Paroles :
Jour après jour
On fait tout pour
Oublier
Qu'on vieillit
Oublier
Qu'on vieillit
Nuit après nuit
La nuit raccourcit
Et s'allonge
L'ennui
Et s'allonge
L'ennui
Nous sommes en 2024. Comme deux ans plus tôt (voir Situation n°6), l’ordinateur que tu utilises pour enregistrer, arranger et mixer ta musique est en rade. Un sosie de Richard Stallman avait pourtant remplacé (après avoir essayé en vain de le réparer) ton défunt Power Mac G5 de 2005 par un superbe Mac Pro bien plus moderne, puisque datant de… 2009, excusez du peu. Mais voilà, après deux ans de bons et loyaux services, l’antiquité de luxe clignote au démarrage, et puis… plus rien. Comme il n’est pas dans tes moyens d’acquérir une bécane neuve (sans compter les logiciels et carte son), il va te falloir retourner vers le bidouilleur barbu, ce qui risque de prendre un certain temps…
Heureusement, avant le plantage, tu venais juste de terminer le mixage de “Jour après jour”. La ligne de basse vient d’une impro en répèt avec Crème Brûlée en décembre 20O7, période où le groupe venait juste de se reconstituer avec Alessandro V et Stéphane P, et où tu prenais parfois la basse en attendant d’avoir à nouveau un vrai bassiste dans le groupe. Cette ligne t’avait aussi servi sur scène en 2008, à La Condition Publique de Roubaix, à improviser un interlude avec le batteur de w[n]e, pendant que Loran, le guitariste (voir Situation N°10), changeait une corde de sa guitare cassée au beau milieu du concert.
Par la suite, tu avais écrit des paroles, ironisant sur le temps qui passe et le vieillissement, comme à peu près tout ce que tu écrivais à l’époque pour Crème Brûlée, au grand désespoir des copains que l’approche de la quarantaine ne faisait pas trop rire. Tu te poiles encore en repensant aux titres de la demo que vous aviez enregistrée en 2009 et que tu avais intitulée “Même pas morts” : en dehors de l’instrumental “Spaghetti”, tous les autres morceaux (“Plutôt vieux que morts”, “Nous ne vieillirons plus ensemble”, “Aloha”, “Mais 68…”, “La retraite aux flambeaux”) ne parlaient que d’âge, de mort, de vieillissement, de flétrissement, de décrépitude, de retraite…
“Jour après jour” aurait donc eu tout à fait sa place dans cette série, même si tu ne savais pas encore à ce moment là à quel point le deuxième couplet pourrait illustrer la future ménopause de ta compagne, sujet dont la société patriarcale ne veut surtout pas entendre parler (comme à peu près tout ce qui touche la vie réelle des femmes, d’ailleurs). Mais après l’enthousiasme du retour sur scène et de l’enregistrement d’une demo, l’énergie du groupe s’était vite émoussée et tu n’avais pas eu l’occasion de proposer de faire quelque chose de ce morceau.
Ce n’est finalement qu’en 2023 que tu t’es décidé à en enregistrer toi-même une version. Avec une pédale Electro Harmonix Ravish Sitar, tu as donné un son oriental à ta guitare pour accentuer le côté psychédélique, utilisant également un banjoline (banjo mandoline) sonnant ici un peu comme un luth. Ce n’est qu’une fois l’arrangement terminé, en 2024, que tu te rends compte que cette ligne de basse ressemble un peu à celle de “Taxman” des Beatles. Le son de sitar n’était-il qu’un hommage inconscient à George Harrison ?
Au moment de publier ce titre, tu sens à quel point tu es en décalage avec une époque qui ne jure que par le jeunisme (bien que le pouvoir reste l’apanage de vieux hommes blancs), où la ménopause reste un tabou, où la chirurgie esthétique est devenue une norme dans les élites, où la retraite est sans cesse repoussée, où le culte de la performance s’impose jusque dans la fonction publique… Cela te donne une idée : et si tu écrivais une chanson sur l’arthrose ?