Situation n°21 : “Impro avec Aymeric des Silmarils”

Concert des Black Noddles à Cergy
Répèt au Luna Rossa des Black Noddles
Musique : Eric C, Stéphane “guitar hero” L, Siegfried G, Stéphane P, Yvan, Aymeric M
Musiciens :
Eric C : guitare
Stéphane “guitar hero” L : guitare
Siegfried G : piano
Stéphane P : harmonica
Yvan : basse
Aymeric M : batterie

Nous sommes en 1994. Tu es objecteur de conscience. Le service militaire étant toujours obligatoire, tu as été convoqué l’année précédente à la caserne de Blois pour “les 3 jours” qui durent en fait une journée… sauf que toi, pas de bol, on t’avait convoqué l’après-midi, ce qui t’avait contraint à passer une nuit dans la caserne. Anarchiste tendance communiste libertaire, tu es évidemment viscéralement antimilitariste, et préfères les réunions de rédaction de la revue Noir et Rouge, chez Jean-Pierre Duteuil (fondateur du Mouvement du 22 mars en 1968, puis des éditions Acratie) ou donner un coup de main au groupe antifasciste REFLEXes (Réseau d’étude, de formation et de lutte contre l’extrême droite et la xénophobie) plutôt que d’aller ramper dans la boue sous les ordres d’une brute avinée. C’est donc avec la ferme intention d’essayer de te faire réformer “P4” (pour “motifs psychologiques incompatibles avec le service militaire”) que tu t’étais rendu à la caserne. Après différents tests et un repas du soir à une heure où tu eusses préféré un goûter, tu t’étais retrouvé enfermé avec d’autres bougres dans un grand dortoir pour être réveillé à l’aube le lendemain, à une heure où tu eusses préféré rentrer de soirée. Dans l’intervalle, tu avais eu droit à un festival d’odeurs, de ronflements et de pets. Une vraie ambiance de chambrée, quoi. Puisque la porte du dortoir était fermée à clés, ceux qui avaient eu envie de pisser pendant la nuit n’avaient eu d’autre solution que d’ouvrir une fenêtre et de se soulager au-dessus du vide.

Dans le questionnaire qu’on t’avait donné à remplir le lendemain, tu avais coché toutes les cases mentionnant des problèmes psychologiques, des prises de drogues, des troubles… Mais une fois convoqué devant le psy, tu avais été pris d’une immense lassitude : non, tu n’allais pas faire l’honneur à ces cons-là de simuler la folie, de te rouler par terre et de faire toutes les conneries dont tu avais entendu des réformés P4 se vanter. Quand le psy avait commencé à te questionner, tu lui avais juste dit que tout allait très bien pour toi mais que tu refusais absolument de faire le service militaire. Après t’avoir rétorqué que tu n’avais qu’à écrire une lettre pour demander à être objecteur de conscience, il t’avait déclaré apte.

Heureusement, un copain de REFLEXes t’avait tuyauté sur le CICP (Centre International de Culture Populaire, fondé par d’anciens maos) qui se trouvait rue de Nanteuil à Paris, et qui employait des objecteurs. Avec lui, mais aussi Stéphane P, ton complice du groupe Les Gniards et Eric des Black Noddles (groupes où tu jouais du clavier et de l’harmonica), vous vous étiez retrouvés “objos” chacun dans une asso différente. Toi, tu avais atterri à Dif’ Pop, qui diffusait des livres gauchistes dans les librairies parisiennes (voir Situation n°12).

Etre “objo”, c’est d’abord être puni de n’avoir pas voulu faire le service militaire, en conséquence de quoi ton service pas militaire dure 20 mois au lieu de 10. Mais l’avantage de bosser pour une asso dirigée par une ancienne mao, c’est qu’elle ne te fait accomplir qu’un mi-temps, ce qui te laisse le loisir de faire de la musique, et même de lui emprunter en loucedé la 4L marron avec laquelle tu fais tes livraisons pour Dif’ Pop. Cela te permet d’aller plus facilement répéter avec ton clavier Roland JW-50, sur lequel tu préfères jouer plutôt que sur des pianos ou synthés de location au studio Luna Rossa où vous avez vos habitudes (depuis que vous avez cessé d’aller répéter dans une grange à Brétigny, au fin fond de l’Essonne). Il faut dire que trimballer un clavier dans un bus bondé aux heures de pointe, c’est pénible, surtout quand des gens serrés comme des harengs commencent à jeter des regards noirs vers cette grosse boîte que tu portes et qui prend toute la place.

Continuer la lecture de « Situation n°21 : “Impro avec Aymeric des Silmarils” »

Situation n°11 : “Waiting for the man”

Extrait de la Demo 1993 des Black Noddles
Paroles & musique : Lou Reed
Musiciens :
Siegfried G : voix
, piano, harmonica
Eric C : guitare, voix
Stéphane L “guitar hero” : guitare
Philippe T : basse
Philippe J : batterie
Silvia C : voix
Karine P : voix

Nous sommes en 1993. Le groupe que tu as formé avec Eric C deux ans auparavant commence à se stabiliser. Après différents noms (Catherine et les Raouls, les Globules, CWI), vous êtes désormais les Black Noddles. Tout le monde comprend “les nouilles noires”, mais ça veut plutôt dire “les caboches noires”. Et bien sûr, tu pensais aux “gueules noires” quand tu as proposé le nom. Avec Eric, vous vous êtes rencontrés en Khâgne : lui repiquait son année quand tu faisais ta première tentative. Il ambitionnait d’être géographe quand, de ton côté, tu ambitionnais surtout de ne rien ambitionner, prenant très au sérieux le mot d’ordre de Guy Debord : “Ne travaillez jamais”.

Si tu avais atterri en classe prépa, ce n’était pas franchement par envie de rejoindre l’élite, mais plutôt parce que cela retardait l’obligation de choisir un métier et aussi de faire cette saleté de service militaire obligatoire. Vous détonniez un peu par rapport au khâgneux moyen. Pendant les épreuves blanches qui duraient des heures, vous arriviez avec du pinard et du calendos. Eric avait une passion pour les fromages qui puent. Et bien sûr celui qu’il apportait durant les épreuves fouettait particulièrement. Les autres élèves vous jetaient des regards indignés, mais cela faisait plutôt marrer les profs. Bien sûr, vous n’avez pas réussi le concours de Normale sup, et tu as vivoté quelque temps entre la fac et les petits boulots, puis l’objection de conscience (plutôt crever que de faire l’armée ou même de simuler la folie pour se faire réformer).

Mais surtout, il y avait la musique. Le soir, tu trainais souvent dans le Quartier Latin : avec l’ami Stéphane P, vous alliez au Pot d’Etain, où il y avait un piano, ce qui permettait de se faire offrir des bières en enchainant les blues et les boogie à 4 mains ; mais tu retrouvais aussi une bande de musiciens du métro au Carabin, où ils venaient dépenser les pièces qu’ils avaient gagnées dans la journée (des fois, tu accompagnais Freddy, un guitariste, pour faire la manche dans le métro, et comme tu ne pouvais pas y emmener un piano, tu t’étais mis à l’harmonica). Et le week-end, vous vous retrouviez chez tes parents avec Eric, lui à la guitare, toi au piano ou à l’harmo. Le registre était plutôt jazzy blues, et c’est là que tu as composé des morceaux comme “Libidineux blues”, “Le blues du travelo”, “Les p’tits boulots“… Eric était un puits de science en matière de blues, et il avait aussi une passion pour Pink Floyd. Cela constituait un bon terrain d’entente, et c’est sur cette base que vous avez constitué un groupe avec des copains d’Eric (Philippe à la batterie, et Pierre à la guitare) ainsi que Catherine, une copine de Khâgne, à la basse (d’où le premier nom du groupe : Catherine et les Raouls, que vous avez gardé même après que Catherine a cessé de venir au bout de deux répèts au fin fond de l’Essonne, où Eric et ses potes avaient leurs quartiers). Passant une annonce pour trouver un bassiste, vous aviez vu bientôt débarquer Stéphane L, qui avait annoncé d’emblée qu’il aimait le blues, le rock et les Floyd. Il correspondait donc au profil, à ce détail près : il n’était pas du tout bassiste mais guitariste. Comme Pierre ne venait plus qu’occasionnellement, Steph fut aussitôt intégré comme deuxième guitariste et baptisé “guitar hero”. Un certain Sylvain vint tâter un peu de la basse avant d’être remplacé par un autre Philippe : Philippe & Philippe comme section rythmique, ça ne pouvait que fonctionner.

Dans la grange où vous répétiez après des métalleux velus qui vous chauffaient passablement la place, il n’y avait pas de piano, mais un vieux Farfisa, qui te servit pas mal avant de rendre l’âme et de t’obliger à investir (avec une bienvenue subvention familiale) dans un Roland JW 50 qui allait en voir des vertes et des pas mûres. Le répertoire du groupe était essentiellement constitué de standards blues et rhythm & blues (“Sweet Home Chicago”, “Stormy Monday”, “You don’t love me”, “Mary had a little lamb”, “What’d I say”, “In the midnight hour”, “Sitting on the dock of the bay”, “She caught the Katy”…), de Jimmy Hendrix (“Little Wing”), de Chuck Berry (“Johnny B. Goode”), des Rolling Stones (“Brown sugar”, “Sympathy for the devil”), de James Brown (“Sex Machine”) et de Pink Floyd (“Time”, “If”, “Echoes”, “Wish you were here”, sans compter les impros de trois plombes “à la manière de”).

Karine, une copine d’Eric, était ensuite venue compléter l’ensemble au sax et aux choeurs, et puis était arrivée Silvia, copine de la meuf de Stéphane “guitar hero”, aux choeurs. Aux choeurs oui, mais d’emblée, elle vous avait tous scotchés par sa puissance vocale, et sans oser le dire à Eric, tout le monde pensait qu’elle aurait dû prendre sa place au chant principal. Il faut dire qu’Eric est facilement à cran si le contrôle des opérations lui échappe. Tu as vite compris qu’il n’avait pas envie de jouer tes compos dans “son” groupe. Ce n’est qu’après avoir composé lui-même “Gamblin’ woman” qu’il acceptera que le groupe essaie une de tes compos, “I can’t’, puis plus tard “Le droit à la paresse”. Qu’à cela ne tienne, tu formes alors un autre groupe, Les Gniards, avec l’ami Stéphane P, pour jouer des compos… mais Eric s’y incruste au début, plus pour faire du sabotage qu’autre chose, finalement, avant de lâcher l’affaire. Pas simple.

Les Black Noddles, en 1993, aux Frigos du Quai de la gare.
Continuer la lecture de « Situation n°11 : “Waiting for the man” »