“Si l’on s’accorde à dire que la notion de peuple circule principalement entre trois pôles principaux : le dèmos, qui entend le peuple dans un sens d’abord juridique et électoral ; l’ethnos, qui considère le peuple comme le socle d’une communauté et d’une identité, et la plebs, qui définit le peuple dans un sens social, le soulèvement des gilets jaunes vient rappeler qu’il existe une autre configuration possible que le face-à-face mortifère entre des démocraties représentatives qui ne le sont plus et des thuriféraires d’un peuple exclusif, voire homogène.
Face au dèmos et à l’ethnos, le terme de plebs dessine une idée du peuple en tant qu’il se situe dans une situation de domination et qu’il menace toujours de déborder, d’excéder un cadre politique dont il est à la fois le centre abstrait et le relégué fréquent. C’est ce peuple qui, en tant qu’il constitue une notion dynamique, demeure le sujet inévitable d’une démocratie qu’on ne réduirait pas à son formalisme institutionnel et dont on ne gommerait pas la dimension conflictuelle. C’est cette idée d’un peuple qui ne serait jamais identique à ce qu’on veut y voir, qu’il s’agisse d’une population électorale ou d’un fantasme identitaire, voire même d’une foule révolutionnaire, que celles et ceux qui veulent disqualifier les gilets jaunes, au motif de la violence, de l’ombre de l’extrême droite ou des dangers bien réels qui pèsent sur la démocratie représentative, ne peuvent aujourd’hui rejeter.
Joseph Confavreux, «Gilets jaunes»:
la querelle des interprétations, Médiapart, 18 janvier 2019.