L’horloge

Après plusieurs mois de timides et infructueuses recherches, j’avais enfin trouvé cette chose rare et essentielle sans laquelle l’individu moderne n’est que rebut anonyme, déchet de basse humanité : un emploi.

    Pour être franc, le digne statut de travailleur dûment inséré socialement ne me semblait pas devoir être en soi le stade ultime de l’épanouissement personnel. Je m’attachais en réalité avant tout, il faut bien l’avouer, à l’aspect strictement pécuniaire de la chose. J’en étais arrivé, avant de trouver cet emploi, à mégoter ne serait-ce que sur l’achat d’un paquet de cigarettes, angoissé chaque jour davantage par le gouffre tarpéien sans cesse se creusant de mon découvert bancaire. N’eût été l’obtention de cette providentielle source de revenus, j’aurais sans nul doute été rapidement couvert d’opprobre par le qu’en-dira-t-on, condamné par la conjoncture, honni par les banquiers, conspué par le fisc, vilipendé par mes créanciers, renié par ma génitrice, hué, rejeté, méprisé, trahi par mes amis, aspergé, mouillé, frigorifié, transi par les intempéries, moqué par d’affreux moutards morveux, ingénus et sadiques, et pour comble, grondé sévèrement par les forces de l’ordre et par la justice de mon pays.

    Mais foin de ces désastreuses perspectives. Je m’allais désormais vouer au labeur salvateur, aux horaires variables, aux congés payés et aux cotisations pour la sécurité sociale, du moins tant qu’elle existerait, accumulant concomitamment des points pour la retraite. L’heure de la rédemption sonna, péremptoire, un trois avril à sept heures du matin précises (un matin qui s’ensoleilla précocement, le fourbe, le sournois, par pure mesquinerie : l’occasion était trop belle de persécuter un pauvre animal nocturne).

    J’introduisis en affectant un brin de désinvolture mon badge magnétique dans la fente idoine : le compteur me salua d’un courtois “ bonjour ! ” sur cristaux liquides, indiquant simultanément “ – 7h36 ”, temps réglementaire d’une journée de travail lorsque l’on n’a encore pris ni avance ni retard dans le décompte méticuleux des heures de suée frontale par le truchement desquelles, traditionnellement, le pain se gagne.

    Je repérai rapidement l’essentiel : l’emplacement du distributeur automatique de prétendu café (sorte d’ersatz qui est au noir breuvage ce que le sucre en poudre est à l’héroïne), l’horloge murale et les très rares lieux isolés situés dans les angles morts du champ de vision panoptique des “ Cadres ”, c’est-à-dire des Chefs. Je venais pour ma part d’être embauché en tant que vague sous-chef, “ lumpen ”-bureaucrate au statut flou, intermédiaire inconsistant entre le monde des Chefs et celui de la piétaille aux doigts graisseux. Je soupçonnais à vrai dire la hiérarchie locale d’avoir inventé de toutes pièces un poste inutile qui pût correspondre à la fois à mon évidente incompétence dans le domaine d’activité qui serait théoriquement le mien et à mon curriculum vitae grandiloquent, décoré de force pompeux et superflus diplômes.

    Je le constatai d’emblée : j’appartenais désormais ostensiblement à la catégorie des “ cols blancs ”, face à la masse servile, bruyante, éthylique et velue des “ cols bleus ”. Corps étranger injecté dans le système, je fus inscrit d’office sur la liste des instruits, des mains propres et des gens “ responsables ”, l’ouvrier étant comme le nègre (ce qu’il est d’ailleurs parfois), chacun le sait bien, un grand enfant joyeux, bébête et paresseux, tire-au-flanc de la première heure, pinailleux, resquilleur multirécidiviste, impénitent gréviste et, de surcroît, capable en certaines occasions de fierté.

    Je compris bien vite, trop vite, toute la particularité de ma fonction : être là. Mais point de charge philosophique dans ce Dasein-là. Engagé par piston à la faveur d’un de ces dysfonctionnements récurrents de la machine administrative, j’avais pour tâche essentielle le remplacement du titulaire d’un poste désuet, parti en congé maladie à la suite d’une crise de delirium tremens, et j’occupais le bureau d’un Cadre qui venait d’être muté dans une autre unité de production et qui, lui, n’avait pas été remplacé.

    Je pris immédiatement possession des lieux, à commencer par le confortable siège à roulettes, éternelle source de va-et-vient circulaires et vertigineux, inspectai les tiroirs, vides ou remplis de fournitures de bureau, et effectuai une méticuleuse analyse stratégique du paysage. Face à moi, un espace trop grand parsemé de trop nombreux sièges, l’hypothèse d’un soudain peuplement massif de cette zone étant peu vraisemblable (ou peut-être étaient-ce là les vestiges d’une antique civilisation disparue à la suite d’une épidémie de réunionite). Au-delà, en guise de cloison, une large baie vitrée et une porte, vitrée itou, frontière transparente entre le territoire des Cadres et l’atelier, vaste enchevêtrement de machines et d’ouvriers.

    Je perçus alors nettement l’implacable châtiment que m’avait réservé le destin pour avoir si longtemps ignoré l’obligation faite à l’animal humain de perdre sa vie à la gagner. J’avais franchi la barrière, j’étais passé du côté des aboyeurs d’ordres, et j’étais là, dans mon bocal, à nager dans les eaux aseptisées de la classe moyennement moyenne. Je me trouvais dans la situation du Chef, qui, de derrière sa vitre protectrice, à prudente distance, espionne scrupuleusement les faits et gestes de la basse main d’oeuvre besogneuse, prompt à sanctionner les menus comme les graves manquements à la productivité et aux règlements. Mais, aspect plus pervers encore de cette relation, j’étais moi-même épié par les ouvriers, habitués à regarder constamment du côté du bocal où je bullais en silence, prêts à profiter de la moindre baisse de vigilance des grosses poiscailles. En outre, je devais très certainement, étant nouveau, être un petit poisson bien exotique pour ces serfs industriels, peu habitués à contempler en cet aquarium honni un visage juvénile aux traits estudiantins et au regard empli de bonne grosse bonté humaniste et de sommeil. C’est un fait : l’ouvrier voit dans le Cadre un ennemi, mais un ennemi à la fois craint et respecté. Je ne possédais pour ma part ni cette mâle autorité encravatée ni cette dureté expérimentée, “ sévère mais juste ”, dont font généralement preuve les Chefs et sous-Chefs. J’étais a priori un ennemi, puisque nageant en eaux adverses, mais j’étais de surcroît un inconnu, un étranger, donc doublement suspect.

    Quant à ma fonction, je l’ai déjà dit, elle consistait en vérité à occuper un bureau. Les quelques tâches, visiblement minimes, dévolues à mon prédécesseur, ne pouvaient décemment pas me revenir, du fait que je n’entravais que pouic à la maintenance industrielle et qu’il était hors de question de confier de basses oeuvres aussi dégradantes que les photocopies ou l’insertion de lettres pliées en trois dans les enveloppes adéquates à un “ presque-cadre ” tel que moi. Néanmoins, j’étais payé pour travailler, et s’il est admis que tout travail mérite salaire, il est conséquemment sous-entendu que tout salaire mérite une ostensible attitude de travail.

    J’en étais donc réduit à une interminable oisiveté embarrassée, cible immobile et tourmentée du regard méfiant des ouvriers, avili par le contact compromettant et visqueux des Cadres.

    Drame existentiel : j’étais là, sans pouvoir y être, sans aucun moyen de me donner une contenance. Présence sans existence. Oppressante situation, comparable moralement à celle de ces suppliciés de jadis qui ne pouvaient ni se lever ni s’asseoir ni se coucher. Me mettais-je à rêvasser, je tombais aussitôt sur le regard hostile d’un ouvrier, persuadé d’être observé ou décontenancé par l’absence de vigilance dans mon regard. Voulais-je passer le temps en griffonnant ou gribouillant sur le bloc de papier mis à ma disposition par le service des fournitures, je devenais la proie de la curiosité d’un Cadre, motivée peut-être par l’appréhension de se faire doubler dans son travail par un jeune ambitieux. Je risquais de sérieux ennuis si l’un de ces vicieux satrapes me surprenait en train d’écrire des poèmes érotico-macabres ou de dessiner des doigts crochus, des yeux révulsés et des femmes crucifiées, toutes sortes de choses que j’ai l’habitude de coucher sur le papier par temps de désoeuvrement.

    La seule attitude suffisamment insignifiante qui me permît d’échapper tant bien que mal à tous ces insupportables regards consistait à feuilleter des documents, à l’endroit, à l’envers, ou par le milieu, à poser quelque chose à un bout du bureau puis à la remettre au même endroit, à me lever pour aller chercher… rien, à me rasseoir, à ouvrir et refermer des tiroirs, en quête de… rien, à m’auto-séquestrer aux toilettes… Ah ! oui… les toilettes. Belle invention que ce petit local hermétique ! Si j’avais pu, je m’y serais enfermé des journées entières ! Mais mon absence eût vite été remarquée et j’aurais causé à la longue le désagrément de certaines entrailles pressées. D’ailleurs, il n’est jamais aisé, où que ce soit, de rester enfermé indéfiniment aux toilettes : les gens sont si soupçonneux.

    Mes journées s’écoulaient donc avec lenteur dans un perpétuel malaise propice aux tendances paranoïaques. Sous le feu croisé de tous ces regards, il me fallait être constamment sur mes gardes, prêt, à la moindre alerte, à me plonger le nez sur un document ou à gesticuler vainement autour du bureau. Inutile de dire qu’un tel travail, même et surtout s’il consiste à ne rien faire, est absolument épuisant et annihile toute autre forme d’existence. Vie sexuelle, vie culturelle, vie artistique, sociabilité… sont investies peu à peu par une morne béatitude tiède durant laquelle, comme au bureau, aucune sensation ni pensée ne vient perturber un encéphalogramme radicalement plat.

    Pendant mes tristes heures de néant intérieur, j’ai néanmoins connu une véritable amie : l’horloge accrochée au-dessus de la baie vitrée. Sa contemplation m’a permis dès le début de porter mon attention sur quelque chose de tangible et d’inoffensif. Calme familiarité avec la petite aiguille, si sereine, discrète, et pourtant inébranlable dans son imperceptible mouvement, si rassurante dans son évolution vers le terme du calvaire quotidien. Avec la grande aiguille, un contact plus léger, comme une amitié de vieux fêtards : minutes d’ivresse circulaire, de léger tournis, de sobres beuveries hexadécimales. Mais il y avait aussi la trotteuse, la petite vicelarde agitée, la veuve joyeuse qui tue le temps en s’envoyant en l’air à trois cent soixante degrés, compagne de mon coeur qui battait la chamade comme elle bat les secondes.

    Cette horloge était ma seule compagnie, mon seul réconfort. J’appris bientôt à l’apprivoiser, car comme les chiens, comme les renards à petits princes, comme tous les êtres chers, une horloge s’apprivoise. A force de contemplation, de complicité, elle se laisse approcher, circonvenir. Mais il faut la choyer, la couver affectueusement du regard, adopter son rythme, pouvoir d’un long coup d’oeil la voir toute, rondeur et détails, centre et périphérie, immobilité et mouvement, rayon et surface. A la fin, elle n’est plus qu’une spirale vertigineuse. Délice de s’y plonger, de sombrer hors du temps. Hypnose.

    Avec de l’entraînement, j’accédai en quelques semaines à la perception d’un nouvel univers. J’arrivais le matin, m’installais à mon bureau, tous les sens en alerte : la vue, bien sûr, pour me positionner dans le monde panoptique de l’atelier ; l’ouïe, permettant de déceler l’approche des indésirables et de percevoir la baisse d’activité des machines en fin de journée ; le toucher, pour sentir les variations dans les vibrations (beaucoup de vibrations : activité intense — tout le personnel occupé : j’étais tranquille. Peu de vibrations : activité réduite — beaucoup de gens désoeuvrés, à l’affût, susceptibles de venir me déranger : point de paix possible) ; l’odorat, pour déceler une odeur de merde le matin (ce qui signifiait que certain Cadre aux intestins en putréfaction était déjà arrivé) ou une odeur de grosse vinasse (qui précédait de quelques mètres certain sous-Chef à l’haleine corrosive) ; le goût, enfin, cette changeante sensation buccale qui évoluait au fur et à mesure de la superposition des couches de café et de goudron de cigarette sur les papilles et sur les dents (il y avait le goût “ langue pâteuse ” de sept heures du matin, le goût “ salive sèche ” de onze heures trente, le goût “ relents de digestion et jus de nicotine ” de quatorze heures, le goût “ dents jaunes et bitume dans la bouche ” de seize heures). Puis, c’était le grand saut dans le temps, hors du temps. Le mouvement des aiguilles se transformait en spirale, l’horloge se muait en gouffre. Quand je refaisais surface, c’était déjà la fin de la journée. Il ne me restait plus qu’à faire mes adieux à mon amie, jusqu’au lendemain.

    En quelques mois de ce régime, plusieurs mèches de mes cheveux étaient devenues blanches. J’avais vieilli de vingt ans.

Une nouvelle de Siegfried G datant de 1995, tirée du recueil Débris et ratures

Autres nouvelles du même recueil :

La tranchée
Heureux qui communiste
Le lave-vaisselle
Le mouvement perpétuel
Et personne ne créa… Declan O’Connor

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La tranchée

L’Ordonnance rampait au fond de la tranchée, ralenti par les gerbes de boue et d’organes génitaux sanguinolents qui le recouvraient sans cesse d’une matière visqueuse.

    Soudain, une main surgissant de la fange lui agrippa la cheville. Il tenta vainement de se dégager : la main tenait bon et lui immobilisait le pied. Il essuya la crasse qui obscurcissait les orbites de son masque à gaz afin d’identifier le propriétaire de l’étau qui lui broyait la cheville. C’était un soldat aux jambes recouvertes par un déploiement rose et blanc d’intestins et de viscères. Ses yeux écarquillés imploraient et ses lèvres tremblaient en silence. De grosses gouttes de sueur laissaient des traînées blanchâtres sur son visage noirci par la boue et le sang.

    L’Ordonnance, péniblement, tira un grand couteau de son fourreau poisseux, et d’un coup net, trancha dans une giclée de sang chaud le poignet qui le retenait prisonnier. Puis, sans même se retourner, il poursuivit son chemin en rampant, une main rougeâtre encore accrochée à la cheville.

    Quelque temps plus tard, il rencontra un groupe d’hommes apparemment vivants. Ils étaient accroupis sous une protection de toile et de bois, serrés les uns contre les autres, pitoyables.

    L’Ordonnance ôta son masque à gaz et leur demanda s’ils étaient bien “le 103ème”. Mais le vacarme provoqué par les bombes couvrit ses paroles et les hommes continuèrent à le regarder d’un air indifférent.

— C’est vous le 103ème ? hurla-t-il, les mains en porte-voix devant la bouche.

— Ptêt’ ben, répondit l’un des soldats.

— Quoi ?

— Ouais ! c’est nous, cria l’homme.

— Où qu’il est, vot’ commandant ?

— Ben, la roubignole, là, à vot’ pied, c’était à lui. Le reste est éparpillé un peu partout.

— Saloperie !

— Hein ?

— Non, rien… C’est quoi ton nom ?

— Berthier.

— Bon, alors Berthier, c’est toi le responsable, maintenant. L’ennemi a fait une percée. Vous êtes en première ligne. Z’avez ordre de contre-attaquer.

— Quoi ?

— L’ordre est de con…

    Il fut interrompu par un sifflement suivi d’une violente déflagration. Quand la fumée se dissipa, les hommes du 103ème avaient disparu sous une nappe de boue. L’Ordonnance était étendu à terre, le corps à moitié enseveli. Des bouts de cervelle blanche et rose étaient éparpillés autour de sa tête qui reposait dans une flaque de sang.

* * *

    Le feu d’artifice s’était calmé. Berthier alluma une cigarette.

— En v’là un qui s’triturera plus trop les méninges, dit-il en désignant du menton le cadavre au crâne fracassé de l’Ordonnance.

— kêktucrois kivoulait, çui-là ? demanda Matthieu.

— J’chais pas. Regarde-z-y voir dans ses fringues s’il a pas keukchose à biberonner. Comme ça, y s’ra pas venu pour rien.

    Matthieu s’exécuta, aidé par Joubert. Ils retournèrent le corps et se mirent à fouiller dans ses poches. Joubert en extirpa triomphalement une petite flasque argentée, tandis que sa face hilare exhibait une rangée clairsemée de chicots tout noirs. Il cracha une grosse huître verte qui alla s’accoupler par terre avec un morceau de cervelle, puis avala une longue gorgée du liquide contenu dans la flasque.

— Hé bé ! Kouakcê ksteu gnôle ? fit-il en s’essuyant la bouche d’un revers de main sale.

— Fais voir, lui ordonna Berthier ; et il goûta le breuvage en connaisseur, en faisant passer le liquide d’une joue à l’autre à l’intérieur de sa bouche, avant de l’avaler en un gargarisme sonore. T’y connais que d’chi, hé ! bouseux, fit-il. Ça, c’est du Visky, et du bon.

— Du Visky ? s’exclama Guiraud. Ben dîtes-donc, y s’emmerdait pas el’ militaire.

— Du Visky ou du Chouchen, là où qu’il est asteure, y s’en fout pas mal, dit Fallec avec un sourire forcé.

    La flasque passa bientôt de main en main, suscitant diverses réflexions sur les mœurs étranges des Rosbifs et sur les qualités inégalées de l’absinthe.

    “Hé ! la Tantouse, kêkt’en penses ?” demanda Guiraud à Brocasse. “Tiens, goûte-z-y voir un peu.”

    Le petit homme au visage de fillette prépubère refusa en souriant affectueusement. Il observait la scène d’un air concupiscent. En parcourant tout le groupe du regard, il murmura : “Celui-là qui épouse facilement la foule connaît des jouissances fiévreuses…”

— Allez, le v’là-t-y pas qui recommence son baragouin, s’esclaffa Joubert. Puis il porta son attention sur un autre spectacle : Hé bé ! l’père Matthieu, kêktu fous ? T’en veux donc point, du Visky ?

— Ta gueule, Joubert ! Je m’pignole, grogna Matthieu.

    Il tenait dans la main gauche une photo de femme trouvée dans les papiers de l’Ordonnance, et, de la main droite, il opérait un frénétique mouvement de va-et-vient sur son sexe turgescent et crotté dont le gland crasseux avait la couleur sombre d’un fruit pourri.

— T’es qu’un porc ! fit Berthier en crachant dans sa direction (son glaviot fut intercepté en plein vol par un autre jet visqueux et incontrôlé).

— T’esquinte pas, Berthier ! s’esclaffa Guiraud. Y peut point t’entendre, tu sais, ça rend sourd, askondit.

— Comment ? fit Fallec en plaçant une main en pavillon derrière son oreille.

— Hé ! Matthieu, lança Joubert, comment qu’elle est Madame Cinq-Doigts ? Tu m’la passeras quand t’auras fini ?

— J’ai fini, abruti ! répliqua Matthieu, les mains humides.

    Dans son coin, le petit Brocasse ne put réprimer un voluptueux frisson de dégoût.

    Berthier, lui, méditait. Je sais pas si ça rend sourd. L’est plus probable que ça rend con, m’est avis. Ça expliquerait bien des choses, en tout cas.

* * *

    Le cadavre pourrissant de l’Ordonnance était à présent noyé dans une épaisse mare d’eau brune. Le corps de Guiraud le dominait depuis quelques jours, encastré en position verticale dans la paroi de la tranchée, le torse déchiré par des éclats d’obus.

— Faudrait ptêt’ lui fermer les yeux, à la fin, non ? dit Fallec en désignant du pouce le visage verdâtre de Guiraud, sans oser le regarder.

— Pourquoi donc ? répondit Berthier. Comme il est, il peut voir arriver les obus. Ptêt’ que ça l’distraira.

— Moi, son regard, ça m’fout les chocottes, insista Fallec. Et puis, normalement, les morts, on leur ferme les yeux.

— Si tu veux, t’as qu’à les lui fermer, toi, et tu peux même lui creuser un trou, l’enterrer et demander une messe au curé. Seulement, faudrait que t’en trouves un, de curé. Et puis si tu veux enterrer tous les macchab’ du coin, t’as pas fini. D’ailleurs t’as même pas commencé. En plus, tout ce que tu voudras enfouir dans la boue, avec les inondations et les explosions, ça finira toujours par remonter.

— Putain d’guerre, tout d’même !

— Ah ! Pasque tu crois qu’elle est différente des autres, celle-là? 

— J’chais pas. C’est la seule que j’connais. Ben, en tout cas, c’est vraiment un truc de cons. J’voudrais ben savoir pourquoi qu’on est là à grelotter dans la merde et dans la boue. Et pis d’abord, la guerre, c’est contre des ennemis, non ? Oukissont les ennemis, tu peux m’le dire, toi ? On n’en a pas encore vu la queue d’un. Par contre l’artillerie, ça y va, merci, et on clamse tous les uns après les autres…

— D’abord, on dit pas “par contre”, on dit “par revanche”…

— Et si ça s’trouve, c’est même pas les obus ennemis qu’on s’prend d’sus la gueule. Ptêt’ que c’est les nôtres. Ptêt’ même que des ennemis, y en a point du tout et que y en a jamais eu. Et même si y’en a, hein, c’est quoi au juste les ennemis ? C’est des pôv’ gars comme nous. Alors pourquoi kcê qu’on est ici ?

— T’es qu’un con, Fallec. On est ici pasque c’est la guerre. Y faut qu’on tue des ennemis, c’est tout, pasque çui-là qui gagne la guerre, et ben c’est çui-là qui est toujours vivant à la fin tandis que l’aut’ qui est mort, lui, il a perdu.

— Alors Guiraud, el’commandant et tous les aut’ là, izont perdu la guerre ?

— Ben oui, j’te dis, piskissont morts.

— Et nous alors, tant qu’on est vivants, on est les vainqueurs ? Dans ce cas-là, pourquoi qu’on reste là à attendre de crever ?

— Pasqu’on n’est pas encore vainqueurs, ducon ! On n’a pas encore tué d’ennemi. Quand les ennemis, y s’ront morts et que nous, on s’ra toujours vivants, alors-là, oui, on aura gagné.

— On aura gagné quoi ?

— Tu peux pas comprendre, pasque t’as pas d’instruction. C’est de la dialectique.

— Quoikcêkça encore, la dialectrique ?

— C’est pas pour les cons comme toi, ni pour les pétochards. C’est des Grecs qui l’ont trouvée : l’Ariston et Platote, qu’y s’appelaient.

— Ah ouais ? Moi j’ai pas besoin de tous ces trucs de pédés. Dialectrise si tu veux, avec l’aut’ mignonne, là, mais moi, j’tiens à mes deux œufs, alors j’vais m’tirer d’ici vite fait et …

— Crétin ! Si tu fais ça, tu finiras au poteau. De toute façon, j’te connais, t’es que d’la gueule. Jamais t’aurais le cran. T’es trop trouillard, même pour être lâche.

— Ah ouais ? Ben tu verras…tu verras bien.

* * *

    Comme ils sont beaux dans leur souffrance ! pensait le petit Brocasse. Ah ! chère Maman, si tu me voyais ! Tu crierais d’horreur. Et pourtant, pour la première fois, je me sens presque respectable. Ces hommes sont des héros, à leur manière. Ce sont des blocs de granite sortis de la terre-même. Ce sont de vrais hommes qui ont peur, mais qui restent droits face à la mort et se rient d’elle. Et je suis presque comme eux. Je supporte tout, en silence, les obus, la boue, la mort, la crasse. Je crois qu’ils commencent à m’accepter et je sens que leurs moqueries deviennent presque affectueuses. Parfois même, il arrive que l’un d’eux me demande de réciter un poème (c’est-à-dire que c’est arrivé une fois, quand Matthieu m’a demandé de réciter quelque chose pour l’aider à s’endormir).

    C’est la véritable humanité que j’ai devant moi, dans toute sa misère, dans la suprême grandeur de sa misère. Des gueux ! voilà ce qu’ils sont et voilà ce que je voudrais être, car il est bien là, le véritable Peuple Elu. Ils ne savent pas pourquoi ils se battent mais ils le font d’instinct, sans enthousiasme suspect ni coupable couardise. Ils agissent naturellement, sans arrière-pensée. Pour la première fois de ma vie, je rencontre enfin des hommes authentiques, qui sont véritablement, primitivement, eux-mêmes.

    Quant à moi, je n’ai pas encore accès à cette qualité d’existence. Il me faut encore jouer un rôle, paraître autre que ce que je suis réellement. Ils ne pourraient pas comprendre, si je leur avouais que je suis engagé volontaire, que j’ai voulu fuir le monde des hypocrites. Un jour, peut-être, il me sera donné de devenir comme eux : un Pur.

    Chère Maman, tout cela, je ne peux te l’écrire, malheureusement, car tu es trop prisonnière d’un monde falsifié, et aussi parce que je n’ai même plus de quoi écrire des lettres que personne, au reste, ne se chargerait d’expédier. Mais tu sais que je pense à toi sans cesse et que je t’aime, même si je te rends malheureuse.

* * *

— Ah putain ! J’ai morflé, gémit Matthieu. Et il vacilla quelques instants au bord de la tranchée, avant de basculer vers le fond couvert d’eau boueuse où la chute de son corps fit un gros floc.

— Mais qu’est-ce qu’il lui a pris à ce con d’aller se promener là-haut ! bougonna Berthier.

Déjà Joubert tirait le corps et vérifiait qu’il n’y avait plus rien à faire. Mais au moment où il allait le laisser retomber dans la mare, Matthieu émit un petit couinement.

— Ah c’te merde ! s’exclama-t-il. Hé, Berthier ! Il est toujours vivant el’ Matthieu.

Tout le monde — ou ce qu’il en restait — vint s’agglutiner autour du blessé. Un gros trou rouge et gluant lui tenait lieu de rosette de la Légion d’Honneur, un peu au-dessus du cœur. Son regard était fixe et ses lèvres s’agitaient dans le vide, sans prononcer un mot.

— Il a son compte, j’ai l’impression, dit Fallec avec un faux détachement.

— Ouais ! c’est moche, ajouta Joubert.

— Hé, Brocasse ! Si tu veux lui prendre ses couilles, tu peux. L’en auras p’us trop besoin, maintenant ! railla Fallec.

— Pourquoi qu’tu le laisses pas tranquille, le môme ? lui lança Berthier.

— Pasque c’est qu’une pédale…

— Ptêt’ ben, et alors ?

— Et alors, y’a que j’aime pas les folles, c’est tout.

— T’es trop con, Fallec. Touskitgênes, c’est qu’il a moins la pétoche que toi…

— Moi, la pétoche ? Répète un peu voir ! Macaque !

— Prends pas tes grands airs avec moi. Tu fais dans ton froc, c’est tout…Souviens-toi de…

— Hé ! l’interrompit Joubert. Y’en a marre de vos conneries. Kêk j’en fais, moi, du Matthieu ?

    Berthier se pencha sur le blessé et lui tapota la joue, puis lui passa un doigt tout noir devant les lèvres.

— Il est clamsé, diagnostiqua-t-il.

    Et tous, gardant le silence, restèrent quelques minutes à contempler le cadavre, avant que Joubert, qui fatiguait, ne le laissât retomber dans la mare.

* * *

Joubert était occupé, accroupi, à se libérer les entrailles, lorsqu’un soldat lui tomba dessus, l’obligeant à s’asseoir dans ses propres excréments (des morceaux de corned-beef indigérable presque intacts).

    “Ah ben merde alors ! fit-il. Doukissordonc, çui-là ?”

    Le soldat, à quatre pattes dans la mare, reprenait son souffle et ses esprits. Il jeta autour de lui un regard étonné où s’exprimait encore la terreur.

— Mais, qui vous êtes, vous, qu’est-ce que vous foutez là ? demanda-t-il.

— Ben !…rien, répondit Berthier après réflexion.

— Vous étiez pas à la contre-offensive ? s’étonna le soldat.

— Quelle contre-offensive ? demanda Berthier.

— Comment ça, quelle contre-offensive, espèce de tire-au-flanc ! LA contre-offensive, crénom de merde.

— La contre-offensive ? répéta Berthier sans comprendre.

— Et d’où tu crois que j’viens, bougre d’abruti ? On n’a même pas pu atteindre les lignes ennemies. Y nous ont canardés comme des lapins. On les voyait même pas…

— C’était donc ça, tout l’tintouin qu’on entendait ! s’exclama Joubert, heureux de résoudre un mystère.

— … mais on s’prenait leurs pruneaux, poursuivit le soldat, très en colère. On s’est fait massacrer, et vous aut’, z’êtes restés bien planqués et bien peinards dans vot’ trou !

Alors, choqué par ces propos, Brocasse s’indigna : “Mais nous ne savions pas ! Comment aurions-nous pu…?”

— Ta gueule merdeux ! lui lança Fallec, et s’adressant au soldat : Oukissont maintenant, les ennemis ?

— Oukissont ? Ah ! elle est bien bonne, celle-là ! Y sont partout, tu penses ! On s’est carapaté comme on a pu, et là, chuis sûr qu’y nous courent au cul.

— Alors, ils arrivent ? demanda Fallec avec angoisse.

— Pour sûr, et j’vous conseille de faire comme moi et de vous barrer vite fait, répondit le soldat.

Sur ce, il escalada la paroi de la tranchée, du côté opposé à celui par lequel il était venu. A peine arrivé en haut, il fut fauché par une rafale et retomba lourdement au fond, atterrissant sur le corps de Matthieu déjà à moitié enfoui sous la boue et les excréments.

— kêk’on fait ? demanda Joubert à Berthier. On n’a même pas d’mitrailleuse, nous, pour les empêcher d’avancer.

— Chacun prend son fusil et se met à son poste de tir, ordonna Berthier en guise de réponse. Ne tirez que quand vous en verrez un. On n’a pas de munitions à gâcher.

— C’est pas la peine ! hurla Fallec, on va tous se faire descendre. Y faut filer.

— Hé ! T’as pas vu le mec, là ? lui répondit Joubert en désignant du bout de son fusil rouillé le cadavre du soldat. Si tu pointes ton sale nez dehors, t’as pas une chance !

    Mais Fallec n’écoutait plus. Il était complètement paniqué et jetait des regards implorants vers ses compagnons. Soudain, il bondit hors de la tranchée.

    Une seconde et demie plus tard, son corps criblé de balles gisait dans la boue.

* * *

    Un déluge de fer et de feu s’abattit sur la tranchée. La soudaineté du bombardement, après une période plutôt calme de ce côté-là, figea Berthier, Joubert et Brocasse dans leur fange.

— Eh ben, au moins, avec ça, les ennemis, y z’arriveront pas jusqu’à nous ! hurla Joubert.

— Hein ?

— …zarriveronpa…

    Tout un pan de la paroi de la tranchée fut brusquement soufflé par une explosion, ensevelissant totalement Joubert avant qu’il ait pu finir sa phrase.

    Brocasse, suivi de Berthier, se précipita sur le tas de terre jouberticide pour déblayer. Il dégagea rapidement une tête dont la bouche était pleine de boue. Joubert était inconscient.

    Les deux hommes le portèrent sous la protection de toile et de bois à moitié effondrée et se serrèrent contre lui, la tête inclinée vers le sol, les oreilles entre les genoux.

* * *

— Tu vois quelque chose ? demanda Berthier.

— Non, rien, répondit Brocasse, juché sur un frêle édifice de planches afin de scruter l’horizon du no man’s land.

    Cela faisait des jours qu’il ne se passait plus rien, qu’il n’y avait plus de nouvelles ni de l’ennemi ni de qui que ce fût d’autre. Il ne faisait plus que pleuvoir, continuellement et à grosses gouttes. Berthier, au fond de la tranchée, avait de l’eau jusqu’à mi-cuisse. Joubert était mort depuis longtemps, discrètement, sans même avoir repris connaissance.

    Brocasse redescendit de son perchoir en grelottant. Ils n’avaient plus rien à manger depuis belle lurette et survivaient dans un infect bourbier d’eau croupie, de cadavres décomposés et d’étrons flottants. Plusieurs fois, ils avaient dû remettre leurs masques à gaz pour se protéger contre un méchant vent de couleur ocre.

    Brocasse pensait : Nous n’avons plus figure humaine, nous ne sommes que des rats ; et pourtant, jamais je n’ai été aussi humain. Quoiqu’il arrive maintenant, je peux te dire, chère Maman — Si seulement tu pouvais m’entendre ! — que j’ai vraiment vécu, que je suis devenu un vrai homme qui a connu de vrais hommes. J’ai souffert avec eux, je suis presque mort avec eux et je vais sans doute mourir bientôt. Mais je n’ai aucun regret. Je suis enfin authentique. L’essentiel, c’est d’être pour-soi ce que l’on est déjà en-soi (si je puis m’exprimer ainsi), et surtout de savoir garder son quant-à-soi. Que ne suis-je philosophe ! Peut-être alors pourrais-je t’écrire, Maman, ce que je ne puis hélas te dire qu’en pensée. Mais il est trop tard. Me voilà enfin éveillé, mais seul, inutilement, dans ce bourbier, perdu dans cette fange putréfiée. Je suis près de penser qu’il n’y a finalement de salut que dans la misère, solitaire parmi les Gueux mais tout de même avec eux.

    Solitaire ? Non. Je ne le suis plus, justement. Il me reste Berthier. Ah ! Berthier ! Quel homme ! Il me serait intolérable de demeurer seul, ici, sans lui. Si c’était le cas, je ne pourrais que mettre fin à mes jours, oui, mourir, volontairement, cesser de survivre. Oh ! Pas par désespoir. Mais parce que je ne puis être Un que parmi les Gueux, en me fondant en leur masse. Etais-je donc présomptueux! Ce n’est qu’en eux que j’ai trouvé mon authenticité, dans leur primitif besoin de vie, jusqu’au bout, même quand la mort est si proche.

    Avec Berthier, j’ai l’impression que plus rien ne pourra m’atteindre, qu’aucun obus ne me détruira, ni aucune balle, que plus jamais on ne lèvera la main sur moi, pas même mon Père — ce Père qui ne m’aura jamais compris comme toi, Maman, tu m’as compris — et qu’on ne me reprochera plus rien. Finies les gifles et les railleries ! La misère des Gueux me lave de toutes les humiliations, de toutes les fautes, de tous les péchés. Le salut est là, tout proche, et quoiqu’il arrive. Ce salut, c’est à eux, ceux qui sont tombés avant moi, que je le dois, et surtout à Berthier. Oh ! Dieu, quel homme ! Quelle force ! Quelle simplicité virile dans l’amitié ! Car j’en suis sûr, maintenant, les épreuves nous ont apporté une réelle amitié. Si tu voyais, Maman, comme, sans un mot, il me tend sa couverture lorsque je grelotte, comme, par ses silences apaisants, il sait faire taire mes angoisses. Voilà un homme ! Il m’a déjà sauvé, et certainement, il me sauvera encore. Il a sauvé mon âme, en tout cas. Finalement, je ne mourrai peut-être pas. Il me protégera. Et alors, un jour, Maman, nous nous retrouverons et tu verras comme j’ai changé, et tu seras heureuse.

* * *

    Les bombardements avaient cessé depuis longtemps à présent. Brocasse avait de l’eau jusqu’à la taille. Il ne sentait même plus le froid. Soudain, il s’aperçut qu’il était en train d’uriner depuis dix bonnes secondes.

    Comme à la piscine, pensa-t-il avec un petit sourire amusé. Mais dans l’eau brune, il ne put distinguer aucune auréole jaunâtre.

    Berthier s’approcha en barbotant au milieu des cadavres et des étrons qui flottaient de-ci de-là. ” Ça y est, j’en ai trouvé !” dit-il en brandissant un long pansement déjà taché de sang caillé. “Il est presque propre.”

    Il contempla un moment sur le front délicat de Brocasse une vieille blessure purulente causée par un éclat d’obus. Il cracha sur un coin du pansement et en essuya la plaie puis enroula celui-ci autour de la tête du jeune homme.

    Brocasse se laissa faire avec docilité et même avec une visible satisfaction. Pour tout dire, il semblait heureux.

    Mais le silence fut brutalement rompu par un lointain écho de son de cloche et de clairon qui se répandit rapidement. Il apparut alors — quelle surprise ! — que la tranchée, au loin, était encore peuplée. Le paysage lunaire creusé de cratères et de boyaux effondrés ou gorgés de boue s’anima subitement. De toutes les directions retentirent des “Hourra !” frénétiques, de plus en plus puissants. De petites formes sombres se mirent à grouiller et à sortir des tranchées. Quelques unes, sans doute trop enthousiastes, sautèrent sur de vieilles mines. Des casques et des armes furent jetés en l’air.

    Berthier et Brocasse se regardèrent, interloqués.

— Merde ! Vlatipas kcê la paix, on dirait ! murmura Berthier.

— Quoi ? Mais alors, nous avons gagné la guerre ? demanda Brocasse.

— Gagné ou perdu, est-ce que j’chais, moi. C’est ptêt’ ben les autres. Qu’est-ce que ça change, hein ?

— De toute façon, c’est fini. Nous sommes vivants… oui, vivants, dit Brocasse sans y croire.

    Berthier se tut. Il se frappa rageusement la tête du plat de la main. Son visage avait perdu son habituelle expression de placidité.

    Brusquement, il se dit à lui-même : “Ah ! ben tout d’même, kêk je fous là, moi ? C’est quoi cette putain d’guerre qui finit alors que j’ai encore tué personne ? J’chais même pas quel effet qu’ça fait. Ça veut donc dire que j’l’ai point faite, la guerre ? En tout cas, c’est pas moi qui l’ai gagnée.”

    Tout en se posant ces questions, il tripotait son fusil, comme lorsqu’il était en proie à une laborieuse réflexion. Tout à coup, il se retourna vers Brocasse et, calmement, lui dit : “Faut m’excuser, p’tit, mais tu vois, c’est pas possible, ça. J’peux pas avoir fait toute cette guerre, dans cette merde, sans que j’aye tué aucun bonhomme. De quoi qu’j’aurais l’air, au village, après, hein ?”

    Brocasse, immobile, prit un air ahuri. Berthier épaula son fusil et visa la tête, là où le pansement taché venait d’être enroulé, puis il tira.

Une nouvelle de Siegfried G, datant de 1990, tirée du recueil Débris et ratures

Autres nouvelles du même recueil :

Heureux qui communiste
Et personne ne créa… Declan O’Connor
Le lave-vaisselle
Le mouvement perpétuel
L’horloge

Creative Commons License
Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons.  

2000 ans de bonheur

Auteur : Siegfried G

Date : 1999

2000 ans de bonheur

Présentation par l’auteur :

“2000 ans de bonheur” est mon deuxième album solo, et, comme le précédent, il porte la mention “Crème Brûlée Hors-série”, du fait que j’étais alors guitariste et chanteur au sein du groupe Crème Brûlée. Le morceau “On s’est marré” sera d’ailleurs enregistré la même année, en 1999, par le groupe. “Totem et tabou” a également été joué quelques fois en répétition, et “Modern Song” a été repris en duo avec Stéphane de Crème Brûlée en 2007. Le morceau “Je m’évapore” a été utilisé en 2002 pour la bande-son d’un épisode de la série télé “Âge sensible”, sur France 2.

Pour la réédition en 2019 de l’album ont été ajoutés deux titres en bonus : une version acoustique de “Je m’évapore” et le titre inédit “Qui s’y frotte”, composé à l’origine pour l’album mais resté perdu au fond d’un disque dur (la version présentée ici est une version acoustique datant de 2008).

Contrairement à “Emilie et les acariens“, il ne s’agit pas d’un album-concept, même si la dimension expérimentale est encore bien présente.

Pistes :

  1. Je m’évapore
  2. Totem & tabou
  3. Les paradis mous
  4. On s’est marré (version feutrée)
  5. Sous les robes de bure
  6. Aline
  7. Statue n°1
  8. Zoé
  9. Modern song
  10. Promis, juré…
  11. Je m’évapore (live acoustique de 2008)
  12. Qui s’y frotte (inédit, live acoustique de 2008)

Siegfried G : voix, guitares, basse, claviers, kazoo, violon, programmation

Licence de diffusion

(sauf 5 et 9, contenant des samples sous copyright)

Paroles & musiques : Siegfried G

Emilie & les acariens

Auteur : Siegfried G

Date : 1998

Infos :

En 1998, j’officiais à la guitare et au chant au sein du groupe Crème Brûlée. Au fil des années, j’avais composé de nombreux morceaux dont je faisais des maquettes sur cassette puis avec un séquenceur midi et un 4 pistes, ou même sur ordinateur. Une version du titre “Emilie s’endort” fut jouée un moment par Crème Brûlée, mais d’autres morceaux n’étaient tout simplement pas jouables en groupe, et je commençais à prendre goût aux expérimentations audio-informatiques. C’est ainsi que naquit l’idée de réaliser un album en marge des activités de Crème Brûlée. Cet album fut doté de la mention “Crème Brûlée hors-série n°1”, l’idée étant que chacun des membres du groupe puisse à son tour enrichir de façon personnelle la discographie du groupe.

Affranchi des contraintes de groupe, j’eus donc l’idée de réaliser un album “concept”, qui raconterait une véritable histoire, aussi surréaliste soit-elle. C’est ainsi que le thème inauguré par le morceau “Emilie s’endort” fut poursuivi au fil des morceaux, pour aboutir à un ensemble assez kafkaïen. Avec un séquenceur et un ordinateur, je pouvais assumer seul l’orchestration en jouant de tous les instruments (claviers, guitares, harmonica, basse, voix, programmation des rythmes et des samples). Seule intervention extérieure : un coup de téléphone impromptu (merci Jean-Yves) qui retentit pendant une prise de voix et que l’on peut entendre à la fin du dernier morceau. Enregistré pour l’essentiel avec très peu de moyens et dans une atmosphère fiévreuse durant l’été 1998, l’album sortit “officiellement” en décembre 1998. Malgré son aspect expérimental, il est encore à ce jour mon préféré.

Pistes :

  1. Les acariens se réveillent
  2. Emilie s’endort (1)
  3. Je suis asthmatique
  4. Métapmorphose
  5. Je suis allergique
  6. Emilie s’endort (2)
  7. Emilie rêve (Pomme de terre)
  8. Je suis acariâtre
  9. Emilie se réveille
  10. Un soir d’été
  11. No Emilie No
  12. La truite
  13. Emilie s’endort (3)
  14. Bonus : Emilie & les acariens (version live acoustique 2008)

Licence de diffusion

(sauf 7 et 11, contenant des samples sous copyright)

Paroles & musiques : Siegfried G

Dessin de couverture : Ellie-Rose G

“Emilie & les acariens”, 20ème anniversaire

Il y a 20 ans, Siegfried G publiait son premier album solo. Le voici en intégralité, avec en bonus un titre acoustique datant de 2008 mêlant plusieurs morceaux de l’album.

  1. Les acariens se réveillent Siegfried G 0:46
  2. Emilie s'endort (1) Siegfried G 7:01
  3. Je suis asthmatique Siegfried G 2:24
  4. Métamorphose Siegfried G 8:16
  5. Je suis allergique Siegfried G 2:42
  6. Emilie s'endort (2) Siegfried G 5:20
  7. Emilie rêve (Pomme de terre) Siegfried G 4:12
  8. Je suis acariâtre Siegfried G 1:59
  9. Emilie se réveille Siegfried G 4:20
  10. Un soir d'été Siegfried G 4:17
  11. No Emilie no Siegfried G 2:41
  12. La truite Siegfried G 5:37
  13. Emilie s'endort (3) Siegfried G
  14. Emilie & les acariens (version acoustique 2008) Siegfried G 6:27
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