Nous sommes en 2006. Tu publies ta première contribution à une « orgie sonore » de MCP (c’est-à-dire Mon Cul Prod, mais aussi Ma Courge Prolifique, Monstrueux Cerveaux Polymorphes, Mange Ces Pissenlits, Mon Caniche Propre, ou encore Mega Caca Popo…) : « Bollywood Chewing-gum », produit à partir de « Shankar : Biture à Bénarès » de Geoffroy, qui donnera lieu notamment à deux dérivations :
— « String Bouddha », par maniaxmemori
— « Ravi Shankar en Ecosse », par Solcarlus
MCP est un collectif qui se présente ainsi : « Marre d’avaler du Mac Do par les oreilles ? Affligé par la beauté de la pub ? Fini de consommer, bienvenue à la maison où rien n’est à vendre. (…) Si vous êtes PDG d’une multinationale en bonne santé, comme Universal Music par exemple, vous pouvez faire un geste en mettant à notre disposition de l’espace disque. Nous acceptons aussi les propositions des sombres individus sans intérêt. »
C’est sur les plateformes de musique libre comme Dogmazic, Jamendo ou BnFlower que tu as rencontré la plupart des membres de MCP. Tu as vite compris que si Dogmazic, anciennement « musique-libre.org », est resté fidèle à l’esprit subversif des débuts, les autres sont des start-ups opportunistes qui misent sur l’esprit de partage et de coopération du mouvement pour se placer sur un marché de niche et vendre de la musique au mètre à des marchands de moquette. C’est ce qu’ont compris aussi les membres de MCP et c’est ainsi que vous vous êtes retrouvés à batailler conjointement sur les forums contre les tartuffes profiteurs et leurs suiveurs béats. Te voici donc introduit en ce lieu un tantinet dandy dont tu apprécies d’emblée la créativité, l’humour et l’arrogance qui te rappellent à la fois l’esprit punk et les Situationnistes. Il y a là Dogbreath (alias Loran), anar truculant également guitariste nourri de Zappa, Pola.k, chanteuse ch’ti rebelle et néanmoins fine connaisseuse du monde de la comm (après un bœuf « In Real Life », tu te retrouveras quelques mois plus tard brièvement bassiste de leur groupe [wne]), Brain Damage, chanteur punk psychédélique (alias Roland C Wagner, plus connu comme auteur de romans de science-fiction), Solcarlus (alias Manu), génial touche-à-tout électro-satiesque jazzy, Maya de Luna, à la voix cristalline (que tu retrouveras pour des collaborations à distance avec Mankind concept), Alexis, guitariste déjanté proclamant faire du rock culinaire et forestier, Geoffroy, à la voix qu’on croirait sortie du « On the road again » de Canned Heat, et qui conclut tous ses messages même les plus cinglants par « amicalement », Le Religionnaire, bassiste groovy et néanmoins de droite, jackf, photographe talentueux qui possède aussi une trompette et fait parfois des pouets dedans, maniaxmemori, bidouilleur de sons hip hop, sam et tbls, duo de chanson française et néanmoins esprits mordants et sophistiqués, morgan.rtz, inclassable inclassé, et tant d’autres passés plus ou moins brièvement, qui seront rejoints plus tard par Mankind (alias Chris Thomas), ton futur compère de DIY-AD(d).
MCP, c’est un forum où on se marre bien, mais c’est aussi des « orgies sonores » (il y a aussi des orgies textuelles ou graphiques, d’ailleurs), dont voici les règles :
« Les orgies sont ouvertes à tous, pas d’inscription, pas de tests médicaux…
Première étape: quelqu’un propose une orgie. Il poste un fichier audio simple (un instrument, une compo, un son …) ou un texte. Il donne quelques renseignements techniques ou artistiques (vitesse, accords, partition, coefficient de marée…). Cette participation est appelée ECHANTILLON DE RANG 1.
Deuxième étape: chaque participant peut poster une création basée sur l’ECHANTILLON DE RANG 1 (instrument, voix ou texte). C’est un ECHANTILLON DE RANG 2. Il peut y avoir plusieurs ECHANTILLONS DE RANG 2.
Etapes suivantes: chaque participant peut poster une création basée sur l’ECHANTILLON de son choix (quel que soit son rang).
Ainsi devrait se former un arbre aux ramifications illimitées. (…)
A vous la gloire! »
Il est aussi précisé que :
« MCP est un espace de création collective. En participant aux orgies, vous acceptez donc le fait que d’autres membres puissent se servir de votre contribution comme base d’une nouvelle participation sur MCP (et sur MCP exclusivement), et ce, quelle que soit la façon dont on ait pu modifier, compléter, transformer, distordre ou déstructurer votre apport. Vous ne pourrez, en aucun cas, demander le retrait, la suppression ou la modification de la participation d’un autre artiste basée sur une de vos contributions, sous prétexte que celle-ci déforme votre vision, heurte votre bon-goût légendaire ou simplement parce que vous n’aimez pas la tête de truite du participant. »
ll est encore indiqué qu’il y a des « MANŒUVRES COMPLÈTEMENT PROHIBÉES » :
« Bien qu’elles ne soient pas illégales en soi, les manœuvres décrites ci-dessous témoignent d’un manque de savoir-vivre et d’un égo démesuré. Outre les foudres des co-auteurs, elles peuvent donc entraîner, quand elles sont délibérées et non excusées, le banissement du site, un coup de cabillaud sur la tronche ou, pire, une attaque de mouettes diarrhéiques. Citons notamment :
• Le fait de laisser entendre qu’une œuvre issue des orgies MCP a été créée sous l’égide ou sous la direction artistique d’un seul artiste (par exemple “Dans mon nouvel album, j’ai réuni autour de moi des talents de tous horizons qui composent un univers varié …” ou “merci aux artistes qui ont participé à mon projet”)
• Le fait de modifier une œuvre MCP et “d’oublier” de poster les modifications sur MCP avant de les éditer sur son blog ou ailleurs : c’est profiter d’une collaboration sans vouloir s’y mouiller… »
Enthousiasmé par la démarche, tu parcours donc les orgies sonores déjà existantes, et dont il faut bien dire que beaucoup forment un gros n’importe nawak inaudible, plus intéressant par les commentaires amusants des auteurs et des auditeurs que par la « musique » elle-même. Une des orgies les plus récentes s’intitule « Shankar : Biture à Bénarès ». Voici comment Geoffroy, son initiateur, la présente : « un joli thème de l’inde méridionale joué sur sitar désaccordé. Bon courage à qui aura le courage. »
Plusieurs membres ont essayé de faire quelque chose de ce sitar désaccordé. Morgan.rtz présente ainsi sa contribution : « Tous vos sons calés en Mib# e12 au millimètre du moment ça me prend trop de temps de cerveau. Alors voilà faisait longtemps tiens… je prends l’orgie en otage, et comme d’hab dans ces cas-là, je ne parle qu’en présence de mon avocat » (et donc sa contribution ne contient rigoureusement aucun son d’origine).
Alexis s’y est collé aussi : « J’ai recoupé un peu et puis essayé de jouer du doigt sur une espèce de percussion, histoire de mettre un rythme, je ne sais si c’est laid ou non. Sinon j’ai tenté une imitation de Pouyou en règle sur ce titre, en vain. La ferme s’est emparée de moi, Pouyou est loin très loin. Adieu Pouyou je t’aimais. Mon ami. Mon chat a miaulé à la fin, sinon. Je peux fournir le .wav à qui le souhaite. »
Dans une orgie de rang 3, Geoffroy renchérit sur Alexis avec des vocalises qu’on peut supposer avinées, expliquant : « Fallait pas me chauffer. »
Braindamage s’y est essayé aussi, avec ce constat : « J’ai repris le début du fichier et j’ai juste utilisé un égaliseur et quelques effets… J’espère que c’est assez discordant. »
Toutes ces contributions semblent difficilement utilisables, à moins de recourir à de puissants stupéfiants d’usage illicite. Un peu penaud, tu radines donc ta fraise sur la version initiale de Geoffroy, présentant ainsi ton apport : « Je suis ému, c’est ma première orgie. Mais je ne commence pas en fanfare, parce que, tout de même, le sitar désaccordé, c’est pas ce qu’il y a de plus simple à utiliser. J’avais dans l’idée un truc kitsch façon Bollywood, mais j’ai dû me contenter de prendre juste quelques notes de ce sitar qui titube, en rajoutant un peu d’épinette. Voici donc juste 2 ou trois idées que j’ai laissé tourner (tempo = 104). Ça mériterait peut-être un peu de wah-wah, si quelqu’un veut s’y coller (j’ai pas eu le temps de le faire moi-même). Il n’y a pas vraiment de structure mais je peux mettre en ligne les pistes séparées s’il y a de la demande. »
L’épinette, tu l’avais empruntée quelques années plus tôt à Franck, le batteur de Crème Brûlée, et avais enregistré quelques sons que tu pourrais utiliser plus tard dans des arrangements (chose faite dans le morceau “Sous les robes de bure“), sans te douter qu’un jour, cette épinette des Vosges rencontrerait un sitar indien. Tu y avais ajouté des parties de basse et de batterie que tu avais programmées dans le logiciel Reason, laissant tourner le tout pour que ça puisse servir de support groovy à d’autres délires. Au final, personne ne te demandera les pistes séparées, personne n’ajoutera de wah-wah, mais maniaxmemori renchérira, avec sa version “String Bouddha” : « Et le hip hop alors ? Parce que c’est bien joli vos grattes et vos sitars mais faudrait mettre un peu de flow là-dedans. Alors v’là une petite biture à Brooklyn, agrémentée de quelques fioritures 8bitesques et autres. »
Dans un tout autre genre, manu enrichira également ton Bollywood Chewing-gum, pour envoyer Shankar en Ecosse : « Après tintin au congo, Ravi Shankar en Ecosse… Ça va faire un malheur. Il a sorti la vessie de mouton yahama pour l’occasion. »
Ce sont ces deux dernières versions qui figureront par la suite sur “La compil de MonCulProd volume 2”, jamais publiée car personne ne pensera en fin de compte à le faire. MCP s’éteindra paisiblement vers 2009, après avoir bien vécu.