dans l’article recopié par @recriweb le 19 mai un point censé être rédhibitoire : Mélenchon, qualifié en passant de « démagogue », serait prêt à « postuler » au poste de 1er ministre à la tête de la majorité actuelle dont il condamne pourtant la politique. Voilà qui le placerait au même rang de soumission à la bourgeoisie que le PCF dont l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb avait pourtant essayé de nous démontrer qu’il n’était pas d’accord avec Mélenchon. Le scénario de ce storytelling commence à être un peu embrouillé, comme souvent dans les séries qui se sont attachées à une idée mais qui ne savent plus trop comment broder autour après l’avoir usée jusqu’à la corde pendant plusieurs saisons. L’idée est de montrer que Mélenchon le démagogue serait en train d’entourlouper son monde par une « escroquerie » à grands coups « d’illusions ». Mais l’exemple donné tombe à plat. L’auteur(e) du texte recopié par @recriweb essaie de faire croire que Mélenchon dissimulerait une volonté de gouverner avec le PS pour poursuivre la même politique que celle qu’il dénonce aujourd’hui. C’est d’autant plus idiot que Mélenchon ne fait absolument aucun mystère de sa stratégie (il faut juste ne pas être sourd comme LO pour l’entendre) : il veut provoquer une recomposition de la majorité élue en 2012 en poussant l’aile gauche du PS et EELV à basculer dans une opposition ouverte à la politique austéritaire et antisociale qui entretient et aggrave la crise. Alors une majorité alternative serait possible avec le Front de Gauche, et pourrait sans attendre 2017 rompre avec la politique libérale de Hollande, qui n’aurait du coup d’autre choix que de cohabiter avec la gauche anti-austéritaire ou de dissoudre l’Assemblée nationale. Le 5 mai, Eva Joly et quelques militants écologistes ont fait un premier pas. Aucun cadre du PS n’en a pour l’instant eu le courage, ce qui ne veut pas dire que tous acceptent de bon gré la politique actuelle. Il se trouve juste que beaucoup d’entre eux sont des bureaucrates que le parti solférinien fait vivre et que d’autres gardent l’espoir que leur parti, une fois la croissance revenue (ce qui n’arrivera pas) reprendra une politique de gauche (ce qui n’arrivera pas non plus). Mais l’aggravation de la situation sociale (annoncée de longue date par Mélenchon) et la dissipation des illusions à propos de Hollande pourraient malgré tout en pousser certains à basculer dans les mois qui viennent, surtout après une éventuelle déroute électorale du PS en 2014.

Dans l’article recopié le 16 avril par @recriweb, on pouvait lire aussi :

« En se plaçant de plus en plus dans l’opposition par rapport à Hollande et au gouvernement socialiste, Mélenchon espère profiter du discrédit du PS. Ce en quoi il se trompe probablement. Dans le contexte de recul réactionnaire de la vie politique, c’est le FN surtout qui tire profit de ce discrédit. Plus, en tout cas, que le Parti de gauche. »

On ne peut évidemment que constater (et déplorer) que le FN « profite » plus, électoralement, du discrédit du PS que le PG (et que LO aussi, soit dit en passant). C’est tout simplement que le FN existe depuis plus de 40 ans alors que le Parti de Gauche existe depuis à peine plus de 4 ans. En se contentant d’énoncer ce fait, l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb ne fait que relayer la célébration du « succès » du FN par les médias, ce qui participe à sa dédiabolisation (le storytelling jouant à plein aussi en faveur de Marine Lepen, présentée systématiquement comme moins extrémiste que son père et comme plus proche du peuple — ce qui n’est évidemment qu’une fiction — tandis que Mélenchon, lui, est systématiquement présenté comme un extrémiste « tonitruant »). L’extrême droitisation de la vie politique française a pourtant été analysée par Mélenchon depuis fort longtemps, et c’est donc en toute cohérence que le PG, avec l’ensemble du Front de Gauche, combat l’assignation médiatique de l’électorat populaire au vote FN. Si la progression du FN est restée modeste par rapport à son précédent pic de 2002, celle du Front de Gauche depuis sa création en 2009 est spectaculaire. L’auteur(e) du texte recopié par @recriweb, toujours sourd(e) comme LO, n’en a-t-il donc pas entendu parler ? Certes, cela n’a pas suffi à devancer le FN en 2012, mais le combat continue.

« Utiliser un langage pseudo-radical, en outre teinté de nationalisme antiallemand, ou brandir l’idée d’une sixième République, ne suffit pas pour lui attirer la sympathie des classes populaires. D’autant moins que Mélenchon comme le Front de gauche dans son ensemble, PCF compris, ont contribué à apporter du crédit à Hollande et ont participé à son élection. »

Je ne vois pas en quoi le langage de Mélenchon serait plus « pseudo-radical » que celui de LO qui prône textuellement la révolution sans jamais brandir les armes pour la faire mais qui ne s’associe même pas aux mouvements de masse sans lesquels une révolution ne peut commencer.

Je ne vois pas en quoi la critique de la politique de Merkel faite par Mélenchon serait « teintée de nationalisme antiallemand ». L’auteur(e) du texte recopié par @recriweb ne sait-il (ou elle) donc pas que le Parti de Gauche, qui est internationaliste, s’est inspiré lors de sa création du parti allemand Die Linke ? N’a-t-il pas entendu parler de la déclaration commune d’Oskar Lafontaine et de Jean-Luc Mélenchon le 20 novembre 2012 ? Sourd(e) comme LO, il (ou elle) sombre décidément dans le Mélenchon-bashing très en vogue dans les médias bourgeois et dans les cercles solfériniens. Si préférer Oskar Lafontaine à Angela Merkel est antiallemand, alors les Allemands de gauche sont antiallemands. Cette attaque est imbécile et ridicule.

Je ne vois pas en quoi les classes populaires n’auraient aucune « sympathie » pour l’idée de Sixième République. La réussite de la marche du 5 mai, qui a réuni plusieurs milliers de personnes (bien au-delà des 30000 bizarrement annoncées par la préfecture sur ordre de Valls, et bien au-delà aussi du nombre de participants à la fête de LO), y compris de nombreux syndicalistes en lutte (comme les Fralib), est la preuve cinglante du contraire. A moins que LO ne considère que ces derniers ne font pas partie de la classe ouvrière ? Bien sûr, ce n’est pas encore 1936 ou 1968, mais la mobilisation du 5 mai et l’accueil reçu par les militants du Front de Gauche lors des tractages durant les jours qui ont précédé montrent qu’il y a bel et bien un élan de sympathie pour cette idée pourtant compliquée (donc anti-démagogique) de Sixième République.

Enfin, je ne vois pas en quoi faire battre Sarkozy et obliger Hollande à gauchir son discours pour l’emporter de justesse en 2012 auraient contribué à apporter du « crédit » à ce dernier. Il avait la possibilité de s’appuyer sur les 4 millions de voix du Front de Gauche pour tenter une politique au moins sociale-démocrate. Au contraire, il perpétue délibérément la même politique que Sarkozy sans même pouvoir s’abriter derrière le prétexte d’un rapport de force défavorable. De son côté, les responsables du Front de Gauche, y compris du PCF, ont fait mentir le storytelling des médiacrates qui prévoyaient un ralliement au gouvernement solférinien et ont continué à en contester la politique antisociale.

« Ni Mélenchon ni le PCF n’ont cherché à éclairer l’électorat populaire. Ils n’ont pas voulu dire que c’est le grand patronat, les puissances de l’argent qui sont les maîtres de cette société et que les hommes politiques, si haut placés qu’ils soient, ne peuvent pas mener une autre politique que celle ordonnée par les maîtres. Ils n’ont pas voulu dissiper l’illusion qu’un changement à la tête de l’État, ou une autre majorité, pouvait changer le rapport de force entre le grand patronat et la classe ouvrière.

Mélenchon ne l’a pas dit, et ne pouvait pas le dire, parce que tout son jeu politique consiste à offrir ses services à la classe dominante avec comme argument de vente qu’il peut prendre le relais d’un Hollande discrédité pour continuer, avec plus d’efficacité, à entretenir les mêmes illusions. »

L’auteur(e) du texte recopié par @recriweb profère là un mensonge pur et simple, ne reculant devant aucune calomnie (Mélenchon accusé sans l’ombre d’un argument « d’offrir ses services à la classe dominante »). Le Front de Gauche n’a eu de cesse, depuis sa création, de former des assemblées citoyennes, de promouvoir l’éducation populaire. Pas un discours, pas un texte, qui ne dénonce l’oligarchie du grand patronat et des puissances de l’argent. Pour changer le rapport de force entre le grand patronat et la classe ouvrière, il faut une forte mobilisation des travailleurs et une vraie démocratie sociale, au sein même de l’entreprise, dans le cadre d’une Sixième République vraiment égalitaire. C’est ce que ne cessent de répéter les représentants du Front de Gauche. Il faut vraiment être sourd comme LO pour ne pas l’avoir entendu.

« Et ce n’est pas faire un procès d’intention à l’homme, bien que sa carrière politique d’ancien ministre témoigne de son véritable engagement. A-t-il pu changer ? Mais, même dans ses propos d’opposition les plus tonitruants, il ne met jamais en question le système capitaliste, il ne met jamais en cause l’ordre social basé sur l’exploitation. »

L’accusation de l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb sur la carrière d’ancien ministre de Mélenchon est grotesque. Celui-ci a été durant deux ans ministre de l’enseignement professionnel, de 2000 à 2002. Quelle mesure du ministre Mélenchon en faveur des lycées professionnels a-t-elle donc été contraire aux intérêts des travailleurs ? En évoquant des propos « tonitruants », l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb répète encore comme un perroquet les éléments de langage de la presse capitaliste. C’est peut-être pourquoi il (ou elle) n’a jamais réussi à entendre Mélenchon remettre en question le système capitaliste ni l’ordre social basé sur l’exploitation. Il (ou elle) n’a donc pas entendu que Mélenchon, candidat soutenu notamment par la fraction du NPA appelée Gauche Anticapitaliste, avait prôné la planification écologique, la nationalisation de certains grands groupes, la reprise d’entreprises par les travailleurs sous forme de coopératives… Il (ou elle) n’a pas entendu non plus que la plateforme adoptée lors du dernier congrès du PG mentionnait que « le capitalisme porte en lui l’oligarchie, c’est-à-dire le pouvoir d’un petit nombre sur tous les autres », et que, face au capitalisme, « la bifurcation qu’il faut opérer avec le modèle de développement actuel implique un changement des normes dominantes de la société, une transformation des rapports de propriété, une refondation des institutions visant l’exercice effectif de la souveraineté par le peuple. Il s’agit donc d’une révolution ». Cela, non, le (ou la) camarade de LO n’a pas dû l’entendre.

Sourd comme LO, décidément.

Ralliements

Le Comité Périphérique clandestin de Cut the crap avait été très ferme : « Camarade Stal, c’est toi qui vas te charger de la propagande pseudo-virale sur les réseaux antisociaux à la con. Que ni dieu ni maître ne soit avec toi ! ». Ils sont un peu à cheval sur les principes, faut dire, au Comité. C’est pour ça qu’ils me sucrent toujours ma particule quand ils s’adressent à moi. Parce que mon nom, c’est plutôt « de Stal », du fait que par féminisme j’ai pris le nom de famille de ma femme Germaine, et mon prénom c’est Pierre-Joseph, proudhonnement. Il est vrai qu’il ne devrait plus y avoir ni particule ni noblesse depuis l’abolition des privilèges le 4 août 1789. Faudrait en glisser deux mots aussi à la clique bling bling qui se goberge aujourd’hui sur le dos du peuple et dont les privilèges ne sont pas moins indécents que ceux des aristos d’antan. Les prochaines nuits du 4 août répareront peut-être cet oubli ?

Bref, je fus missionné pour faire de l’agitprop communiste libertaire pro-situ féministe sur cette saloperie de Toile à neuneus qu’est devenu internet, prêt à bouffer comme il se doit du facho, du curé, du beauf, du caubère, du patron, du bourgeois, du militaire, de l’énarque, du petit président… mais aussi du socialiste de droite, du social-libéral, du réformiste timide, du stalinien pépère, du trostkyste borné, du gauchiste de salon, de l’écolo verdâtre, du syndicaliste bureaucrate…

Mais au fil de mes pérégrinations sur internet, j’ai surtout rencontré des anarchistes de droite, de ceux qui sont revenus de tout sans jamais être allés nulle part, purs produits de l’esprit dépressif hérité des années 80 (cette décennie* qui ordonna à chacun : « sois un individu » pour mieux interdire au peuple d’être une force collective). Pourtant, dans cet océan d’impuissance aigrie, l’écho d’un nom s’est peu à peu propagé, surfant sur le tumulte du chaos social et ranimant ça et là des espoirs politiques inattendus : Mélenchon !

Ouais, j’entends d’ici les rires…

Ça va, c’est bon, vous pouvez reprendre votre respiration.

C’est vrai que de prime abord, c’est pas évident. Moi même, j’ai comme un vertige de me voir faire ainsi l’apologie d’un Républicain tsoin tsoin, ancien trotskyste, mitterrandiste réformiste, légaliste, ancien ministre, ancien sénateur, ancien apparatchik du PS, adoubé aujourd’hui par un parti communiste en ruine pour une candidature médiatique à une élection piège à cons qui se déroulera dans le cadre d’une République qui était déjà monarchique mais qui est devenue carrément bananière sous le règne du petit Zébulon vulgaire élu en 2007.

Oui mais. Mélenchon a l’éloquence cadencée et il manie la dialectique avec une gouaille rafraîchissante. Il a eu le cran de claquer la porte du PS (à voir dans la série vidéo « Monsieur Mélenchon« ), a apporté un soutien constant aux luttes sociales au sein desquelles les hiérarques socialistes brillaient par leur absence, et a fait preuve d’une réjouissante virulence contre le pouvoir de la finance et contre la bêtise des media… A cela je ne suis pas insensible. Déjà en son temps la création du NPA avait suscité mon intérêt, bien que je n’aie jamais été séduit par les manoeuvres trostkystes : enfin un mouvement se dessinait qui semblait vouloir fédérer différentes composantes de la gauche non libérale et qui pouvait donner un poids politique à la contestation sociale. Mais le NPA a fait flop. Et c’est bien le Front de Gauche qui réussit à présent avec le Parti de Gauche de Mélenchon, mais aussi avec le PCF et d’autres composantes (issues notamment de scissions du NPA ou de la LCR), à créer une force anti-capitaliste et altermondialiste liée au mouvement social et pouvant peser électoralement. Pour qui vient comme moi de l’anarchisme ou de l’extrême-gauche, les partis électoralistes sentent le soufre, mais de même que les élections n’ont aucun intérêt sans lutte sociale, le mouvement social se condamne aujourd’hui à l’impuissance s’il refuse de se servir du levier électoral. L’échec des luttes de ses dernières années malgré de très fortes mobilisations en a donné la preuve. Il vaut mieux laisser la stratégie de la tension à la droite : ceux qui pensent que seul le pire peut entraîner une vraie réaction populaire causeront certes le pire, mais plus personne ne sera ensuite en mesure de réagir. Cela n’en vaut pas La Pen.

C’est une vraie prouesse de la part de Mélenchon que d’avoir réussi à unir des communistes (qui comptent toujours en leur sein un bon paquet de bureaucrates staliniens), des trotskystes, des altermondialistes, des écologistes et des socialistes de gauche, pour créer un nouvel élan militant et obtenir aux dernières élections des scores plus élevés que ceux de l’extrême-gauche traditionnelle. Le grand Soir n’est pas au bout du vote, bien sûr, mais la possibilité de mettre enfin un terme à la casse nationale-sarkozyste n’est pas à négliger. Le programme défendu par la candidature de Mélenchon est un vrai programme de rupture. Il peut bénéficier de l’enracinement du PCF, des relais syndicaux de celui-ci mais aussi des trostkystes, de la radicalité et du foisonnement des groupes et associations engagés dans les luttes sociales et culturelles, de l’apport d’intellectuels critiques… Un bon score électoral obligerait le vainqueur, quel qu’il ou elle soit en 2012, à en tenir compte, ce qui conférerait une nouvelle dynamique aux luttes sociales.

Oui, j’ai fait partie des milliers de personnes qui ont vibré lors du discours de Mélenchon place Stalingrad en entendant son appel à « l’insurrection civique » : « il est fini, le temps de l’éparpillement et de l’impuissance ! (…) ; nous ne sommes pas réunis pour célébrer un candidat, mais notre force collective  (…) ; la saison des tempêtes est revenue dans l’histoire (…) ; il faut changer le régime de la propriété dans ce qui concerne les biens communs d’intérêt général »… Et la référence aux « Robins des bois » qui rétablissent l’électricité à ceux à qui EDF l’avait coupée, à la lutte des « Conti », l’emploi des mots « anticapitaliste », « communiste », et même « libertaire » (!) à côté des plus convenus « républicain », « socialiste », ou « écologiste », voilà qui dénote d’un syncrétisme de gauche assez inhabituel, et en tout cas inédit ces dernières années devant une audience aussi nombreuse.

Et du coup, le Comité Périphérique clandestin de Cut the crap, craignant que je ne succombe au culte de la personnalité, a décidé de lancer un appel solennel aux contributions afin de brider un peu mon enthousiasme. Notre blog doit donc s’ouvrir à de nouveaux rédacteurs (on acceptera aussi les dessinateurs, photographes, musiciens, graveurs sur bois, armuriers, ou sculpteurs de statues du chef…), même s’ils n’ont pas encore succombé à la fièvre mélenchoniste. Il suffit pour cela de nous contacter ici-même (ou via Facebook et Twitter) pour proposer vos idées et contributions.

* Voir François Cusset, La Décennie, éd. La Découverte, 2006.

Méluche présiduche

Mélenchon : pas vraiment un nom de vainqueur. Confusion possible pour le public non-averti avec le Jean-Paul Huchon qui a fait du conseil régional d’Ile-de-France son gros polochon.

Ex-trotskard de l’OCI, Jean-Luc Mélenchon a fait carrière au sein du PS, et fut longtemps conseiller général et sénateur, ce qui fait tout de même plus rad-soc de la IIIe République que bolchevik au couteau entre les dents. Et pourtant, il ose, le Jean-Luc : campagne pour le « non » au referendum de 2005, scission avec le PS pour former un nouveau parti, le Parti de Gauche, en 2009 (certes, il ne s’est pas foulé pour le nom, qu’il a piqué au parti allemand Die Linke), attaques gonflées contre la médiocrité journalistique (voir la scène du nouveau film de Pierre Carles, Fin de concession, dans laquelle notre Méluche se paie la tronche de l’inepte David Pujadas)…

Avec le Front de Gauche, il a réalisé l’exploit de vampiriser les dernières forces du cadavérique PC français, se permettant même le luxe de griller la vedette au NPA de Besancenot lors des derniers scrutins (élections européennes et régionales de 2009 et 2010). Déjà vieux routier de la politique, il a su devenir un bon « client » des télés et radios, grâce à ses qualités d’orateur, sans doute, mais peut-être aussi en cultivant un côté grognon qui laisse espérer aux journaleux la petite phrase truculente, la provoc bien sentie, voire le dérapage bien beauf susceptibles de faire grimper l’audience. De quoi donner le frisson à des media qui rêvent sans doute un peu perversement, aussi, de se faire martyriser par le ronchon Mélenchon.

Peut-être grisé par son nouveau statut d’icône populiste auprès des media valets de l’ordre national-sarkozyste, Jean-Luc Mélenchon a sorti en 2010 un de ces bouquins que tout politicien ambitieux se doit d’écrire ou de faire écrire pour alimenter le « buzz » (comme disent les crétins), c’est-à-dire pour exister médiatiquement. Le tribun du Parti de Gauche y prône une « révolution citoyenne ». Aïe ! Accoler deux termes aussi galvaudés, dévoyés, salis, usés, abîmés, vidés que ces deux-là pour former un nouveau slogan politique ne présage rien de folichon, même recyclés par Mélenchon chonchon. Et l’on imagine plus facilement notre Jean-Luc national animer des fins de banquet en Essonne que revêtir les habits d’Evo Morales ou d’Hugo Chavez, dont il se réclame. Du coup, son mouvement apparaîtra certainement plus « citoyen » que « révolutionnaire », ce qui ne serait pas sans rappeler le précédent peu ragoûtant d’un autre ex-socialiste qui avait lui aussi tenté en son temps la scission : cette vieille ganache de Chevènement. Tout ça pour ça ?

Pourtant, force est de constater que cet ouvrage intitulé « Qu’ils s’en aillent tous ! » (mais pour aller où ?) se laisse lire, sa brièveté offrant même la possibilité d’en faire le tour rapidement en quelques séjours prolongés en lieu d’aisance. Et finalement, la lecture en est plutôt revigorante, malgré quelques flonflons de Mélenchon sur la « refondation républicaine » qui colleraient plutôt des boutons à ceux que les ors de la République rendent facilement bougons. Là encore, on serait tenté de dire : « Chevènement, sors de ce corps ! ». Le ressuscité de Belfort, en effet, avait lui aussi naguère fait le coup de la « refondation », fricotant un temps avec des exclus du PC (« refondateurs », eux aussi, naturellement) histoire de se positionner à la gauche du PS. Et lui aussi avait fait du souverainisme anti-européen son fond de commerce.

Mais revenons à notre Méluche. On passera sur son anti-américanisme tout de même pas loin d’être primaire et sur cette incitation ridicule faite aux Français à « être les meilleurs des meilleurs » (et pourquoi pas les meilleurs des meilleurs des meilleurs ?). On sourira de l’idée d’une annexion de la Wallonie par la France (et pourquoi pas le contraire ?). On s’étonnera de la hargne avec laquelle il vitupère contre le petit nombre de députés français au Parlement européen face au nombre de députés allemands (pourtant, ce nombre n’est-il pas proportionnel au nombre d’habitants qui est plus élevé en Allemagne qu’en France ?)…

Mais il faut aussi reconnaître que Mélenchon tape juste sur bien des points et propose des mesures authentiquement de gauche : partage des richesses, développement de coopératives, planification écologique… Il assène aussi des chiffres qui donnent le vertige, notamment lorsqu’il mesure en SMIC les salaires des PDG de multinationales. On apprend ainsi que « Carlos Ghosn, patron de Renault-Nissan, a empoché 770 ans de SMIC cette année soit 9,24 millions d’euros. Il a licencié 6000 personnes depuis 2008. » Ou encore : « Gérard Mestrallet a sûrement dû déplorer à chaudes larmes les 31% de pertes de GDF-Suez. Mais son salaire a quand même été augmenté du même pourcentage ». Si notre Hugo Chavez de l’Essonne ne va pas jusqu’à préconiser explicitement une re-nationalisation de ces entreprises, il propose tout de même de fixer un revenu maximum limité à 20 fois le revenu minimum. Sans être révolutionnaire, l’idée, qui vient des syndicats, est à la fois audacieuse et imparable.

Certes, les alternatifs, communistes, trostkystes, libertaires, et autres habitués de la radicalité révolutionnaire ne se contenteront pas si facilement des gesticulations d’un ancien bureaucrate du PS si rompu aux roueries électorales. Mais face à la chape de plomb qui pèse sur toute tentative d’insurrection, et dans les conditions objectives d’un présidentialisme verrouillé, on se plait à rêver qu’un homme de gauche, fût-il un Mélenchon, soit en mesure de conquérir le pouvoir, et de gouverner à gauche. Contester sans jamais chercher à conquérir le pouvoir ou conquérir le pouvoir par le centre pour finir à droite : tel était l’éternel dilemme de la gauche. Or le PG, renforcé par le Front de gauche et dirigé par un Mélenchon devenu charismatique, pourrait forcer le PS à lorgner sur sa gauche, voire, à terme, le déborder électoralement. Cut the crap ? Hmm… il n’est pas interdit de rêver.

Bibliographie :

Jean-Luc Mélenchon, Qu’ils s’en aillent tous !, Flammarion, 2010Qu'ils s'en aillent tous !

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