Situation n°22 : « Barcelone »

Bombardement de Barcelone (1938)
Morceau diffusé sous licence Creative Commons BY-NC-SA
Extrait de l’album “Not Dead” (2011-2070)
Paroles & musique : Siegfried G
Musicien :
Siegfried G : voix
, claviers, guitares, programmation
Illustration : Domaine public
Paroles :

Barcelone
Tu fus la dernière à tomber
Barcelone
Le dernier rempart des damnés
En criant « vive la mort ! »
Les milichiens ont tué
Le grand rêve et de l’âge d’or
Il n’est plus rien resté

Barcelone
Tu étais la fierté des gueux
Barcelone
Dernier espoir des hommes sans dieu
Dans les caves de Barcelone
Les combattants terrés
Attendent que le glas sonne
Tous seront fusillés

Barcelone
Mais que reste-t-il de tous ceux
Barcelone
Qui sont morts pour vivre mieux
En 1939
Dans toutes les rues
On enterre un monde neuf
Tant pis pour les vaincus

Ils sont passés à Barcelone
Les assassins
Que leur dieu pardonne
Si tu vas à Barcelone
Tu n’verras rien
Les hommes s’endorment
Les hommes s’endorment
Les hommes s’endorment

No pasaran !

Nous sommes en 2003. Tu ne joues plus dans aucun groupe, ou plutôt tu joues de la tétine et du biberon dans un nouveau groupe qui ne te laisse guère le temps de faire autre chose de tes jours et de tes nuits, à côté du boulot de prof auquel tu as fini par t’habituer (c’est tout de même mieux que d’aller à l’usine). Mais tu as accumulé durant la décennie précédente une foule d’idées de morceaux, dont tu as gardé des enregistrements sur des cassettes de magnétophone, des disquettes de séquenceur JW-50, des cassettes d’enregistreur 4 pistes TASCAM, des sessions de logiciels (SoundEdit, le tout premier séquenceur sur PowerMac que tu as utilisé à partir de 1997, Deck II, Cubase, ProTools, Rebirth, Reason…).

Avant de découvrir les joies de la paternité, tu avais accouché à la fin des années 90 de deux albums solo auto-produits sous le nom de Siegfried G et un mini-album sous le nom de Psychonada. En ce début de XXIe siècle, tu as déjà quelques morceaux aboutis que tu songes à réunir sur un album que tu intitulerais « Particules » pour peu qu’un jour tu puisses dégager un peu de temps pour le finaliser. En attendant, tu remets ponctuellement la main à la pâte sur des morceaux en chantier depuis plusieurs années, mais il y en a un qui te pose problème : « Barcelone ». C’est une chanson que tu as composée au début des années 90, lors de tes premiers essais à la guitare, même si pour le jouer en concert avec les Gniards, il te fallait passer au piano, le groupe ayant déjà deux guitaristes. Eric n’aimait pas le côté lugubre du morceau (réminiscence peut-être des mélancoliques « Barcelone » de Boris Vian et « Spanish Bombs » de The Clash passés à la moulinette Velvet Underground), ce qui t’avait conduit à le chanter toi-même (dans une tessiture trop grave pour ta voix dont tu n’avais pas encore admis qu’elle n’avait pas le même timbre que Nick Cave). Mais il aimait bien se lâcher à la guitare sur le crescendo final, et cela t’avait évité de batailler pour que le groupe joue le morceau, ce que tu n’aurais de toutes façons pas fait, tant l’idée de devoir dire à des gens de faire ce qu’ils n’avaient pas envie de faire te répugnait, même si tu étais convaincu de tenir une idée valable.

Après le départ d’Eric du groupe, néanmoins, le morceau avait été abandonné. Tu avais tout de même essayé d’en graver une version en solo vers 1997, avec une guitare Yamaha électro-acoustique et surtout la Telecaster que tu avais acquise pour jouer dans le groupe Crème Brûlée (en te lâchant toi-même sur le son du solo final, tu avais compris ce qui avait fait kiffer Eric malgré son peu d’intérêt initial). Tu avais ajouté ensuite sur séquenceur Roland JW-50 un arrangement d’orgue, piano, basse, batterie et timbales, remixé par la suite sur ordinateur. Tu aurais bien aimé le jouer avec des vraies timbales d’orchestre, mais bizarrement, tout le monde à la maison n’aurait pas été d’accord. Tu t’étais donc contenté des sons plutôt bien imités du Roland.

Pourtant, tu n’avais intégré « Barcelone » dans aucun des deux albums solo que tu avais réalisés en 1998 puis 1999. Le thème de la guerre d’Espagne ne s’accordait pas avec le premier, et, dépassant 8 minutes, le morceau était un peu long pour le second, et puis il restait quelques retouches à faire pour parfaire le mix (tu avais plusieurs fois ajouté, puis enlevé des enregistrements de Mussolini et Franco, remplacés finalement par des bruits de rue de mai 68 sur solo d’orgue en intro). A présent, tu es plutôt satisfait du résultat musical et tu songes à intégrer le morceau dans ton prochain album solo mais quelque chose te chiffonne : il s’agit du texte. Ce n’est pas que tu désavoues le côté lugubre ni la fascination pour la guerre d’Espagne qui t’habitait lors de la composition, mais la première phrase, « Barcelone, tu fus la dernière à tomber », t’irrite depuis que tu t’es rendu compte que non, Barcelone n’avait pas été la dernière à tomber. En effet, même si c’est bien à Barcelone que s’était replié le gouvernement républicain face à Franco, avant la dernière retirada vers la France, Madrid encerclée avait résisté encore deux mois de plus.

Tu n’as toujours pas digéré, un an après la sortie du tube d’Indochine « J’ai demandé à la lune », que Nicola Sirkis chante « on était tellement sûûreuh » pour rimer avec « aventuureuh », alors que « sûr » s’accorde avec « on » et n’a donc pas de « e » final. Alors ce n’est pas pour balancer des paroles contenant cette fois une erreur historique ! Il faut croire que l’Education nationale a déteint sur toi.

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Situation n°21 : « Impro avec Aymeric des Silmarils »

Concert des Black Noddles à Cergy
Répèt au Luna Rossa des Black Noddles
Musique : Eric C, Stéphane « guitar hero » L, Siegfried G, Stéphane P, Yvan, Aymeric M
Musiciens :
Eric C : guitare
Stéphane « guitar hero » L : guitare
Siegfried G : piano
Stéphane P : harmonica
Yvan : basse
Aymeric M : batterie

Nous sommes en 1994. Tu es objecteur de conscience. Le service militaire étant toujours obligatoire, tu as été convoqué l’année précédente à la caserne de Blois pour « les 3 jours » qui durent en fait une journée… sauf que toi, pas de bol, on t’avait convoqué l’après-midi, ce qui t’avait contraint à passer une nuit dans la caserne. Anarchiste tendance communiste libertaire, tu es évidemment viscéralement antimilitariste, et préfères les réunions de rédaction de la revue Noir et Rouge, chez Jean-Pierre Duteuil (fondateur du Mouvement du 22 mars en 1968, puis des éditions Acratie) ou donner un coup de main au groupe antifasciste REFLEXes (Réseau d’étude, de formation et de lutte contre l’extrême droite et la xénophobie) plutôt que d’aller ramper dans la boue sous les ordres d’une brute avinée. C’est donc avec la ferme intention d’essayer de te faire réformer « P4 » (pour « motifs psychologiques incompatibles avec le service militaire ») que tu t’étais rendu à la caserne. Après différents tests et un repas du soir à une heure où tu eusses préféré un goûter, tu t’étais retrouvé enfermé avec d’autres bougres dans un grand dortoir pour être réveillé à l’aube le lendemain, à une heure où tu eusses préféré rentrer de soirée. Dans l’intervalle, tu avais eu droit à un festival d’odeurs, de ronflements et de pets. Une vraie ambiance de chambrée, quoi. Puisque la porte du dortoir était fermée à clés, ceux qui avaient eu envie de pisser pendant la nuit n’avaient eu d’autre solution que d’ouvrir une fenêtre et de se soulager au-dessus du vide.

Dans le questionnaire qu’on t’avait donné à remplir le lendemain, tu avais coché toutes les cases mentionnant des problèmes psychologiques, des prises de drogues, des troubles… Mais une fois convoqué devant le psy, tu avais été pris d’une immense lassitude : non, tu n’allais pas faire l’honneur à ces cons-là de simuler la folie, de te rouler par terre et de faire toutes les conneries dont tu avais entendu des réformés P4 se vanter. Quand le psy avait commencé à te questionner, tu lui avais juste dit que tout allait très bien pour toi mais que tu refusais absolument de faire le service militaire. Après t’avoir rétorqué que tu n’avais qu’à écrire une lettre pour demander à être objecteur de conscience, il t’avait déclaré apte.

Heureusement, un copain de REFLEXes t’avait tuyauté sur le CICP (Centre International de Culture Populaire, fondé par d’anciens maos) qui se trouvait rue de Nanteuil à Paris, et qui employait des objecteurs. Avec lui, mais aussi Stéphane P, ton complice du groupe Les Gniards et Eric des Black Noddles (groupes où tu jouais du clavier et de l’harmonica), vous vous étiez retrouvés « objos » chacun dans une asso différente. Toi, tu avais atterri à Dif’ Pop, qui diffusait des livres gauchistes dans les librairies parisiennes (voir Situation n°12).

Etre « objo », c’est d’abord être puni de n’avoir pas voulu faire le service militaire, en conséquence de quoi ton service pas militaire dure 20 mois au lieu de 10. Mais l’avantage de bosser pour une asso dirigée par une ancienne mao, c’est qu’elle ne te fait accomplir qu’un mi-temps, ce qui te laisse le loisir de faire de la musique, et même de lui emprunter en loucedé la 4L marron avec laquelle tu fais tes livraisons pour Dif’ Pop. Cela te permet d’aller plus facilement répéter avec ton clavier Roland JW-50, sur lequel tu préfères jouer plutôt que sur des pianos ou synthés de location au studio Luna Rossa où vous avez vos habitudes (depuis que vous avez cessé d’aller répéter dans une grange à Brétigny, au fin fond de l’Essonne). Il faut dire que trimballer un clavier dans un bus bondé aux heures de pointe, c’est pénible, surtout quand des gens serrés comme des harengs commencent à jeter des regards noirs vers cette grosse boîte que tu portes et qui prend toute la place.

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